Quand les colons ont imposés l’homophobie en Afrique 

32 des 54 pays africains ont encore une législation qui pénalise les relations entre personnes de même sexe. Ces textes ne sont pas issus des cultures indigènes : ils ont été  importés  soit par les autorités coloniales, en particulier britanniques, soit par la charia suite à la conquête arabe. Cela signifie qu’avant cela, les personnes LGBTQ+ faisaient partie de la norme dans les diverses sociétés africaines.

La 1ère représentation d’un couple homosexuel dont on est trace se trouve d’ailleurs en Afrique : des archéologues ont trouvé des gravures sur les murs d’un mastaba  (édifice funéraire egyptien) à Saqqarah en Égypte qui montre deux hommes s’embrassant. ils  représentent Khnoumhotep et Niânkhkhnoum, ayant vécu sous la Ve dynastie (-2500 à -2350).

Khnoumhotep et Niânkhkhnoum, nécropole de Saqqarah Egypte

en Angola

chez le peuple Quimbandas, la sodomie entre hommes était une pratique courante. Certaines personnes biologiquement masculines se vivaient comme femmes  s’habillaient en femme tout en se considérant comme tel. Leur grand-prêtre, le Ganga-Ya-Chibanda avait d’une expression de genre féminine et se faisait appeler “grand-mère”. 

→ dans le peuple Gangella, les relations amoureuses et sexuelles entre personnes du même sexe étaient courante, iels portaient le nom de “aponji” ou “Katumua”, les Wawihé utilisaient quant à eux le terme d’’”okulikoweka” qui renvoie aux rapports sexuels entre personnes du même genre. 

Les pratiques homosexuelles avaient aussi un aspect rituel et spirituel dans certaines sociétés. On y retrouve des traces lors de rites initiatiques ou de passage d’étapes de la vie. Dans les rites initiatiques, certaines de ces pratiques permettaient de renforcer la cohésion sociale, d’initier à l’art de la guerre, ou encore de marquer le changement de statut sexuel de l’individu. 

→ Dans le peuple Kivaï, en Côte d’Ivoire la sodomie est utilisé comme un rituel pour rendre la personne plus vigoureuse, tandis que les peuples Bantous, au Cameroun  la sodomie est perçue comme un remède apportant la richesse. Dans le modèle ancestral,  l’homosexualité est utilisé comme un outil de transmission du folklore et « constitue le second lien de parenté qui succède à la relation mère-enfant »  

Mariage Zoulou entre deux hommes ENCA via youtube

En 2000, la recherche atteste ainsi l’existence normée de l’homosexualité dans plus de 50 peuples traditionnels à travers le continent (1).

  • Comment l’homophobie est apparue en Afrique ? 

Les colons européens arrivent massivement à la fin du XIXème siècle, et s’imposent aux populations autochtones en usant notamment de méthodes dites d’assimilation

→ L’assimilation se produit lorsque par la volonté d’intégrer un groupe ou une minorité, en le dépossédant de sa culture. 

Pour “civiliser” ces peuples, des congrégations et sociétés spécialisées dès le  missionnaires se sont créées. D’abord par la Papauté, avec la Congrégation de la Propagande (1622). Elles ont connu un renouveau au XIXe siècle avec des congrégations dédiées spécifiquement dédiées à l’Afrique . Leurs missions étaient multiples : l’ouverture d’écoles, imposant par l’éducation aux enfants africain·e·x·s la langue, la religion, la culture les lois et tout ce qui a un rapport avec l’Europe; l’ouverture d’églises et la tenue de messes, d’institutions pour orphelin·e·x·s qui étaient chapeauté·e·x·s par les soeurs. Les populations africaines vont donc subir ce qu’on appelle un phénomène d’acculturation

Dans son livre “The Geography of Perversion: Male-To-Male Sexual Behavior Outside the West and the Ethnographic Imagination”, C. Rudy Bleys démontre que les pays occidentaux ont imposée une “conception biaisée” de l’homosexualité, la “diabolisant” et la stigmatisant dans la loi. 

