La Prison

 

Le reflet d’un racisme structurel.

Emiliano Bar, 2019, Alcatraz San Francisco USA, Unsplash, accessed 02.01.2024, https://unsplash.com/photos/empty-prisoner-cell-OeAWU9VSHzo

Introduction 

Les établissements pénitentiaires sont des lieux dans lesquels se retrouvent un mélange de cultures et d’origines. L’incarcération de masse des personnes racisées participe activement à renforcer les inégalités et les stéréotypes. Les faits de discriminations fondés sur la couleur de peau ou la religion sont courants et reflètent les problèmes rencontrés en dehors des murs des prisons. Dans cet article, nous allons aborder le problème du “racisme dans le milieu carcéral”.  Afin de définir au mieux les différents enjeux, il est important de contextualiser et de donner quelques chiffres. 

 

La Prison: le Reflet d’un Racisme Structurel

Nous nous concentrerons principalement sur les situations belges et françaises. Il est important de le préciser car le racisme en prison ne s’y manifeste pas de la même façon que dans d’autres pays, les États-Unis par exemple.  Aussi la Belgique compte 35 établissements pénitentiaires [1] dans lesquels sont enfermés 10’808 détenus [2] . Parmi ceux-ci, on estime que 44% de la population pénitentiaire est constituée de personnes n’ayant pas la nationalité belge [2]. Au -delà de ce premier fait, un deuxième constat est marquant : la surreprésentation des personnes racisées, souvent issues de classes populaires dans ce milieu.  Ces constats reflètent un racisme structurel qu’il est parfois difficile de déceler. 

Le problème du racisme est présent dans tous les aspects de la boucle pénale, et commence dès lors au sein même des institutions étatiques et plus précisément de la justice et des forces de l’ordre. Il s’agit du premier vecteur par lequel une différence de traitement est appliquée [3]. Ainsi, Jacques Toubon, défenseurs des droits, explique que des pratiques policières se traduisaient par un « profilage racial et social » lors des contrôles d’identité. À Paris, des ordres et consignes discriminatoires enjoignant de procéder à des contrôles d’identité de « bandes de Noirs et de Nord-Africains » et des évictions systématiques de « SDF et de Roms » ont été diffusés.”

Ces actes sont définis comme des contrôles de faciès et peuvent mener à des violences policières ainsi que des jugements de condamnations disproportionnés au détriment des personnes racisées [3]. En Belgique, de nombreuses associations et institutions dénoncent depuis longtemps les pratiques de profilages mais aussi les violences policières dont font particulièrement l’objet les personnes racisées [4][5]. 

 

Si vous faites l’objet ou si vous êtes témoins de violences policières, nous vous invitons à vous rendre sur le site “https://policewatch.be/” qui vous aiguillera vers différents services que cela soit pour porter plainte, témoigner et/ou se remettre de cet épisode traumatique. 

 

Le racisme se retrouve aussi au sein de notre système pénal, dans la mesure où lorsque l’on est étranger et/ou sans domicile fixe, il est plus courant de faire de la détention provisoire. En effet, la décision de placer un individu en détention provisoire, c’est-à-dire le fait de se faire enfermer en attente d’un procès,  se base sur différents critères et notamment le risque de se soustraire à la justice. Ce risque serait supposément plus facile si l’on est étranger (retour dans son pays) ou sans domicile fixe (pas de résidence où la personne peut être assignée). 

 


Réflexion : si en théorie on peut comprendre ce raisonnement, il participe à alimenter un système raciste et classiste. Il contribue aussi à alimenter la surpopulation et donc les conditions inhumaines dans les prisons belges, puisque ⅓ des détenus sont en détention provisoire.  De plus, on s’interroge sur la pertinence d’un tel critère, une personne poursuivie par exemple pour fraude fiscale n’a-t-elle pas plus de moyens pour quitter le territoire belge? 


 

Au sein des établissements carcéraux, tant les détenus que les gardiens évoquent un nombre important de comportements racistes. Lors d’une étude sur le racisme dans le milieu carcéral, plusieurs détenus ont témoigné des inégalités auxquelles ils faisaient face : 

« Les détenus et, dans certains cas, les surveillants ont des préjugés. Il y a de bons surveillants ici mais, c’est un fait, il existe du racisme. Ça se perçoit dans la façon dont on est traité, dans l’attitude et le comportement. Vous pouvez le sentir. Pourquoi est-ce que l’on vous traite différemment ? Vous, vous attendez certaines choses depuis trois mois et, en fin de compte, c’est un autre qui parvient à obtenir les mêmes choses plus rapidement que vous. Bien entendu, vous vous posez la question : « elle est où, la différence ? ». La seule différence, c’est la religion et la couleur de peau » [6]

Le dernier numéro du journal “La Brèche” met également en lumière d’autres éléments qui contribuent au racisme au sein de nos établissements, notamment dans différents aspects de la lutte contre la radicalisation en prison et dans la criminalisation des drogues. Nous vous renvoyons dès lors vers ce numéro [7]. 

