Joseph Conrad

Joseph Conrad

Joseph Conrad

East News, Joseph Conrad, 1923

Józef Teodor Konrad Korzeniowski, de son vrai nom, naît le 3 décembre 1857 dans la ville alors russe, de Bredychiv. Issu de la noblesse terrienne polonaise, son père est un fervent nationaliste qui luttera toute sa vie pour l’indépendance de la Pologne, face à l’Empire russe [3]. Le jeune Józef, fils unique, connaît de ce fait, dès l’âge de 4 ans l’exil en Russie. Il sera confronté à deux traits qui apparaîtront dans ses œuvres : la “solitude de l’héroïsme” et la “vanité du sacrifice pour une cause perdue”. Dès l’enfance, son père l’expose aux œuvres des grands romantiques polonais; ainsi qu’à Shakespeare, Dickens, Byron; Hugo, Flaubert et Maupassant. Tout cet apport de littérature occidentale servira de matrice à son écriture, et influencera son exil prochain [1].

Dès 1874, Conrad orphelin, s’exile pour éviter la conscription dans l’armée russe. Il part à Marseille pour devenir marin. Il aura des soucis de dettes, et après quelques rocambolesques événements décide, à partir de 1878, d’entrer dans la Merchant Navy. Il y gravit tous les échelons pour devenir capitaine dix années plus tard. Entre-temps, il apprend l’anglais et prend la nationalité britannique. Grâce à son métier, il passe par l’Inde, Singapour, les îles indonésiennes, l’Australie et est pétri d’un exotisme qui se retrouve dans ces premiers romans. En 1890, il embarque pour le Congo, une expérience dont il ne sortira pas indemne [2].

Cette passion pour l’inconnu est présente chez lui depuis ses 9 ans. Le mystère que représentaient les espaces peu cartographiés le fascinait. Lorsqu’il apprend que Stanley rentre d’Afrique, son fantasme d’enfant le mène à postuler dans la nouvelle colonie du Congo. Il se rend donc à Bruxelles pour passer un entretien d’embauche dans lequel, comme tout le monde ou presque, il se montre crédule à propos des intentions “civilisatrices” de Léopold II [2]. Il passe 6 mois au Congo, au cours desquels il rejoint les Stanley Falls (au cœur du Nord congolais) dans des conditions difficiles. Si bien qu’il tombe malade et décide, une fois rétabli, de prendre la route du retour. Durant ce court séjour, la cupidité et la brutalité des hommes blancs sur place l’ont horrifié de sorte que sa vision de la nature humaine en est restée marquée à jamais (2).

De retour en Europe, il publie ses premiers livres, en anglais : Almayer’s Folly (1894), An Outcast of the Islands (1896), The Nigger of the “Narcissus” (1897); des romans d’aventures dans des cadres exotiques. Conrad met en lumière le côté obscur des hommes dans An Outpost of Progress, publié en 1896. Il y décrit les péripéties de deux jeunes européens attirés par le commerce de l’ivoire dans le nouvel État Indépendant du  Congo. A mesure que le temps passe, les protagonistes sont isolés et finissent par vouloir échanger de l’ivoire contre des esclaves. L’histoire des deux hommes se termine tragiquement [1]. Son expérience dans la colonie belge lui a aussi inspiré son ouvrage The Heart of Darkness, en français : Au Coeur des Ténèbres (1899). Un chef d’œuvre qu’il a mis près de huit ans à rédiger.

Dans le livre, il raconte à travers son alter-ego, Charles Marlow, l’expérience d’un jeune homme engagé par une compagnie maritime pour transporter l’ivoire sur le fleuve Congo. Lors de son périple, Marlow donne à voir les “hommes-cordes”, ces êtres enchaînés, affalés qui construisent le chemin de fer Congo-Océan. Leur état de mort, encore vivant, comparé par Conrad à des “ombres noires de maladie et d’inanition gisant”. Des ombres qui, quand elles ont la possibilité de se reposer, le font en rampant tellement elles sont épuisées. Il raconte aussi les villages abandonnés par peur d’être raflés et endurer le même sort [2, 6].

Au cours du récit, Marlow rencontre l’ambitieux M. Kurtz, qui a amassé de “légendaires quantités d’ivoire” tout en s’enfonçant dans la sauvagerie absolue [2]. Une des première image significative du livre est la description de la maison de Kurtz. Celle-ci est entourée de têtes de cadavres d’hommes noirs montées sur des piques. En outre, Kurtz est autant un meurtrier, qu’un peintre et un poète vibrant d’éloquence. Il écrit des pages et des pages pour la Société internationale pour la suppression des coutumes sauvages et appelle à « Exterminer toutes les brutes !” [2]. Le profond paradoxe de l’ambition coloniale est montré sans abat-jour.

Pour écrire le personnage de Kurtz, Joseph Conrad s’est probablement inspiré du chef de station de Stanley Falls, le montois Léon Rom. Tout comme Kurtz, il entourait son parterre de fleurs de têtes coupées et s’adonnait également à la peinture. Comme Kurz, il a écrit un texte sur le Congo, rempli de clichés racistes pour justifier la colonisation [2].