Les pays colonisés par les Britanniques, après leur prise d’indépendance, ont longtemps conserver le Code pénal des colonies dans lequel se trouve Criminal Law Amendment Act (1885) pour ce qui est de l’interdiction de la sodomie puisque “vice contre nature” pour le droit britannique (1). 

L’influence du christianisme a largement contribué au maintien des queerphobies sur le continent africain, notamment à cause de l’influence qu’a gardée la religion dans le domaine politique. La conception chrétienne traduite dans la loi a donc toutes deux joué un rôle important dans ce changement de paradigme. 

En 1885 l’Angleterre promulgue le Criminal Law Amendment qui va être appliqué sur tout l’Empire, et qui continue encore aujourd’hui de servir de base juridique pour criminaliser l’homosexualité dans les pays dits ‘anglophone’. Dans son livre “The Sexual Demon of Colonial Power”, Greg Thomas, en se basant sur les travaux de la philosophe jamaïcaine Sylvia Winter, explique que les catégories de sexe et de genre ne sont pas naturelles.  D’après lui, elles ont été créées dans un contexte de naturalisation du colonialisme et de l’esclavage. Il précise d’ailleurs que “le genre n’est pas seulement une construction sociale, c’est culturellement spécifique, c’est une construction sociale et bourgeoise de l’Occident“

 

« the sexual demon of colonial power » – Greg Thomas

 

  • situation à l’heure actuelle donner plusieurs exemples de pays 

Le Nigeria, ancienne colonie Britannique est devenue indépendante en 1960 en héritant de l’anglais comme langue officielle et d’une constitution laïque. Cette dernière garantit à tous.te·x·s le droit à une éducation sans discrimination, ainsi que le droit à la vie privée. Pourtant ce pays possède des lois qui criminalisent les actes homosexuels. Les peines, en fonction des Etats et de la situation maritale, vont du paiement d’une amende, en passant par 14 ans d’emprisonnement, jusqu’à la peine de mort *. Toutefois, aucune mise à mort n’aurait été réalisée à ce jour.  * La Mauritanie, la Somalie et le Soudan usent aussi de la peine de mort contre les personnes homosexuelles.

Les lois antigay, héritées de la colonisation britannique, jouent encore un rôle majeur dans la vie des Nigérians. Certains évangélistes américains alimentent les stéréotypes homophobes coloniaux à travers le financement de programmes antigay sur les campus universitaires. En 2011, par exemple, ces derniers ont lancé une campagne en distribuant des t-shirts affichnat “Le mariage homosexuel est anormal et non africain” (2). 

Les missionnaires évangélistes sont grandement présents dans la sphère politique nigériane et interviennent toujours massivement dans les domaines de l’éducation et de la santé, s’occupant de l’administration des orphelinats. Le président nigérian Goodluck Jonathan a signé en 2016 une loi interdisant le mariage homosexuel, les boîtes gays, l’appartenance à une organisation de défense des droits des personnes LGBTQ+ ainsi que les manifestations d’amour dans l’espace publique entre personnes du même sexe (1)

En Ouganda, Frank Mugisha, directeur de l’organisation Sexual Minorities Uganda, accuse les évangéliques américains ayant dirigé des “ateliers antigays” d’avoir provoqué le meurtre de David Kato, militant pour les droits des personnes LGBTQ+, en 2011. (1) 

Le Kenya a quant à lui validé  en 2019 une loi punissant de 14 ans d’emprisonnement les personnes ayant des rapports homosexuels.

