les violences sexospécifiques: une approche intersectionnelle

Sneha SIvarjan, une photo en noir et blanc d’une femme portant un foulard, Unsplash, publié le 27 septembre 2021, disponible sur https://unsplash.com/pt-br/fotografias/uma-foto-em-preto-e-branco-de-uma-mulher-usando-um-lenco-AhfrQsQkceU

 

Introduction 

TW : violences sexuelles 

Chaque jour des violences sexuelles et de genre sont perpétrées majoritairement par des hommes à l’encontre de femmes[A]. Si cette réalité est de plus en plus connue, médiatisée et combattue, il reste encore difficile d’obtenir des sources documentant l’ampleur et l’impact de ce phénomène sur les femmes racisées et donc de mesurer l’aspect systémique de ces violences dans une approche intersectionnelle[B]. 

Au travers de cet article, nous avons décidé de faire le jour sur ces questions et donc, plus précisément, sur les violences sexospécifiques (c’est-à-dire les violences sexistes, sexuelles, et de genre) à l’égard des femmes racisées ainsi que l’accompagnement de ces femmes au niveau institutionnel (police, justice). 

Si, évidemment, les éléments que nous mettrons en lumière pourraient, chacun, faire l’objet d’un article, notre objectif, ici, est de souligner la dimension globale et systémique. 

Au vu du sujet traité, n’hésitez pas à interrompre votre lecture si celle-ci devenait inconfortable/difficile et à prendre un moment pour prendre soin de vous.

1. Violences sexistes et sexuelles à l’égard des personnes racisées 

 

photo du site https://www.noustoutes.org/manif2022/

À la racine des violences sexistes et sexuelles à l’égard des personnes racisées, il y a la question des stéréotypes, préjugés et stigmates qui leur sont accolés et qui favorisent d’autant plus la production de discriminations et de violences[C].

Ainsi, les stéréotypes vis-à-vis des femmes racisées, notamment sur leur sexualité, dans nos sociétés belges et françaises sont des stéréotypes directement liés à notre passé colonial (et au colonialisme encore actuel). Rokhaya Diallo et Grace Ly illustrent cela en démontrant que la fétichisation des femmes racisées découle directement de la colonisation, période durant laquelle les colons ont cherché à asseoir leur domination de plusieurs manières notamment au moyen de viols [D]. Françoise Vergès fait également le lien avec les pratiques esclavagistes et coloniales, où les femmes racisées étaient considérées comme des objets sexuels [E].  

Un ensemble de préjugés se sont construits à partir de ce terreau fertil qu’a été la colonisation pour les violences sexuelles et de genre. Sur base de leurs corps, de leurs couleurs de peaux, de leurs traits physiques, les femmes racisées sont tantôt rejetées tantôt hypersexualisées; tantôt considérées comme douces et dociles – faciles à dominer, tantôt considérées comme puissantes sexuellement, animales – qu’il faudrait “dompter”. [F]

Ces stéréotypes se sont insinués partout, participent aux imaginaires collectifs autour de la sexualité, d’autant plus que l’industrie de la pornographie s’en fait l’écho. À titre d’exemple, la requête « beurette » est aujourd’hui l’une des plus courantes dans les moteurs de recherche des sites pornos. [D]

Au-delà de participer à l’essentialisation des femmes racisées, la perpétuation de ces clichés conduisent à ce que ces femmes soient victimes de plus de violences. 

Selon Amnesty International en effet, les femmes noires ont 84% de risque en plus d’être mentionnées dans un message abusif ou problématique que les femmes blanches sur les réseaux sociaux.[G]

Dans le cadre d’une enquête dont la commune d’Ixelles est à l’initiative, liée aux agressions à Ixelles et au mouvement #balancetonbar, 70,7 % des personnes rapportant se sentir discriminées en raison de leur origine ethnique ou culturelle rapportent avoir vécu une ou des violences sexuelles ayant un caractère discriminatoire relatif à l’origine ethnique ou à la culture. 75 % des personnes rapportant se sentir discriminées en raison de leur couleur de peau rapportent avoir vécu une ou des violences sexuelles ayant un caractère discriminatoire. Dans ce même rapport, il a été reconnu que les caractéristiques discriminatoires additionnelles de ces agressions sexuelles opèrent comme un multiplicateur de violence et aggravent le traumatisme vécu par les personnes concernées. [H]

Les femmes racisées sont impactées par toutes les formes de violences, en ce compris les violences conjugales. [I]

2. Violences sexuelles à l’égard des personnes en parcours migratoire

Mika Baumeister,personnes en T-shirts jaunes et roses, Unsplash, publiée le 24 novembre 2020, disponible surhttps://unsplash.com/fr/photos/personnes-en-t-shirts-jaunes-et-roses-YaHlnh6ItjA

Sans que les éléments détaillés ci-avant ne soient considérés comme invalides, il semblait important de considérer la situation spécifique dans laquelle se retrouvent les femmes en parcours migratoire. En effet, ces personnes se retrouvent dans des contextes de vulnérabilité très importants que cela soit durant leur parcours ou dans leur pays d’accueil. [G] 

Si leur condition spécifique est prise en compte par différents instruments juridiques internationaux, tels que la Convention d’Istanbul ou la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, force est de constater qu’en pratique, elles restent confrontées à de nombreuses violences. Pour ne se limiter qu’à la Belgique, le dernier rapport du GREVIO sur la situation dans notre État, souligne la nécessité de revoir en profondeur les lois et politiques en matière d’immigration en vigueur car, en l’état, elles ne garantissent pas une protection suffisante et effective en matière de violences faites aux femmes. [J]

 

3. La réponse institutionnelle face à ces violences:

Si les femmes racisées sont donc particulièrement visées par des violences sexistes et sexuelles, la réponse institutionnelle à ces violences en constitue une elle aussi.  

