[L’intelligence Artificielle et ses Biais] Episode 2: Erreurs de Classification

[L’intelligence Artificielle et ses Biais] Episode 2: Erreurs de Classification

L’apprentissage automatique et ses biais

Dans cet article, nous explorons les marges d’erreurs des algorithmes d’apprentissage automatique, et comment ces marges d’erreurs, inĂ©vitables, peuvent mener Ă  la propagation de biais systĂ©miques.

Si vous n’avez pas encore lu notre article d’introduction, jetez-y un coup d’oeil, nous utiliserons les mĂȘmes analogies et le mĂȘme vocabulaire.

IdĂ©e : Si vous n’avez pas encore lu notre article d’introduction, jetez-y un coup d’Ɠil : nous y introduisons les analogies et le vocabulaire utilisĂ©s dans cette partie 2 de l’article.

Qu’est-ce qu’un algorithme? [1]

La perte est la “quantitĂ©â€ d’erreur que l’algorithme fait entre ses predictions et les Ă©tiquettes des observations. Seulement voilĂ , tout comme les humains, il est presqu’impossible pour un algorithme d’avoir une perte de 0. Et quand il en a une, de perte de 0, souvent, cela cache autre chose… Utilisons l’exemple que l’on vous a laissĂ© Ă  l’article prĂ©cĂ©dent; un algorithme qui voudrait classer des chats et des chiens. Pendant l’entrainement, l’algorithme voit ces observations-ci:

Comment classifiera-t-il George d’aprùs vous?

Mettons que l’algorithme ait une marge d’erreur de 0, et prenne la couleur de la fourrure en compte. S’il apprend la formule : “si la fourrure est noire, alors c’est un chat”, il classifiera toujours le chat noir correctement, et n’aura aucune erreur de classification pour les autres animaux qui se trouvent dans le set d’entrainement.

Par consĂ©quent, il ya une forte probabilitĂ© qu’il fasse le raccourci “si la fourrure est noire alors c’est un chat”, et que George soit pris pour un chat ( probabilitĂ© proche de 1). Il aura donc surajustĂ© pendant l’entrainement. C’est Ă  dire qu’il n’aura pas tenu en compte le fait que des chiens noirs puissent exister, meme s’ils n’ont pas Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ©s dans les observations. Il n’a pas prĂ©vu l’imprĂ©visible! Mais le peut-il?

La généralisation

Le set de données [2]

IdĂ©alement, nous voudrions que le set d’observations que nous donnons Ă  l’algorithme soit le plus complet possible. C’est Ă  dire, qu’il soit un maximum exhaustif, et diffĂ©rent [2]. Pour illustrer nos propos, prenons une peinture:

Pour comprendre le sujet de notre peinture, nous voudrions que les “morceaux” de l’oeuvre que l’on arrive Ă  voir Ă  travers la foule dans le musĂ©e (observations) soient exhaustif, c’est Ă  dire qu’il reprĂ©sente un maximum de dĂ©tails pour que nous puissions comprendre et complĂ©ter le reste de l’oeuvre nous meme, dans notre imaginaire.

Cependant, avoir un Ă©chantillon exhaustif est assez compliquĂ©. C’est pour ça qu’il est aussi important d’avoir des observations variĂ©es, pour rĂ©colter un maximum d’information sur le sujet de la peinture. Un manque de variĂ©tĂ© pourrait, par exemple, nous faire croire que ce tableau est en fait un jardin de rose, ou ne se constitue que de fleurs et de blasons flottants.

En bref, lorsque notre Ă©chantillon est Ă  la fois exhaustif et variĂ©, tout comme nous avec nos peintures, l’algorithme aura donc plus de facilitĂ© Ă  anticiper et comprendre ce qui se passe en dehors des Ă©chantillons observĂ©s pendant l’entrainement! Si l’on ajoute donc un chien noir dans nos observations de base, l’algorithme ne se basera pas que sur la couleur pour se faire une opinion, et aura une plus petite erreur.