Conrad n’échappe toutefois pas à la vision lyrique de la colonisation de son pays d’adoption, et au “racisme victorien” qui en découle. Bien qu’ils mettent en exergue la faillite du “projet civilisateur” au Congo, il mentionne par exemple le plaisir de voir la carte des possessions britanniques “car on sait qu’un vrai travail y est accompli” (5). De plus, les personnages noirs n’ont droit dans le livre qu’à quelques mots, le reste de leur expression est interprété de manière grotesque et biaisée [2]. Cette critique est portée par l’auteur Chinua Achebe en 1975. Ce dernier donne un cours intitulé “Une Image de l’Afrique : le Racisme dans Au Coeur des Ténèbres”, une perception du roman qui fait date [8].

Sa lucidité sur la réalité du système colonial et la description de ses acteurs disent tout du gouffre moral et humain qu’est la colonisation. Au Cœur des Ténèbres est aujourd’hui l’un des grands classiques de la littérature anglaise toute époque confondue. Son roman et ses personnages ont inspiré jusqu’à aujourd’hui nombre de philosophes, écrivains et films, allant de “Apocalypse Now” (1979) où le drame colonial du Congo est transposé au Viêt Nam, à “La légende de Tarzan” dernièrement (2016)[6]. Joseph Conrad continue à publier après et publie Nostromo (1904) qui se passe dans une mine d’argent en Amérique du Sud, il reste lui aussi comme un des grands livres de la littérature anglaise [1].

Il décède à l’âge de 66 ans, probablement d’un arrêt cardiaque dans sa maison du Kent en Angleterre

Sources

[1] André TOPIA, « CONRAD JOSEPH - (1857-1924) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le19/10/21 https://www.universalis.fr/encyclopedie/joseph-conrad/
[2] A. Hochschild, Les Fantômes du roi Léopold, La terreur coloniale dans l’Etat du Congo, 1884-1908, Texto semi-poche, Tallandier.
[3] Article Joseph Conrad, https://en.m.wikipedia.org/wiki/Joseph_Conrad, consulté le 19/10/21
[4] J. Conrad, A Personal Record p.13
[5] J. Conrad, Heart of Darkness : An Authoritative Text, Backgrounds, Sources, Critcism p.13
[6] Idem, p.50-51
[7] France Inter, “Ça peut pas faire de mal, « Au cœur des ténèbres par Conrad ” émission du 17 février 2018, disponible sur www.franceinter.fr
[8] Société française de littérature générale et comparée, https://sflgc.org/agregation/maisonnat-claude-au-coeur-des-tenebres-de-conrad-presentation/

 

Stanley,  Les Prémices de la Colonisation

Stanley, Les Prémices de la Colonisation

Stanley, Les Prémices de la Colonisation

POUR COMMENCER …

La  colonisation du Congo commence en 1867. La prise de possession par le Roi Léopold II ne se fait qu’en 1885 (Année où il se proclame roi de l’Etat indépendant du Congo). Avant cette annexion du Congo à la Belgique, la colonisation commence sous les pas de Henry Morton Stanley.  Personnage ambivalent, il est le premier européen explorateur à avoir traversé le fleuve Congo. Il pose les bases de la colonisation belge au Congo et est responsable de plusieurs crimes de masse [2].

Le journaliste et explorateur britannique, Henry Morton Stanley, a joué un rôle essentiel dans les débuts de la colonisation du Congo. Vers la moitié du XIXe siècle, les intellectuels européens s’intéressent à la cartographie d’un continent vu comme mystérieux : l’Afrique.  L’explorateur mène deux voyages. Le premier en 1873 à la demande du journal le New York Herald, où il part  à la recherche d’un explorateur anglais porté disparu, Mr.Livingstone (6). Cette première expérience du continent le mène à être financé par deux journaux : le Daily Telegraph et le New York Herald, afin de cartographier les grandes rivières et lacs d’Afrique équatoriale. Ses écrits suscitent un grand enthousiasme, en Europe ils seront traduit en huit langues (Danois, Suédois, Italien, Français, Portugais  et Espagnol) .

LEOPOLD II

Léopold est lui aussi un fidèle lecteur des fameux périples de Stanley. Il imaginait que ce vaste territoire à peine exploré pouvait devenir un jour la colonie dont il avait toujours rêvé. Pour cela, il envoie deux délégués, le baron Jules Greindl et le général Henry Shelton Sanford, requérir ses services. Stanley refuse d’abord, espérant travailler pour l’Angleterre ou les États-Unis, mais ni l’un ni l’autre ne souhaitent s’engager étant trop préoccupés par leur crises intérieures. Il accepte finalement la proposition de Léopold II, et les deux hommes se rencontrent pour la première fois en juin 1878. Un accord est alors signé. En cinq ans, Stanley doit acquérir le Congo en créant diverses implantations dans le bas Congo (région proche de la côte Atlantique)  et ensuite dans le Pool (lac Pool Malebo actuel près de Kinshasa). Il doit aussi faire reconnaître aux chefs du territoire congolais la souveraineté belge. Léopold lui fournira des financements et s’occupera de la stratégie [1]. 