Enfin, lors de la sortie de prison, un énorme stigmate pèse sur les personnes détenues ce qui rend plus complexe leur réinsertion: accès au logement, à l’emploi, rupture des liens familiaux et amicaux, poids du casier judiciaire…[8] Pour les personnes racisées, il s’agit une nouvelle fois d’une double “peine” puisque l’accès au logement ou à l’emploi par exemple sont des situations où le racisme systémique se manifeste une fois de plus. 

 

Situation Réelle des Personnes Incarcées

La situation réelle des personnes incarcérées est souvent bien loin de ce qui est promu par les textes législatifs internationaux et propres à l’institution. La population (ou “sur”population) présente derrière les barreaux est très hétérogène ; la prison recense un grand nombre de “cultures” différentes. Souvent causes de multiples soucis, les barrières linguistiques et culturelles sont représentatives d’un racisme systémique présent. 

 

Barrière linguistique 

“La discrimination fondée sur […] la langue […] est interdite par tous les instruments mondiaux et régionaux des droits de l’homme” (Nations Unies, 2004) [9].

 

Pour rappel, en Belgique, il y a trois langues nationales: le français, le néerlandais et l’allemand. Beaucoup de personnes incarcérées ne parlent pas la langue du pays dans lequel elles se trouvent au moment de cette incarcération. En France, certains chiffres de l’Education nationale affirment que 6% des personnes incarcérées ne parlent pas le français et 8% éprouvent beaucoup de difficulté [11].  Dès lors, sans moyen de communication, le nombre de freins à l’intégration augmente encore d’avantage.  D’ailleurs, en Belgique, en 2017, 44% des personnes incarcérées sont d’origine étrangère [12]. Cela pose souvent des soucis pour la compréhension de la situation et ne permet pas une bonne communication entre les membres représentants l’institution carcérale (comme les agents pénitentiaires) et les détenus. Pourtant, tout prisonnier, qu’importe le pays où il se trouve, doit recevoir les informations utiles concernant sa situation dans une langue qu’il comprend.  C’est pour cette raison que plusieurs formations existent au sein de la prison. Plusieurs d’entre elles ont comme objectif d’apprendre la langue “nationale” (de la prison). Néanmoins, la prison referme rapidement les portes de son château fort. Le manque de personnel, les grèves ou les pandémies empêchent souvent les services extérieurs à la prison (et donc les formations) d’entrer. 

Chomel Javotte, formatrice en français et langues étrangères en maison d’arrêt, a pu repérer plusieurs raisons pour lesquelles ne pas savoir communiquer dans une langue connue stigmatise, empêche l’individu d’avancer et rend le quotidien compliqué. 

  • Connaître les règles internes à la détention
  • Circuler en détention et en avoir la permission
  • Accéder aux premiers soins 
  • Gérer sa situation pénale
  • Accéder à des activités et formations
  • Participer aux échanges collectifs [10] 

Il n’y a bien évidemment pas que les soucis propres aux contacts avec l’institution. Comme elle le souligne : le langage est davantage une fonction qu’un outil. Il permet de rentrer en relation avec autrui et avec soi-même. La barrière linguistique empêche rapidement la personne en détention à se reconstruire grâce aux “peu” d’outils proposés par l’institution. En plus de cela, cela empêche les contacts et enferme la personne dans une position “faible”. Les barrières linguistiques ont un impact réel sur les conditions de vie des personnes détenues. 

 

Barrière Culturelle 

Au-delà de la différence de la langue, il existe une diversité culturelle qui peut poser des problèmes. Pourquoi parlons-nous de barrière ? Car il existe une quasi négation de la culture des détenus au sein de leur prison belge. En effet, bien que le droit à la culture soit reconnu par la constitution belge, il n’est jamais réellement considéré pour les personnes détenues. Ce droit se retrouve associé à d’autres activités dites “formation et de loisirs” au lieu d’avoir ses propres modes d’action et de développement [13]. En mettant la culture  sous la coupole de “formation et de le loisirs”, elle se retrouve limitée à des activités culturelles de type artistiques au lieu de viser le maintien des relations des détenues avec leur culture étrangère. 

Puisque La culture détermine plusieurs aspects de la personnalité d’un individu, il est important de la prendre en compte dans l’analyse des rapports en  prison. Les personnes dites  étrangères se retrouvent dans un fonctionnement (judiciaire comme pénitencier)  différent  et cela peut avoir un impact négatif sur leur mental. 

