Pourquoi le Père Fouettard est-il Problématique?

Pourquoi le Père Fouettard est-il Problématique?

Lorsqu’il est fait référence à la connotation raciste qui ressort de la représentation du Père fouettard (grimé tout en noir avec des grosses lèvres rouges, les cheveux afro), beaucoup défendent que l’image du Père fouettard n’est pas péjorative.  En effet, il est défendu, par exemple, que le Père fouettard a la peau noire car il est censé descendre de la cheminée. Nous allons tenter de vous expliquer en quelques points pourquoi la vision actuelle du père fouettard, en Belgique, est problématique. 

 

Origine et histoire du père fouettard en Belgique 

Tout d’abord, précisons que St-Nicolas a historiquement plusieurs compagnons, et ces derniers ont une déclinaison différente dans chaque coin du globe. Cependant, ce compagnon garde les mêmes caractéristiques : méchant, menaçant et laid [1]. Lors de l’apparition du Folklore de Saint-Nicolas au 16ème siècle en Europe, il était accompagné du diable. Ce dernier avait  pour but de punir les mortels qui agissaient mal et surtout les enfants qui n’étaient pas sages. A cette époque il n’y avait pas beaucoup de différences entre le diable et un maure ( population noire d’Afrique du Nord ) et l’amalgame a commencé à voir le jour [2] . En effet, selon des légendes, Saint-Nicolas, ainsi que son serviteur, venaient de l’Espagne Maure [3].

En Belgique et  au Pays-Bas, nous avions une représentation similaire : le Zwarte piet, appelé “Père fouettard” dans la partie francophone belge.  Ce personnage a vu le jour pour  la première fois dans l’œuvre de Jan Schenkman intitulé ‘ St Nikolaas en zijn Knecht “( St Nicolas et son serviteur ) en 1850. A cette époque, le Père fouettard est représenté comme le serviteur de Saint-Nicolas. Son apparence était déjà une référence directe aux esclaves, notamment en raison de leurs habits de Maure originaires d’Afrique du Nord. Cependant, ce n’est qu’à la fin du 19e que le Père fouettard commence à avoir des traits physiques utilisés pour caricaturer l’Homme africain (les lèvres rouges et volumineuses, les cheveux afros, la peau très foncée) [4].  

 

 

Père fouettard, Educol.net

Cette caricature du Père fouettard qui subsiste depuis le 19ème siècle a un impact direct et négatif sur les enfants afro descendants. En effet en se grimant en noir et en ayant tous les trait de la caricature de la personne noire, le père fouettard  incarne la pratique  de la blackface. Vu par certain.e.s comme un déguisement, cette pratique  est humiliante et raciste pour les personnes pour qui “ être noir “ n’est pas un déguisement [5].

 

 

 

 

 

Comme nous l’avons déjà vu avec vous, le racisme se décline en plusieurs branches et il est composé de plusieurs aspects  tels que  les préjugés. Et bien qu’elle ne soit pas reconnue  légalement comme étant une forme de discrimination raciale punissable, cette représentation du serviteur noir et méchant accompagnant St-Nicolas dans le but de punir les enfants renforcent les stérotypes sur la dangerosité de l’Homme noir  [6]. D’ailleurs, une étude  faites en 2015 démontre que lorsqu’on demande à des enfants afro descendants  ce que représente le Père fouettard, la plus grande partie ( 63,5%) disent que c’est un homme noir. En effet, seulement une minorité est consciente que le Père fouettard est un homme blanc, ramoneur, sali par la suie de la cheminée.  Cette même étude démontre que 76,6% des enfants s’identifient à ce dernier, notamment parce qu’ils partagent une même couleur de peau [7]. 

Benoit de Freine, November 2022, Een Roetpiet in Antwerpen, DeMorgen

Une représentation d’un homme blanc avec de la suie sur le visage comme le roetpiet serait  une  réprésentation plus  juste qui, au final, satisferait tout le monde. Dès le plus jeune âge, ces enfants sont dès lors confrontés à une image péjorative qui leur vaut des remarques et des piques racistes de leur entourage:

« Dans l’école communale, on était les seuls Noirs, à chaque fois qu’il y avait la Saint-Nicolas et que Zwarte Piet venait, on avait droit à : “Oh, mais c’est ton père qui est là !” » Julien, 20 ans

 