Colonisation Et Implantations

Pour fonder ces implantations, il passe des traités avec de nombreux chefs congolais autorisant la location de leurs parcelles de terres en contrepartie de marchandises telles que du gin, des étoffes ou des couteaux notamment. Au début, ces négociations pouvaient durer des journées entières, pour aboutir à un accord plus ou moins juste. Quand les manœuvres ne fonctionnaient pas, il tuait le chef et négociait avec son successeur. Si l’opposition se fait plus générale, il n’hésite pas à recourir à la violence extrême, en faisant l’utilisation d’armes industrielles contre les villageois voire même brûler des villages entiers. Il écrira« nous avons attaqué et détruit vingt-huit grandes villes et trois ou quatre villages »Une autre de ces méthodes consistait à  provoquer des guerres pour affaiblir les États et pouvoir négocier à son avantage.

En 1882, quand Léopold voit que d’autres puissances européennes comme le Portugal ou l’Allemagne se lancent dans cette même quête d’achat de parcelles, il se lasse et presse Stanley.  À présent, son envoyé doit obtenir des régions entières plus rapidement. Le roi déclare “la lecture des traités conclus par Stanley avec les chefs ne me satisfait pas. Il faut y ajouter au moins un article portant qu’ils nous délèguent leur droits souverains sur le territoire (…) Il faut que dans un article ou deux ils nous accordent tout” (5). En moins de 4 ans, 400 traités furent signés, bien entendu ceux-ci étaient rédigés en anglais ou en français, des langues incompréhensibles pour les chefs. La signature de ces traités se résume pour les indigènes à dessiner une croix au bas d’une feuille pleine de symboles qui leur étaient inconnus. A chaque fois qu’un traité sera signé, un drapeau bleu foncé orné d’une étoile jaune sur le milieu flottera par dessus le village (le bleu représentant l’obscurité dans la quels ils se trouvaient et le jaune la lumière de la civisation) [1].

Il est difficile d’évaluer l’étendue des violences perpétrées par Stanley car elles n’ont pas été répertoriées précisément. En effet, il était le seul à établir la documentation pendant ses expéditions. Il avouera quand même à plusieurs reprises ses actes d’extrême violence. .  De plus, de nombreuses sources l’accusent de massacres impunément sur des villages entiers [5]. En tant qu’anglais, ses objectifs sont plus marchands que nationalistes. Son but premier est de favoriser le libre-échange pour les puissances européennes, plus que de garantir la souveraineté du roi belge. Pour vanter les possibilités de la colonisation, il présente  les habitants du bassin comme un nouveau marché “de 40 millions de personnes nues à vêtir avec du coton de Manchester”, ce qui est fauxConformément à son pacte avec le roi, il “sécurise” et balise l’accès à l’intérieur des terres congolaises pour y favoriser le commerce, non sans brutalité. Il fait construire des comptoirs commerciaux pour faciliter les voyages en bateau à vapeur. Le fleuve Congo n’étant pas praticable en raison d’immenses chutes d’eau; il exploite des “porteurs” enrôlés de force pour acheminer le matériel de Boma sur la côte Atlantique à Stanley Pool, (actuel Kinshasa). Ces porteurs mourront par centaines [3].

POUR CONCLURE…

Les Congolais l’appelleront “Bula Matari”, en français : le casseur de pierres. Cela rappelle l’usage de la dynamite qu’il utilisait et sa brutalité envers  la population locale. Ce nom lui viendrait aussi du chemin de fer qu’il avait fait construire pour remplacer les trajets qui étaient  jusque-là effectués par des porteurs. Cette construction  se révélera extrêmement meurtrière.  Certains estiment le nombre de morts à un par traverse (pièce de bois placée en travers de la voie pour maintenir l’écartement des rails) [4].

Stanley n’était pas un exécutant fiable pour Léopold II. Il décide alors de ne pas renouveler son contrat avec ce dernier qui s’attendait pourtant à être nommé gouverneur du nouvel État indépendant du Congo en 1885. Ce sera un autre anglais, Francis de Winton qui sera nommé à sa place.(6)

Les excès de violence de Stanley et de ses hommes de main marqueront durablement la région. Un héritage sanglant qui marquera la nouvelle colonie au fer rouge.

BIBLIOGRAPHIE

[1] Congo, une histoire – David Van Reybrouck

[2] Les fantômes du roi Léopold – Adam Hochschild

[3] https://comptoir.org/2014/10/08/le-congo-belge-de-leopold-ii-les-origines-du-massacre/ 

[4] https://curieuseshistoires-belgique.be/henry-morton-stanley-le-conquistador-deprave/ 

[5] https://www.latimes.com/archives/la-xpm-1990-11-11-bk-5978-story.html 

     https://en.wikipedia.org/wiki/Henry_Morton_Stanley

[6] Henry Morton Stanley, cinq années au Congo, 1000 879 984. Voyage, exploration, fondation de l’État libre du Congo, Bruxelles, Institut national de géographie, 1885

[7] Building Congo, Writing Empire: The Literary Labours of Henry Morton Stanley