Traitement différencié de personnes déplacées arrivant sur le territoire européen : les Ukrainiens et les autres
Comment l’UE soutient l’Ukraine en 2023 | Actualité | Parlement européen (europa.eu)
Introduction
En droit international, il existe de manière générale une protection de tou.te.s les réfugié.e.s offerte par la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés (dite convention de Genève). Cette Convention oblige les États signataires à accueillir toute personne fuyant la guerre.
Dans le cadre du conflit armé entre l’Ukraine et la Russie ,1 instrument spécifique a cependant été utilisé en Europe la Directive 2001/55/CE, connue sous le nom de directive de protection temporaire.
Qu’est-ce que c’est ?
La directive de protection temporaire a été créée en 2001 après les conflits dans les Balkans et a été transposée en droit belge par la loi du 18 février 2003 [1].
Elle a la particularité de ne pouvoir être appliquée que par une décision de Conseil de l’Union Européenne à la majorité qualifiée de ses membres et sur proposition de la Commission.
Cette directive européenne n’avait jamais été mise en œuvre avant 2022 et l’arrivée des réfugié.e.s ukrainien.ne.s fuyant le conflit entre l’Ukraine et la Russie sur le sol européen.
Qu’est-ce que cette directive prévoit ?
Cette directive apporte une protection immédiate et temporaire aux personnes déplacées en cas d’afflux massif sur le territoire européen, leur offrant plus d’avantages qu’aux personnes arrivant sur le sol européen en d’autres circonstances. Ces différents avantages s’appliquent aux ressortissant.e.s ukrainien.ne.s ainsi qu’aux membres de leur famille, aux apatrides et aux ressortissant.e.s de pays tiers auxquels l’Ukraine a octroyé la protection internationale ou nationale. Les personne considérées comme « étant en séjour légal » en Ukraine sont donc visées par cette directive, à l’inverse de celles qui ne le sont pas.
Concrètement la protection temporaire prévue par la directive se traduit par un titre de séjour dans l’Etat membre qui est valable pendant toute la durée de la protection. Les personnes pourront ainsi travailler, accéder à l’enseignement, recevoir un logement approprié ainsi qu’une aide sociale et financière, ou encore des soins médicaux.
Grâce à cette protection immédiate, ces personnes évitent de lourdes procédures administratives. Il ne faut en effet plus que les réfugiés ukrainien.ne.s introduisent individuellement une demande de protection internationale ou subsidiaire : la protection temporaire et tous les avantages qu’elle inclut lors sont octroyés par le simple fait qu’ils fuient le conflit armé.
Cependant, cette protection est temporaire : elle s’applique pour un an seulement et ne peut être prolongée que pour 2 ans au maximum. Le Conseil de l’Union Européenne peut également mettre fin à la protection s’il estime que les personnes sont en mesure de retourner dans leur pays d’origine de manière sûre.
Quel(s) problème(s) cela pose-t-il ?
Bien que cette directive existe depuis 2001, le Conseil de l’Union Européenne l’a adopté pour la première fois le 3 mars 2022. La protection prévue par la directive a donc été activée pour la première fois dans le cadre du conflit entre la Russie et l’Ukraine et pour répondre à l’avis de personnes ukrainiennes sur le territoire européen.
Or, la mise en œuvre de cette directive aurait pu être précieuse lors de bien d’autres afflux de personnes déplacées ayant précédemment eu lieu sur le sol européen. Son activation avait d’ailleurs déjà été sollicitée.
En 2011, deux États membres, l’Italie et Malte, ont demandé à la Commission européenne l’activation de la directive. Aucune suite n’a pourtant été donnée à cette demande.
Lors des importants flux migratoires de 2015 et 2016, le Parlement européen a adopté deux résolutions appelant la Commission et le Conseil de l’Union européenne à mettre en œuvre la même directive.
En guise de réponse, la Commission publie un rapport d’analyse mettant en avant une définition très large des termes « arrivée massive ». Aucune suite n’avait été donnée à cela et la Commission avait ainsi décidé de ne pas enclencher le processus de mise en œuvre.
De façon paradoxale, cette directive a été conçue dans un objectif de rapidité et de réactivité, pour éviter le surchargement administratif que subissent les structures d’accueil lors d’arrivées massives de personnes déplacées. Cet objectif ne peut cependant être atteint que moyennant un accord entre les différents Etats et après une procédure d’activation complexe au niveau des institutions européennes.
