Les zoos humains : la conquête de “l’exotisme”

Les prémices  des zoos humains 

Bien que les zoos humains soient documentés à partir du 19e siècle,  leurs origines remontent bien avant cette période. Elles peuvent être retracées :

→ Dès le 14ème siècle, avec les exhibitions de certaines personnes d’origine extra-européennes devant des publics restreints.  Un exemple est  l’exhibition d’autochtones Arawaks ramenées des “Amériques” par Christophe Colomb devant la Cour de la Reine Isabelle de Castille [1]. 

→ Ainsi qu’au 17ème siècle, lors de l’apparition des jardins zoologiques [2]. Ces jardins zoologiques étaient envisagés comme des extensions de musées, ayant pour mission de recenser et cataloguer la diversité du vivant via les voyages des explorateurs [2]. 

À partir du 19ème siècle, il ne s’agit plus d’exposer uniquement des animaux et une nature dite “exotique” mais aussi des êtres humains. On reconnaît notamment le grand entrepreneur allemand de cirque, Carl Hagenbeck, pour avoir popularisé l’idée de présenter des personnes d’autres cultures dans des zoos afin de les rendre accessibles au grand public comme les animaux [3]. Ces zoos humains se distinguent des exhibitions réalisées jusqu’ici car le but est de mêler la  pseudo-science, au spectaculaire pour exposer des personnes décrites comme racialement inférieures [4]*.

A group of Igorot displayed at a human zoo during the St. Louis World’s Fair[1][2]

Les zoos humains: outils de propagande coloniale

 A cette époque, en Europe, les grandes puissances renforcent leur plan colonial et l’esclavagisme d’autres peuples en les mettant en avant lors d’événements tels que l’ exposition d’Amsterdam en 1883 ou l’Exposition universelle de Paris en 1878 [5]. La Belgique n’y échappe pas et le roi Léopold II utilise l’Exposition internationale pour sa propagande coloniale et sa recherche d’investisseurs* au Congo.  Celle-ci se déroule à Tervuren (Bruxelles) du 10 mai au 8 novembre 1897 [6]. C’est à cette occasion que le roi Léopold II ordonne la construction du « Palais des Colonies » à Tervuren, actuellement connu sous le nom de Palais de l’Afrique, sur le site de l’ancien pavillon du prince d’Orange, qui avait été détruit par un incendie en 1879 [6].  

Poster for the colonial section of the 1897 International Exposition

 

Des villages congolais avaient été reconstruits dans le parc de la Warande à Tervuren dans le but d’attirer les visiteurs.  Deux des 269 Congolais·e·x·s prévu·e·x·s pour y vivre ont trouvé la mort pendant le voyage [7]. Sept autres Congolais·e·x·s – Ekia, Gemba, Kitukwa, Mpeia, Zao, Samba et Mibange – n’ont pas survécu et ont été enterré·e·x·s à Tervuren [7]. Après leur décès, il leur est refusé d’être enterré·e·x·s dans le cimetière local. Ce n’est qu’en 1953 que leurs restes sont déplacés dans des sépultures situées dans la cour de l’Église catholique Saint-Jean l’Évangéliste de Tervuren [6]. Chaque année, une journée de commémoration est organisée en leur honneur par des collectifs tels que le collectif Mémoire Coloniale. Notons que ces expositions ne visaient pas exclusivement les personnes africaines mais aussi les autres peuples considérés “de race inférieure”. Par exemple, 14 autochtones d’Araucanie (Chili) sont aussi exposés dans le Parc Léopold à Bruxelles en octobre 1883  [8]. Bien que ces expositions n’obtiennent pas le consentement de toute la population belge, un “village congolais” est également construit pour l’Expo 58 à Bruxelles où des étudiant·e·x·s congolais·e·x·s sont mis·e·x·s en jeu. Alors même que l’indépendance congolaise gronde, cette  surface d’exposition réservée au Congo cherche à justifier la présence de la Belgique au Congo [8]. 

* Nous vous invitons à lire notre article sur la définition du racisme et sur le non existence du racisme anti-blanc pour comprendre le hiérachisation des races. 

* Pour rappel, à cette époque les colonies n’appartiennent pas à l’État belge mais au Roi Léopold II. 