« Des fois, le prof me disait : “Eh, hein, tu fais le malin, hein ? Zwarte Piet !” C’était très péjoratif, voire même insultant. » Baseya, 21 ans

 

« On me disait : “Ouais, Zwarte Piet, c’est vous, c’est comme ça que vous êtes !” Nous qui ? Nous les Noirs ! En fait, Zwarte Piet c’est censé être nous. » Henri, 27 ans

 

Sources 

[1] K. Lemmens, “ The dark side of ‘Zwarte Piet’: A misunderstood tradition or racism in disguise? A legal analysis”. The International Journal of Human Rights  21 (2),p .
[2] E. Boer-Dirks, “ Nieuw licht op zwarte piet. Eeen kunsthistorisch antwoord op de vraag naar de herkomst “, Volskundig Bulletin, 19 ( 19933), pp.1-8.
[3] M.S,  “ Qui sont les trois terrifiants compagnons de Saint-Nicolas à travers l’Europe ? ”, disponible sur www.20minutes.fr, publié le 30 décembre 2019.
[4] Caroline Lallemand , “La Véritable histoire du père fouettard”, disponible sur www.levif.be, le  21 novembre  2019.
[5] X, “ père fouettard : ne pas laisser à la portée des enfants”,  disponible sur www.lalibre.be, le 06 décembre 2018.
[6] Unia, “ père fouettard : la position d’Unia “,  disponible sur www.unia.be , le 14 novembre 2016.
[7] M-T. Robert, “ blackface :  au chevet du privilège blanc”,  Tumultes, 2020/I ( n°54), pp 143-144.
[8] ibidem p.141.

 

 La haine raciale sur les Réseaux Sociaux 

 La haine raciale sur les Réseaux Sociaux 

   La haine raciale sur les Réseaux Sociaux 

Auparavant, les réseaux sociaux n’existaient pas et le racisme n’était visible que dans le “monde réel”, dans la réalité sensible . Or, désormais, en un clic nous disposons de l’information  que nous cherchions, nous pouvons communiquer avec des personnes à l’autre bout du monde. Mais loin de n’apporter que des aspects positifs,  les réseaux sociaux engendrent des aspects négatifs. 

Le déferlement de la  haine raciale est l’un d’eux.

En effet, à cause de la  popularité des réseaux sociaux, de leur diversité mais aussi de leurs réglementations floues, les discours de haine sont nombreux et se diffusent rapidement sur les différentes plateformes [1]. Alors que des personnes n’oseraient jamais tenir certains propos  de visui, Internet devient un défouloir où les langues se délient, de l’#antihomosexuel à #SiMaFilleRamèneUnNoir sous couvert de  la “liberté d’expression”[2].

Responsabilité et influence des différentes plateformes 

Bien que cela ne soit peut-être pas notre premier réflexe lorsqu’on aborde ce sujet, le racisme sur les réseaux sociaux se manifeste souvent en premier lieu dans la structure et le fonctionnement de la plateforme. En effet, comme le relèvent plusieurs auteurs tels que Marc Faddoul [3] et Sendhil Mullainathan [4], les algorithmes ne sont neutres qu’en apparence. 

Ainsi, sur Tik Tok, les recommandations de comptes faites aux utilisateurs se basent sur les caractéristiques physiques des photos de profil des comptes que les utilisateurs suivent déjà. Ce phénomène se nomme “filtrage collaboratif” et peut être problématique car il peut reproduire les préjugés des gens. 

Si la majorité des créateurs populaires sur TikTok sont blancs, par exemple, cela peut empêcher que les créateurs de couleur ayant moins de followers soient vus et recommandés aussi souvent sur la plateforme”[3]. 

Cela implique également que ces créateurs racisés soient moins rémunérés pour le contenu qu’ils produisent et ne puissent donc pas vivre du fruit de leur travail, et cela non pas à cause de la qualité de leur contenu mais bien à cause des biais des algorithmes. 

D’après une enquête du Wall Street Journal [5], les algorithmes employés par Tik Tok recommandent également plus souvent des créateurs correspondant à certains critères de beauté. Si cela est déjà très problématique en soi, les critères sur lesquels se basent ces algorithmes sont des critères de beauté occidentaux, ce qui exclut une fois encore les personnes racisées des recommandations de Tik Tok.