De plus, la Commission européenne et les États membres de l’Union n’ont jamais vu d’utilité à exploiter cet instrument. Cette directive n’a en effet pas été placée comme un instrument à utiliser en priorité mais la Commission européenne et les États membres ont préféré mettre en œuvre des mécanismes alternatifs, tels que le régime d’asile européen commun ou de soutien financier aux diverses agences européennes, privilégiant un système de relocalisation tel que prévu dans le règlement Dublin III.
Ces solutions alternatives et la difficulté d’activation de la directive ont abouti à la non mise en œuvre de cette directive ce qui témoigne d’un manque de volonté politique à l’utiliser pour les afflux migratoires sur le territoire de l’Union.
De ses choix politiques, il résulte un traitement différencié des personnes migrantes arrivant sur le territoire européen des dernières décennies. Les Ukrainien.ne.s ont en effet bénéficié d’un accueil plus favorable que les personnes en provenance des pays non-européens.
Pourquoi l’activation de la Directive Protection temporaire a-t-elle tout à coup été possible ? Pourquoi aussi rapidement ? Pourquoi cet afflux d’Ukrainien.ne.s a-t-il été considéré par la Commission européenne comme une « arrivée massive » tandis que cela n’a pas été le cas lors des afflux en 2015 provenant du Moyen-Orient ?
À titre indicatif, nous savons que des cas de discriminations ont été recensé aux frontières polonaises, où des personnes en provenance d’Afrique ont été refoulées pour donner priorité à des personnes ukrainiennes. Cette discrimination commence même parfois dès la frontière ukrainienne, frontière à laquelle certains gardes-frontière ukrainiens ont empêché les personnes noires de traverser la frontière pour donner priorité aux personnes ukrainiennes blanches.
Dès lors, pouvons-nous penser que les justifications politiques ont auparavant empêché les États membres et l’Union européenne de prendre la décision activée la directive protection temporaire témoigne d’un certain racisme de l’Europe envers les réfugiés non-européens ?
Même si nous nous réjouissons de l’activation de cette directive, il faut reconnaître qu’elle aurait pu être particulièrement utile lors de bien d’autres afflux migratoires ayant eu lieu en Europe depuis 2001. Nous encourageons bien évidemment la rapidité et l’efficacité de l’accueil qui a été fait aux réfugiés ukrainiens, mais il faut également encourager à continuer de lutter pour que cet accueil puisse être possible pour tous les réfugié.e.s.
Sources
[1] loi du 18 février 2003 disponible sur https://etaamb.openjustice.be/fr/loi-du-18-fevrier-2003_n2003000236.html [2] https://www.cire.be/outil-pedagogique/le-reglement-dublin-quest-ce-que-cest-et-comment-ca-marche/#:~:text=Le%20but%20du%20R%C3%A8glement%20Dublin,plusieurs%20%C3%89tats%2C%20dont%20la%20Belgique. UN General Assembly, Convention Relating to the Status of Refugees, 28 July 1951, United Nation, Treaty Series, vol. 189, p. 137, disponible sur https://www.refworld.org/docid:3be01b964.html Global Citizen, “En Ukraine, des personnes noires dénoncent le racisme dont elles ont fait l’objet alors qu’elles tentent de fuir », publié le 28 février 2022, disponible sur https://www.globalcitizen.org/fr/content/racism-leave-ukraine-asylum-black-people-of-color/ CCFD Terre-Solidaire, « Ukraine : 5 questions autour de la directive de protection temporaire », publié le 25 mars 2022, disponible sur https://ccfd-terresolidaire.org/ukraine-5-questions-autour-de-la-directive-de-protection-temporaire/ Marine Buisson et Pierre-Yves Thienpont, « La double peine des étrangers qui fuient la guerre en Ukraine », Le Soir, publié le 28 février 2022, disponible sur https://www.lesoir.be/427141/article/2022-02-28/la-double-peine-des-etrangers-qui-fuient-la-guerre-en-ukraine Forum Réfugiés, « Que prévoit la directive européenne de protection temporaire », publié le 8 avril 2020, disponible sur https://www.forumrefugies.org/s-informer/publications/articles-d-actualites/en-europe/681-que-prevoit-la-directive-europeenne-de-protection-temporaire