L’après zoos humains, la continuité de la déshumanisation 

Malgré la fermeture des zoos humains dans le cadre des “expositions universelles”, la déshumanisation des personnes racisées continue.. Non sous la forme frontale qu’on a pu voir des années auparavant, mais de manière plus insidieuse.

La tribu des Jarawa – Inde

Dans l’archipel d’Andaman- et-Nicobar en Inde, la tribu isolée des Jarawa sert d’attraction touristique. Les touristes traversent leur terre en se croyant dans un safari. Par ces pratiques et  la sédentarisation forcée depuis les années 1990, cette tribu est menacée d’extinction et avec elle, tous leurs savoirs ancestraux.

Le parc “Bamboula”  – France

Le parc “Bamboula” était le plus célèbre zoo humain moderne qui fut fermé en 1994 seulement [9]. La marque St Michel qui commercialisait les biscuits “Bamboula” a été le sponsor d’un “parc animalier” près de Nantes qui fut en réalité un zoo humain moderne. Entre  girafes et autres lions, il existait un village ivoirien à la demande du directeur, Dany Laurent [9]. Des artisan·e·x·s, danseur·euse·x·s, chanteur·euse·x·s y furent installé·e·x·s dans des conditions inhumaines et dégradantes tout en étant soigné·e·x·s par des vétérinaires [9]

Le village de Kirikou dans le chemin de brousse, Planète Sauvage (Loire-Atlantique, France)

Ces personnes prétendument envoyé·e·x·s par l’Office ivoirien du tourisme pour promouvoir la culture ivoirienne se sont retrouvé·e·x·s enfermé·e·x·s comme des animaux, Leurs passeports ont été confisqués, et la protection des travailleur·euse·x·s prévue par le droit français n’était pas en application. Les enfants présents étaient scolarisé·e·x·s seulement quelques heures. Les danseuses ont quant à elles subi des agressions sexuelles de la part de membres de l’organisation [9] . Sans oublier qu’elles étaient toutes mineures, entre 13 et 15 ans, et devaient danser de 12h30 à 18h30; ;le tout seins nus en extérieur, seulement vêtu d’un pagne et d’un bambou sans chaussures [9]. La section nantaise du Syndicat national des artistes musiciens (SNAM), auprès d’autres organisations, a elle aussi dénoncé les conditions de travail de ces artistes. La SNAM a comparé ce village à une nouvelle exposition coloniale, mêlant humains et animaux. 

Suite à la mobilisation de plusieurs associations, le collectif « Non à la réserve humaine » a vu le jour et a saisi l’affaire devant la justice. Le 1er juillet 1997, le tribunal de Nantes a condamné le parc pour violation du droit du travail et droits fondamentaux [9]. Le village ivoirien disparaît en septembre 1994, le parc est renommé « Planète Sauvage ». En 2013, l’ancienne zone du village devient un espace animalier pour Madagascar et les lémuriens. En 2014, le village Kirikou est créé en collaboration avec Michel Ocelot [9].

Les pygmées camerounais – Belgique

Nature preserve owner Louis Raets shows off one of his displays as part of a Pygmy village exhibition at the Oasis Nature Park in Yvoir, Belgium. Although the show has led to protests, Raets insists the showcase is to inform people of the Pygmy way of life and in no way attempts to shame anybody.

En 2002, à Yvoir, l’ASBL “Oasis Nature” est à l’origine d’une exposition sur la vie des Pygmée·x·s camerounais [11]. Durant cette exposition, des Pygmées sont venu·e·x·s du Cameroun pour reconstituer un village Bakas et se mettre en scène en chantant et dansant. Cette exposition a soulevé de nombreuses questions et réactions, notamment du Mouvement des Nouveaux Migrants (MNM) qui souligne la déshumanisation de ce type d’événement. Cependant,  l’ASBL s’est toujours défendu de réaliser ce projet dans le but de sensibiliser les Belges aux problématiques que rencontre ce peuple. Ces pratiques coloniales contemporaines ont évidemment eu des conséquences sur la perception qu’ont les personnes blanches des personnes racisées

 






