La discrimination à l’emploi
Introduction
Tu te poses des questions sur la discrimination à l’emploi plus précisément ?
Lors de son deuxième article, la team Legal Texts for All t’avait présenté les régimes légaux pour se protéger face au racisme en Belgique. Cette semaine, nous voulons attirer ton attention sur le cas spécifique de la discrimination à l’emploi.
Pour faciliter nos explications, nous allons nous baser sur un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, à savoir : l’affaire Feryn datant du 10 juillet 2008.
Faits de l’affaire
Une grande campagne publicitaire est organisée par une entreprise flamande spécialisée dans la pose de portes de garage. Le gérant de cette entreprise, Monsieur Feryn, déclare, lors d’une interview, ne pas pouvoir embaucher de personnes d’origine étrangère (il a pris l’exemple des marocains) sous prétexte d’exigences des clients qui ne veulent être servis que par des travailleurs d’origine belge. Ainsi, il déclarait notamment que :
« Je ne suis pas raciste mais je dois répondre aux exigences de mes clients. Je n’ai pas créé ce problème en Belgique et je dois faire tourner mon entreprise », « je ne suis pas raciste, c’est une logique économique ».
Sans surprise, il n’y avait pas de plaignants car peu de personnes d’origine marocaine auraient souhaité être traitées de la sorte pour de toute façon se voir essuyer un refus.
Par conséquent, le Centre pour l’égalité des chances (CECLR) a décidé de prendre cette affaire à bras le corps. La Cour du Travail de Bruxelles, saisie du dossier suite à la plainte déposée par le CECLR, va saisir la Cour européenne de Justice pour lui poser un certain nombre de questions préjudicielles.
Ces questions concernaient l’interprétation de la Directive européenne 2000/43 relative à la « mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique ».
Questions posées par la Cour du travail belge à la Cour européenne des droits de l’Homme
a) Des déclarations publiques peuvent-elles constituer une discrimination directe et démontrer une poursuite d’une politique d’embauche directement discriminatoire même en l’absence de plaignant ?
– Le fait qu’un employeur n’emploie pas de travailleurs d’origine étrangère fait-il naître une présomption de discrimination indirecte, notamment lorsqu’on sait qu’il a dû faire face à de grandes difficultés de recrutement de monteurs ?
– Compte tenu des faits du litige, une présomption de discrimination commise par l’employeur peut-elle être déduite de la seule embauche de travailleurs belges par une société liée à cet employeur ?
b) Quels sont les faits qui permettent de déterminer une situation de discrimination directe ou indirecte ? De quelle sévérité une juridiction nationale doit-elle faire preuve dans l’appréciation des faits ?
Conclusions de l’arrêt
La Cour précise que la société Feryn, en déclarant publiquement son intention de ne pas engager d’ouvriers d’origine étrangère, s’est rendue coupable de discrimination directe. De telles déclarations sont de nature à dissuader sérieusement certains candidats de déposer leur candidature et fait donc obstacle à leur accès au marché du travail.
De plus, la Cour estime que ces déclarations publiques indiquent également qu’une politique discriminatoire de recrutement a été menée. Ce faisant, il incombe donc à Monsieur Feryn de prouver qu’il n’y a pas eu de violation du principe de l’égalité de traitement, en apportant la preuve par exemple que la politique de recrutement dans la pratique ne correspond pas à ces déclarations publiques.
Enfin, la Cour ajoute que si le juge national constate une discrimination, il devra prendre des mesures effectives, proportionnées et dissuasives. Cela peut notamment prendre la forme de la publicité de la condamnation, de l’interdiction de continuer ce genre de pratiques discriminatoires ou encore par des dommages et intérêts.
Suite de l’affaire devant les juridictions belges
L’affaire Feryn a donc été renvoyée devant la Cour du Travail de Bruxelles pour prendre une décision sur le cas concret, prenant évidemment en compte les réponses fournies par la Cour de Justice de l’Union européenne.
La Cour du Travail de Bruxelles a estimé qu’il y avait bien eu discrimination envers une catégorie de travailleurs.
Concernant la sanction, elle ordonne la cessation de la discrimination ainsi que la publication de sa décision dans plusieurs quotidiens.
Enseignements à tirer
Voici les enseignements principaux que nous pouvons tirer de cette affaire :
1. On peut avoir une discrimination directe sans victime
2. Un seul fait suffit pour renverser la charge de la preuve même si très souvent il y en a plusieurs. Ici, en l’occurrence, le “seul fait”, ce sont les déclarations et c’est suffisant ! Même quand il n’y a pas de victime, des déclarations peuvent faire basculer la charge de la preuve et établir une apparence ou une présomption de discrimination. Ensuite, l’employeur va devoir prouver que sa procédure de recrutement n’était pas discriminatoire.
3. L’argument des besoins des clients ainsi que de la pérennité de l’entreprise n’est pas de nature à justifier de telles déclarations
– Dico juridique –
- Question préjudicielle : Procédure permettant aux juges nationaux d’interroger la Cour européenne de justice sur l’interprétation ou la validité du droit de l’Union européenne dans le cadre de l’affaire qu’ils doivent traiter.
- Cour de justice de l’Union européenne : Cette Cour est l’une des sept institutions de l’Union européenne, située à Luxembourg. Elle veille à la bonne application du droit de l’Union européenne et à l’uniformité de son interprétation sur le territoire de l’UE.
- Cour du travail : C’est la Cour qui traite, en appel, des affaires du tribunal du travail. Si un travailleur, un employeur ou un auditeur du travail (ou toute personne ayant été jugée par ce tribunal) fait appel d’une décision du tribunal du travail, elle se rend devant l’une des 5 Cours du travail de Belgique, dont l’une est située à Bruxelles. Au sein de ces Cours, il y a un juge professionnel et deux juges sociaux appartenant aux milieux patronal et syndical.
- Centre pour l’égalité des chances : C’est l’ancienne appellation de UNIA, le centre interfédéral pour l’égalité des chances et pour la lutte contre le racisme et les discriminations.
- Présomption : opinion ou projection fondée sur des apparences, ce qui équivaut à une supposition.
Sources :
* https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:62007CJ0054&from=FR (arrêt)
* https://www.unia.be/fr/articles/affaire-feryn-dire-que-lon-va-discriminer-cest-deja-discriminer-10-juillet-2008 (résumé intéressant)
* https://www.unia.be/fr/articles/affaire-feryn-le-role-du-monde-de-lentreprise (suite de l’arrêt devant les juridictions belges)