Sendhil Mullainathan, dans un article au New York Times, incite les plateformes à remédier au problème des préjugés algorithmiques, de la manière suivante : en “s’assurer que toutes les données nécessaires à l’algorithme, y compris les données utilisées pour le tester et le créer, sont soigneusement stockées ” [4]. 

Des contenus à connotation raciste …  

En second lieu, le racisme est également présent via le contenu partagé sur les réseaux. 

Le cas Tiktok

Comme mentionné dans le point précédent, la popularité est liée à la question algorithmique. D’ailleurs, un #BlackTikTokStrike a débarqué sur les réseaux pour dénoncer l’appropriation culturelle* des danses issues de la communauté noire. Beaucoup de tiktokeurs et influenceurs blancs reprennent – consciemment ou non – des danses qui deviennent virales, sous leur nom. 

Ce qui est décrié est le peu de popularité de ces danses lorsqu’elles sont exécutées par les auteurs noirs qui, par conséquent, ne perçoivent pas les retombées de leur création .. [7] 

La plateforme réagit :

Nous nous soucions profondément de l’expérience des créateurs noirs sur notre plateforme et nous continuons à travailler chaque jour pour créer un environnement de soutien pour notre communauté, tout en instillant une culture où honorer et créditer les créateurs pour leurs contributions créatives est la norme.”  [7]

L’ISD (Institute for Strategic Dialogue) s’exprime à travers d’un rapport sorti en août 2021 TikTok fonctionne comme une nouvelle arène pour les idéologies haineuses incitant à la violence.” [6] Des vidéos qui rient et nient l’Holocauste et l’instrumentalisation d’une chanson juive (Hava Nagila) sont des exemples percutants dénoncés par l’ISD [6].  Ils sont représentatifs d’une transmission de haine raciale. 

Sur Instagram, on peut rappeler le challenge lancé par la star de Télé-réalité Jazz qui s’est peint la moitié du visage en noir. Consciente ou non de son acte, elle s’est vite fait lourdement critiquée par les internautes [8]. Cette pratique nommée “BlackFace” est fortement empreinte de connotations racistes**. Avec les médias virulents, ce genre d’accident peut vite être repris par des personnes qui ont peu de recul critique sur lesréseaux sociaux, ou qui sont juste inconscientes de la problématique.

Les commentaires des utilisateurs 

Nous en parlions déjà dans notre article sur le racisme en milieu sportif lorsque nous soulignions les  commentaires haineux qu’on subit  les joueurs Marcus Rashford, Jadon Sancho et Bukayo Saka après la défaite de l’Angleterre en finale de l’Euro. Les internautes jouent aussi un grand rôle dans la propagation de la haine raciale sur les réseaux sociaux. 

Nous avons déjà tous vu des commentaires racistes sous des articles parlant d’immigration par exemple ou des incitations à la haine raciale  sur des réseaux tels que Twitter ou Instagram. Ces commentaires vont même parfois jusqu’à des appels aux meurtres, et bien que l’option “signaler ce commentaire” ou cette publication existe, il est à noter que les géants d’Internet sont généralement peu réactifs [9].  Ces outils de signalement ont été utilisés sur trois grandes plateformes ( Instagram, facebook et youtube)  par L’UEJF, SOS Racisme et SOS Homophobie et uniquement 77  contenus ont été supprimés sur les 548 signalés [10]. 

Equilibre entre la liberté d’expression et le devoir d’action 

 

Si une majorité d’internautes est consciente que de tels propos ont des impacts au-delà des réseaux sociaux, l’absence de conséquences sur la sphère digitale est une raison qui pousse à exprimer ouvertement une intolérance et/ou une haine envers certains groupes de personnes. Ce qu’il reste intéressant à noter est la justification souvent apportée  à ces propos : la liberté d’expression. Il s’agit du droit d’exprimer son opinion ou ses idées sans qu’une réprobation ne puisse être prise à l’égard de son auteur et ce, même si ces idées sont inconvenantes, déplacées, et outrageuses [11]. 

Toutefois, dans ce grand nombre de personnes qui invoquent la liberté d’expression pour vociférer des propos racistes et discriminatoires, peu importe la limite imposée  à cette liberté, lorsque ces propos révèlent une incitation à la haine, à la discrimination, à la violence ou à la ségrégation à l’égard d’autrui sur un lieu public* [11].