Conclusion : Des zoos humains aujourd’hui ? Leurs formes et ses conséquences

La télévision a elle aussi participé à la création de zoos humains modernes. Les émissions de télé “découverte” telles que “Predators, Tribes, and me” (BBC Earth), continuent d’imposer une distinction entre l’Occident et le reste du monde comme étant “moins évolué”,  ou “bizarre”.  Pour les chercheurs Nicolas Bancel et Olivier Razac, puisque les téléréalités mettent en avant des groupes de personnes issues de milieux ou de régions “stigmatisés” en jouant sur ces stéréotype; elles en font des “acteur·ice·x·s” de divertissement, rejoue le schéma du zoo humain [12].

Le voyage peut lui aussi participer à une modernisation du zoo humain [13], lorsqu’on souhaite s’immerger dans une culture et découvrir un pays. Si l’on prend le concept des Clubs Med par exemple, ils ont pendant longtemps invisibilisé les travailleur·euse·x·s locales ou réalisé des mises en scène de leur culture de manière très stéréotypée. La découverte d’une autre culture n’est présente que pour divertir les touristes et participe rarement à l’économie locale.

Que ce soit les zoos humains de l’époque ou les zoos humains d’aujourd’hui, le constat reste le même : ces outils participent à l’exotisation et l’infériorisation de l’Autre qui est généralement une personne racisée. Cela participe grandement à maintenir des stéréotypes qui ont vu le jour durant l’époque “des explorations” et avec la propagande coloniale jusqu’à aujourd’hui.  Par ces stéréotypes* et selon son origine ethinique, l’Autre est vu comme sauvage, bête, voleur·euse, sale, coincé·e, rigide etc…  mais on l’applaudit pour ses danses et ses plats exotiques. Il est donc nécessaire de faire un travail de déconstruction de nos représentations pour replacer les personnes blanches et personnes racisées sur le même pied d’égalité. 

*Voir nos deux articles sur les stéréotypes pour avoir des exemples et comprendre le poids de ces stéréotypes

 

Sources

[1]  P. Blanchard, “ De la a Vénus hottentote aux formes abouties de l’exhibition ethnographique et coloniale Les étapes d’un long processus (1810-1940)”, in La venus Hottentote , 2013, p. 38.

[2] N. Bancel, « Introduction : Zoos humains : entre mythe et réalité », Nicolas Bancel éd., Zoos humains. Au temps des exhibitions humaines,  2004, La Découverte, p.7. 

[3] P. Blanchard, N.Bancel et al, “ Zoo humains et exhibitions coloniales : 150 ans d’inventions de lAutre, 2011, La découverte, p.16. 

[4] N. Bancel, « Introduction : Zoos humains : entre mythe et réalité », Nicolas Bancel éd., Zoos humains. Au temps des exhibitions humaines,  2004, La Découverte, p.8.
[5] P. Blanchard, “ De la a Vénus hottentote aux formes abouties de l’exhibition ethnographique et coloniale Les étapes d’un long processus (1810-1940)”, in La venus Hottentote , 2013, p. 52.

[6] AfricanMuseum, “ Le zoo humain de Tervuren (1897)”, disponible sur www.africanmuseum.be, consulté le 10 mars 2024.

[7] Presses Nord-Sud, “ Africa Tervuren et les zoos humains: une expo”, disponible sur ww.arpns.be, publié le 29 septembre 2021.

[8] Culturemedia, “ «Zoo humain au temps des exhibitions coloniales à l’Africa Museum”, disponible sur www.culturemedia.be, publié le 16 février 2022. 

[9] Julien Coquelle-Roëhm et Nina Soyez “ Retour au «village de Bamboula»: en 1994, un «zoo humain» à prétention touristique”, Médiapart, publié le 9/05/2021, 

[10] France Inter,  “Le village Bamboula” dernier zoo humain en France, émission radio publié le 18/01/2022 

[11] La Libre, “Des pygmés exposés aux regards”, disponible sur www.lalibre.be, Publié le 25-07-2002

[12] Les Zoos humains aujourd’hui, Pascal Blanchard, disponible www.cairn.info, Publié le 01/04/2010

[13] Compte instagram @decolonial.voyage, consulté le 11 mars 2023