Taa Moko: tatouage traditionnel maori, entre appropriation et appréciation culturelle
Depuis quelques années, le Taa Moko appelé aussi “Moko” retrouve son implantation en Nouvelle-Zélande. Comment analyser la démarche des personnes maoris réalisant des Moko et autres styles émanant du pacifique ? Les réflexions autour de l’appropriation culturelle s’établissant davantage dans nos chemins de pensée, Nausicaa, une de nos membres sur place depuis plus d’un an, a donc décidé de s’intéresser à cette question. Le Taa Moko fait sur les personnes non-maori relève-t-il de l’appropriation culturelle ou d’une appréciation culturelle ? Elle a demandé aux premiers concernés, 3 artistes maoris, de l’éclairer à ce sujet.
Tamararo Raihania, tatoueur depuis 16 ans à Auckland,explique d’abord en quoi consiste un Moko: “pour moi le Moko est comme un passeport, il montre d’où je viens. Pour avoir un Moko, il faut avoir toutes les connaissances sur les emplacements, le modèle et la signification de chaque ligne. Si on met un modèle prévu pour une jambe sur un bras ça ne va pas et seuls les tatoueur.euses maoris savent tous ces détails.”
En outre, le Moko sert de langage visuel qui connecte celui qui le porte à son whakapapa (ses ancêtres). Le la porteureuse devient ‘Tapu’ (sacré). “Je ne vois pas d’inconvénient à ce que des non-maoris obtiennent des Moko” , poursuit il, “tant qu’ils viennent avec un Korero approprié, des idées et du respect. Il y a des gens qui le veulent juste pour le look, je suppose que c’est à eux de décider.”
Pour l’artiste Wairingiringi Toi, fille de Gordon Toi, également artiste Taa Moko, cette pratique est unique, car “il s’agit de motifs et de significations distincts. Les différents motifs illustrent la manière dont nous racontons l’histoire à travers le Moko que nous créons.”
Brad Kamo, artiste Moko de 40 ans basé à Manawatu explique que “même si les outils et les encres ont évolué avec le temps, c’est l’intention qui reste la même, il faut utiliser les lignes et motifs pertinent pour la généalogie de celui,celle qui se fait tatouer. Le but est de créer un Moko unique relatant généralement un récit. Chaque élément utilisé a une fonction et un Korero (histoire,signification). Le Moko est une représentation extérieure d’un Kaupapa (principe,idée) interieur”
Un art seulement pratiqué par les Maoris
Cet art ne peut se pratiquer que par des personnes Maoris qui ont reçu l’enseignement qui va avec. “J’ai tendance à penser que nous, les maoris, devraient être les seuls à créer des Moko, car nous comprenons beaucoup mieux d’où viennent nos motifs, ce qu’ils signifient et ce qu’il convient d’utiliser pour l’histoire de quelqu’un. Pour nous, il ne s’agit pas d’un simple « tatouage », c’est beaucoup plus profond. C’est lié à notre généalogie” détaille Wairingiringi Toi. Brad Kamo rajoute qu’il faut aussi comprendre l’utilisation des karakia (prières) lors du tatouage ainsi qu’avoir de solides connaissances sur Te Ao Maori, et Te Reo Maori (le monde et la langue maori). Il est primordial de saisir tout ce que représente un Moko, bien loin de la mentalité du tatouage européen qui est plus axé sur une idée ornementale.
Est-ce qu’une personne non maori peut porter cet art ?
La réponse est simple pour Wairingiringi Toi : “Je suis ouverte à l’idée de faire des moko sur des non-maoris, si leurs intentions sont bonnes et s’ils ont leur korero (la signification, le discours.) pour moi. Je suis capable d’utiliser nos modèles pour représenter leur voyage. Je pense qu’un facteur clé est de s’assurer que je les éduque, ainsi que les personnes sur lesquelles je travaille. Sur la signification de ce que je viens de créer pour eux. Je les encourage à assimiler le maximum d’informations qui sont partagées, en général, elles sont enregistrées pour qu’ils les gardent pour elleux. Je ne dirais pas qu’il y a des règles spécifiques, mais assurez-vous de faire vos recherches.”