En effet, au-delà des difficultés rencontrées par toutes les femmes dans le dépôt d’une plainte ou dans le processus de la justice pénale, ce processus est d’autant plus difficile pour les femmes racisées dans un contexte plus global de violences policières et de justice raciste. 

Pour beaucoup de femmes racisées victimes de violences sexistes et sexuelles, le choix de porter plainte ou non est grandement influencé par l’impact négatif des expériences vécues dans les autres sphères de leur vie sociale et la méfiance envers les services de police. 

Cette méfiance serait, entre autres, le résultat de nombreux phénomènes, comme la  discrimination systémique des personnes racisées, la surreprésentation de ces personnes parmi les victimes de violences policières, le profilage et la surveillance policière accrue de ces populations. 

En outre, plus spécifiquement pour les femmes en parcours migratoires, cela est dû à la précarité du statut, la méconnaissance du fonctionnement du système juridique, l’isolement, les défis engendrés par le processus migratoire, la discrimination à l’égard de ces femmes ou certaines mauvaises expériences avec les forces de l’ordre dans le pays d’origine.

Quand elles décident de porter plainte, ces femmes sont encore susceptibles de subir des entraves au bon fonctionnement de la procédure judiciaire. 

En effet, toutes victimes de violences sexistes et sexuelles fera fort probablement face à une banalisation des violences sexospécifiques, la culture du viol, le manque de connaissance sur les processus de victimisation, l’insensibilité et les attitudes culpabilisatrices de la part des acteurs et actrices du système judiciaire et les longs délais.
A cela s’ajoutent des obstacles spécifiques aux personnes racisées en raison de l’intériorisation de certains stéréotypes. [K]

Les stéréotypes que nous mentionnions précédemment sont également ici à l’œuvre. “Les femmes noires sont perçues comme plus irrationnelles, plus résistantes à la violence et plus agressives que les femmes blanches (Richie, 2000). Parce que la « bonne victime » de violence est perçue comme la victime d’une violence unilatérale de contrôle, la « bonne victime » ressemble plutôt à une femme blanche, tandis que les femmes noires voient les violences qu’elles subissent légitimées par leurs stéréotypes raciaux de comportement et souffrent d’un déficit de crédibilité comme victimes auprès des associations et surtout du système judiciaire ; les femmes noires passent donc pour de « mauvaises victimes »(West, 2004 ; Sokoloff et Dupont, 2005). La focalisation sur la dimension genrée de la domination a fonctionné aux dépens des dimensions économiques et raciales”[I].  

Conclusion

Cet article a démontré une fois encore la nécessité d’appliquer une lecture intersectionnelle aux différents phénomènes sociaux, en l’occurrence les violences sexospécifiques. Cette approche est nécessaire tant au niveau théorique qu’au niveau pratique et donc à mobiliser dans les outils de lutte, de prévention et de sensibilisation

Sources:

[A] Nous utilisons les mots femmes pour englober toutes les personnes subissant ou ayant subi différentes formes de sexisme : les femmes cis, les femmes trans, ainsi que toutes les victimes de sexisme qui ne s'identifient pas en tant que femmes comme les personnes AFAB et les personnes non-binaires.

[B] Voy. les articles déjà présents sur la page “Racism Search” abordant la question.   

[C] HAMEL, C., « La sexualité entre sexisme et racisme : les descendantes de migrant·e·s du Maghreb et la virginité », Nouvelles Questions Féministes, vol. 25, no. 1, 2006, pp. 41-58.

[D] DIALLO, R. et LY, G., « La geisha, la panthère et la gazelle », Podcast Kiffe ta Race, épisode 3, 2018. 

[E] VERGES, F., Un féminisme décolonial, La fabrique Éditions, 2019. 

[F] Voy. les articles déjà présents sur la page “Racism Search” abordant la question de l’hypersexualisation et des préjugés.

[G] Amnesty International, « Des recherches participatives sur Twitter révèlent l’ampleur choquante des violences en ligne à l’égard des femmes », Communiqué de presse, 18 décembre 2018, disponible sur: https://www.amnesty.org/fr/latest/press-release/2018/12/crowdsourced-twitter-study-reveals-shocking-scale-of-online-abuse-against-women/ (consulté le 6 février 2023). 

[H]Egerieresearch, « Diagnostic intersectionnel du vécu des femmes, des personnes sexisées, racisées et faisant partie de la communauté LGBTQIa+ dans le milieu festif et les bars en particulier », Rapport, Avril 2022, disponible sur : https://ds.static.rtbf.be/article/attachment/11005607/c/3/f/f9d6d25b559f8c8ad375aa4f42db9cba.pdf (consulté le 6 février 2023). 

[I]BONNET, F., « Violences conjugales, genre et criminalisation : synthèse des débats américains », Revue française de sociologie, vol. 56, no. 2, 2015, pp. 357-383.

[J]GREVIO, « Rapport d’évaluation de référence - Belgique », Conseil de l’Europe, 21 Septembre 2020. 

[K]THIBAULT, S., PAGÉ, G. et BOULEBSOL, C., Justice pour les femmes marginalisées victimes de violences sexospécifiques. Ce que la littérature et les intervenantes nous apprennent, Québec, 2022.