S’il est possible d’obtenir une condamnation pour ce type de propos en justice, il faut se demander s’il n’y a pas un moyen de prévenir ce type de comportement sur les réseaux sociaux.

*Notons qu’un lieu public désigne également tout message, vidéo ou photo sur internet qui est communiqué ou accessible à une ou plusieurs personnes. 

Les plateformes sont les vecteurs principaux  de la propagation du racisme. Elles ont une responsabilité à l’égard de la société d’introduire des règles de conduite et des sanctions suffisantes pour dissuader ce genre de commentaires. Cela est notamment appuyé par l’Union européenne qui a imposé une condamnation financière à tout réseau social qui ne respectait pas les réglementations luttant contre le racisme [12]. 

Au vu de ces règles et notamment de l’intervention de la justice, nous pouvons constater que certaines actions ont été entreprises par les plateformes digitales afin de remédier à ce problème. Ainsi, par exemple, il a été révélé par l’Unia que les plateformes ont employé du personnel chargé de nettoyer les commentaires haineux, dangereux et discriminatoires [12]. 

Toutefois, l’afflux de haine sur les réseaux ne fait qu’augmenter et certains doutent de la réelle effectivité du plan d’action de ces plateformes. A titre illustratif, le réseau Twitter a récemment été assigné en justice par quatre associations luttant contre des discriminations pour son manque de réelles actions [13]. Ceci n’est qu’un exemple de l’écart entre le devoir d’action des entreprises et la mise en œuvre d’une véritable restriction. Mais expliqué ci-dessus, le même problème est toujours observé sur les autres plateformes populaires sur lesquelles il reste possible de véhiculer des discours racistes sans réelle conséquence. 

 

* N’hésite pas à aller lire l’article sur l’appropriation culturelle pour en savoir d’avantage (12 avril 2021)

** Notre position sur le phénomène “BlackFace” est expliquée dans l’article “Pourquoi le père fouettard est-il problématique?” (6 décembre 2020)

 

SOURCES : 

[1] A. de Latour, N. Perger, R. Salaj, C. Tocchi, P. Viejo Otero, C. Del Felice et  M. Ettema, R. Gomes, “Alternatives: Les contre-récits pour combattre le discours de haine ”, Strasbourg, France: Conseil de l'Europe, 2017, p. 45.

[2] G. Peronne, “Discrimination et réseaux sociaux”, disponible sur www.pnrs.ensosp.fr, Décembre 2014. 

[3] Forbes, “Tik Tok : la plateforme est-elle raciste?”, disponible sur www.forbes.fr, publié le 15 avril 2020

[4] The New York Times, “Biased algorithms are easier to fix than biased people”, disponible sur www.nytimes.com, publié le 06 décembre 2019. 

[5]The Wall Street Journal, “Inside Tik Tok’s algorithm: a WSJ video investigation”, disponible sur www.wsj.com, publié le 21 juillet 2021. 

[6] Protestinter, A.  Molina, “Tiktok gangrené de contenus racistes, antisémites et islamophobes” disponible www.reformes.ch, publié le 31 août 2021

[7] Courrier International, “ #BlackTikTokStrike, le mouvement de révolte des danseurs noirs”, disponible sur www.courrierinternational.co , publié le20 juillet 2021

[8] G. Dauge, “PHOTO Jazz (JLC Family) accusée de “blackface”, elle supprime son dernier cliché qui fait polémique”, disponible sur www.voici.fr, publié le 1 juin 2021

[9] C. Belaïch , “ Peut-on lutter contre l’incitation à la haine sur les réseaux ”, disponible sur www.liberation.fr, publié le 13 mai 2016.

[10] SOS Racisme, “ SOS Racisme, SOS Homophobie et l’UEJF étrillent Twitter, YouTube et Facebook”, disponible sur www.sos-racisme.org,  consulté le 16 octobre 2021.

[11] UNIA, “Les limites à la liberté d’expression”, disponible sur https://www.unia.be, consulté le 15 octobre 2021.

[12] K. Azzouz, “Racisme et réseaux sociaux : l'impunité s'est pris les pieds dans la toile”, disponible sur https://www.rtbf.be/, publié le 19 février 2020. 

[13] Martin Untersinger, “ Twitter assigné en justice pour son « inaction massive » face aux messages haineux”, disponible sur www.lemonde.fr, publié le 12 mai 2020.