Mais le tatouage facial est quant à lui exclusivement réservé aux personnes maoris tient à préciser Brad Kamo. “Le Moko Kanohi (facial) ne peut en aucun cas être porté par des personnes non-maori”. Si vous vous faites tatouer un tatouage dit maori par un artiste qui n’est pas issu d’une tribu maori cela relève de l’appropriation culturelle. Les non-maoris peuvent avoir ce type de tatouage, mais il n’y a pas le lien avec iwi (la tribu) on appellera donc cela un Kimituhi”.
L’artiste compte mais la démarche aussi
La signification apportée au Taa Moko est centrale. Si une personne se fait donc tatouer sans chercher un.e artiste maori, et ne s’informe pas sur tout ce que représente le Taa Moko, “c’est une blague” d’après Wairingiringi Toi. “Se faire tatouer quelque chose qui est traditionnel et qui a une telle signification pour nous, ici à Aotearoa ne peut se faire sans respecter ces règles. Cependant, de nos jours, avec les médias sociaux, il est difficile de contrôler cette partie. J’espère simplement que les gens pensent à l’avenir et respectent suffisamment notre forme d’art pour faire les choses correctement.”
La question des personnes non-maori qui se font des tribaux dans un style maori ou plus largement polynésien ne réfléchissent pas selon Brad Kamo. “La question que je me pose pour ces personnes, c’est pourquoi vouloir s’approprier culturellement des symboles anciens, et ainsi démontrer sa propre ignorance et insensibilité culturelle? Ces personnes doivent évoluer, s’éduquer. La recherche de ce tatouage pour son ego n’est pas une chose avec laquelle ton Wairua (esprit,âme) sera confortable sur le long terme.” déplore-t-il . Comme le précise Tamararo “le tribal qu’on voit majoritairement en Europe ça n’est pas du “tribal”, c’est encore moins du Taa Moko ça ressemble plus aux tatouages d’un catcheur de la wwe.”
Afin de mieux comprendre l’offense de l’appropriation culturelle, d’après Brad Kamo, il faut reconnaître que “la couronne s’est lancée dans l’appropriation des terres de l’art et de la langue maori dans le seul but de coloniser et européaniser les populations natives. Les maoris se sont battu pendant plus de 100 ans et ont mérité cette reconnaissance actuelle de notre taonga tuku iho (héritage). Voir notre art revendiqué par d’autres pour leur étagère de magasin n’est pas seulement malpoli mais typique de la pensée capitaliste occidentale et de l’ignorance sociétale qui va avec”.
L’appréciation culturelle* est selon lui incroyablement utile pour l’art et la culture Maori, quand c’est réalisé correctement. “Il faut surtout faire en sorte que tout soit tika et pono (vrai, sincère, honnête, valide)” précise t’il.
* pour plus d’explication sur cette notion : Voir notre article “appropriation culturelle”.
La pérennité de la culture maori dans le monde
Le Taa Moko est en plein essor pour Wairingiringi Toi, “il y a de plus en plus d’artistes qui montent. Je ne pense pas que notre art va s’éteindre de sitôt. Au contraire, c’est en grande partie grâce à ces artistes Moko qui ont participé à la résurgence du Moko il y a quelques années.” Tamararo est persuadé que “l’avenir du Moko est entre de bonnes mains, nous devons juste continuer à le pousser dans la bonne direction pour que la prochaine génération puisse l’emmener encore plus loin.”
Le futur du Taa Moko coexiste avec Tangata Whenua (les gens présents sur l’île) selon Brad Kamo. “La couronne a essayé de décimer notre culture et a échoué. La nation Maori continue de grandir et avec elle notre Moko”. Comme il le dit si bien “Mes Tamariki (enfants) profiteront d’un monde rempli de Moko.”
Vouloir expérimenter l’art Taa Moko n’est donc pas une appropriation culturelle selon les artistes rencontré.es si on le fait faire par un.e artiste Maori, tout en prenant en compte l’importance du Korero, et les principes du Taa Moko. Cet art est donc en pleine croissance, les descendant.es de ces pratiques remettent au centre leurs art affirmant de plus en plus leur culture.
Article et photo : Nausicaa Gregoris