David Kato, Ugandan.Credit Associated Press

Dans les pays où il n’y a pas de risque juridique, il existe malgré tout un risque de rejet communautaire ou de discriminations pour les personnes homosexuelles. Le site “Global attitudes Survey on LGBT people” (ILGA) montre qu’en 2016, 51% des Africains pensent que l’homosexualité est un phénomène occidental. Cela fait écho aux années 90 où les présidents Mugabe, au Zimbabwe, et Nujoma, en Namibie, ont qualifié l’homosexualité de « dépravation importée de l’Occident ». En outre, selon une étude menée par  l’association “The initiative for equal rights” en 2017, 91% des Nigériens pensent qu’on ne naît pas homosexuel. En Ouganda, lors de  la conférence “the gay agenda the whole hidden and dark agenda” datant de 2009, les religieux ont soutenu l’idée que les gays cherchent à détruire la culture ougandaise et à sodomiser les enfants africains.

L’homophobie d’État passe par la manipulation, l’instauration d’un sentiment de peur et le mensonge. En 2010, celle-ci est à son paroxysme lorsque le magazine Rolling Stone publie une liste répertoriant plus de 100 personnalités homosexuelles. Pour chacun des profils relatés figurait une adresse et un nom accompagné d’une photo ainsi que l’injonction suivante “pendez-les”. Le journal Red Pepper fait de même en 2014, au lendemain de la ratification d’une loi interdisant la promotion de l’homosexualité et obligeant à dénoncer les personnes homosexuelles. L’Uganda National Pastors Task Force against homosexuality, une association défendant la peine de mort à l’encontre des homosexuels, et la National Coalition against homosexuality and other sexual abuses ont mené une campagne appelée « Kick sodomy out of Uganda ». Résultat, en octobre 2021, 16 militant·e·x·s LGBTQ+ sont arrêté·e·x·s, torturé·e·x·s et violé·e·x·s par la police. 

Il est aisé de voir ici que comment cette homophobie d’État ouvre la voie à des violences en tous genres contre les personnes LGBTQ+ . Pour la chercheuse et activiste Neela Ghoshal, « le message envoyé à la population est que l’on peut menacer et battre des homosexuels sans conséquence de la part de l’État ». Les hommes politiques exploitent ainsi cette diabolisation implantée par une moralité religieuse occidentale pour se maintenir au pouvoir. 

  • piste d’amélioration

Le chercheur nigérian Kehinde Okanlawon  considère l’oppression hétéronormatique comme un héritage néo colonial et préconise la constestation du récit d’Etat selon lequel l’homosexualité n’est pas africaine. Comme nous avons pu le voir précédemment, les africain·e·s sont historiquement tolérant·e·s sur les diversités LGBTQ+. Afin de réparer les dégâts de la colonisation, il explique que cela peut se faire en créant des politiques de développement plus sensibles et en amenant les évangéliques antigay devant la justice.

En 2019, en Angola, le Parlement a retiré de son Code pénal l’“interdiction de tout comportement homosexuel“, interdissant ainsi toute discrimination basée sur l’orientation sexuelle. Dans la même lancée, le Botswana a dépénalisé l’homosexualité. (1) Bien que cette dépénalisation n’empeche pas l’homophobie, cela reste un pas important pour l’émancipation et la sécurité de la communauté LGBTQ+ dans l’Afrique post-coloniale.

 

sources : 

  • (4) « L'homosexualité en Afrique : sens et variations d'hier à nos jours ». Charles Gueboguo in Socio-logos n°1 (2006)
  • “La confusion des genres” de Jacques Barou in L'école des parents 2014/2 (N° 607), pages 34 à 36, Éditions Érès
  • (6) “Missions chrétiennes, christianisme et pouvoirs en Afrique noire de la fin du xvm° siècle aux années 1960 : permanences et évolution”, in Outre-mers, revue d’histoire (1er semestre 2006) de Bernard Salvaing
  • https://www.persee.fr/issue/outre_1631-0438_2006_num_93_350?sectionId=outre_1631-0438_2006_num_93_350_4205
  • (7) “Fake history, misunderstanding colonial legacies, and the demonization of homosexuality” in Democracy In Africa By Aileen Waitaaga Kimuhu  23 March 2023