Par culture, on entend aussi la religion. Chaque religion à ses codes et ses chefs religieux. Malheureusement, il est à constater que certaines de ses personnes de contact et/ ou chef religieux ont dû/ doivent  se déplacer bénévolement en prison, ce qui, de facto,  diminue  leur présence [14]. Cela a par exemple été le cas des imams jusqu’à l’arrêté royal du 17/05/2019 qui leur octroie officiellement une rémunération comme tout autre représentant de culte. Dans le but de lutter contre la radicalisation, l’arrêté royal de 2016 avait déjà fait une avancée en augmentant le nombre de conseillers islamique à 26 au lieu de 17. 

 


Réflexion:   En ayant connaissance des stéréotypes existant autour de la religion musulmane ainsi que les raisons qui ont poussé à cette élargissement du nombre de conseillers musulmans, plusieurs questions se posent. Nous pouvons nous demander si ces avancées légales ont un réel lien avec la volonté d’assurer un accès à leur religion aux détenues, ou si, elles ont été mises en place dans le but de participer aux  préjugés que subissent les personnes de confession musulmane. 


 

De plus, le personnel pénitentiaire n’a aucune formation sur les règles et coutumes propres à chaque communauté [15]. Les prisons belge ayant  beaucoup de profils étrangers  des formations devraient être fournies au personnel sur l’ouverture culturelle afin de déconstruire certains stéréotypes. Enfin,  comme cela a été le cas lors la création des “ghetto”,  les differents nationalités se retrouvent généralement regrouper par cellule ou par bloc [15]. 

 


Réflexion:  Bien qu’on puisse voir cela comme une envie de réunir les personnes partageant la même culture,  cette pratique pourrait avoir un aspect négatif selon nous. En effet, nous trouvons que ce communautarisme forcé est une barrière à la diversité et à la  déconstruction des stéréotypes.


Les différents éléments expliqués tout au long de cet article nous amène donc à considérer que les barrières linguistiques et culturelles font partie intégrante du racisme systémique. 

 

 
Sources

[1] DG EPI, Rapport annuel 2017, 2017, p.8. 
[2] Ces chiffres datent du 31 janvier 2020. Voy. M. F. AEBI et M. M. TIAGO – SPACE (Council of Europe Annual Penal Statistics), Prison Populations. SPACE 1 -2020, Conseil de l’Europe, Strasbourg, mis à jour le 11 avril 2021, p. 62
[3] GENEPI, “Pour un Genepi antiraciste”, disponible sur www.genepi.fr, consulté le 8 mars 2021, p. 2.
[4] Unia, Identifier et affronter des problèmes et abus dans la sélectivité policière. Une recherche-action sur les pratiques et/ou mécanismes problématiques de sélectivité policière au sein de la zone de police Schaerbeek-Evere-St-Josse (PolBruNo), 2020. 
[5] N. Kumba, “Répertoire des violences policières”, disponible sur zintv.org, consulté le 15 mars 2021. 
[6] Les musulmans en prison en Grande-Bretagne et en France, James A. Beckford, Danièle Joly, Farhad Khosrokhavar,   Presses Universitaires de Louvain, 2005, p. 208.
[7] Genepi Belgique,“Racisme et criminalisation: des populations dans le viseur”, La Brèche, n° 4, 2022. 
[8] B. Liaras et S. Dindo, “Le poids du stigmate”, disponible sur oip.org, consulté le 15 mars 2021. 
[9] Nations Unies.”Les droits de l’homme et les prisons. Manuel de formation aux droits de l’homme à l’intention du personnel pénitentiaire”, 2004
[10] Chomel, J. “Intervenir en dispositif de formation linguistique en milieu carcéral. VST - Vie sociale et traitements”. 2014, 124, 62-68. https://doi.org/10.3917/vst.124.0062
[11] OIP. “Quand la prison redouble la barrière de la langue”. Disponible sur https://oip.org/analyse/ Publié le 2 février 202.
[12] Prison Insider. “Belgique: les prisons en 2021. Populations spécifiques.” Disponible sur https://www.prison-insider.com/fichepays/belgique-2021
[13]Bibiana Vila Giménez “Su l’action culturelle en milieu carcéral “ dans « Neuf essentiels pour » Des outils pour vivre ensemble” culture & democratie 2015 p22.
[14] S. Snacken,“ Etranger  dans les prisons Belges : problème et solutions possible - rapport d’étude”, Vrij universiteit Brussel  p.55
[15] S. Snacken,“ Etranger  dans les prisons Belges : problème et solutions possible - rapport d’étude”, Vrij universiteit Brussel  p.56