 Les Traits [3]

Une maniĂšre plus simple d’endiguer le problĂšme aurait Ă©tĂ© de ne pas utiliser la couleur de la fourrure comme trait. DĂšs lors, l’algorithme aurait Ă©tĂ© obligĂ© de prendre d’autres traits tel que la taille, la forme des pattes, le poids, etc. de l’animal. Cela aurait pu cependant entrainer d’autres soucis, si il n’y a que des grands chats et des petits chiens, ou des chats obĂšses et des chiens malnouris.

L’intuition derriĂšre le choix des traits est que peu importe les observations que je reçois, je dois construire des traits qui me permettront de capturer les diffĂ©rences essentielles entre les deux groupes que j’essaye de classifier.

Dans l’exemple ci-dessous, mon algorithme gĂ©nĂ©ralise bien grace aux traits que j’ai choisi si, peu importe le pays dans lequel j’entraine mon algorithme, il est capable de reconnaitre les fruits et lĂ©gumes du monde entier!

L’entrainement [4]

Un autre mĂ©chanisme pour s’assurer que l’algorithme ne sera pas surajustĂ© et pourra bien gĂ©nĂ©raliser, est de partitionner alĂ©atoirement notre set d’entrainement en plusieurs parties.

Je m’explique. Imaginons nous avons toutes ces observations Ă  notre disposition, pour entrainer l’algorithme. Si nous les utilisons toutes pour l’entrainement, nous ne pourrons pas savoir si notre algorithme marche bien pour classifier des animaux qu’il n’a pas encore vus. Alors que dans la rĂ©alitĂ©, les algorithmes que nous utilisons n’ont (parfois) pas Ă©tĂ© entrainĂ©s sur nos donnĂ©es en particulier, mais sur plein de donnĂ©es, qui, on l’espĂšre, sont reprĂ©sentatives de la population.

On pourrait alors se dire que on pourrait garder une petite partie du set de donnĂ©es pour tester si l’algorithme gĂ©nĂ©ralise bien ou pas. Par exemple, dans l’exemple du dessous, on pourra se rendre compte qu’on a pas assez d’échantillons d’animaux noirs, ce qui pose un problĂšme pour l’algorithme.

Mais si on choisit notre partition différemment, notre algorithme apprendra peut etre mieux..

Comment faire? En apprentissage automatique, il est courant d’utiliser la “cross validation”. C’est Ă  dire d’utiliser diffĂ©rentes partitions. Une partition, c’est une maniĂšre de diviser un ensemble. Par exemple, dans mon ensemble (a, b, c, d, e), une partition possible est de faire (a, b, c) et (d, e) Une autre partition serait (a, d, e) et (b, c).

Pour chaque partition, on entrainera un algorithme sur la partie “entrainement” de la partition, et on calculera la perte sur la partie “test” de la partition.

Si la valeur des pertes sont diffĂ©rentes d’une partition Ă  l’autre, alors on pourra dire que l’algorithme n’est pas trĂšs stable, et est trĂšs sensible au changement, et donc ne gĂ©nĂ©ralise pas forcĂ©ment trĂšs bien. Il faudra donc bien faire attention Ă  la maniĂšre de construire les partitions, ou rĂ©colter plus d’observations.

Si la valeur des pertes est stable, alors on peut dire que l’algorithme gĂ©nĂ©ralise bien.

Cas d’Ă©tudes [5, 6, 7]

Maintenant que vous en savez un peu plus sur les failles d’algorithmes d’apprentissage automatique, vous avez tous les outils pour analyser et comprendre comment certains algorithmes peuvent avoir un impact nĂ©gatif sur les populations historiquement discriminĂ©es.

Prenons un algorithme fictif, qui prend, pour chaque élÚve, les traits suivants:

  • les note au dernier examen de math
  • le nombres d’heures de math par semaine que l’élĂšve suit
  • le type d’école (collĂšge, lycĂ©e, catholique, libre, etc.)
  • le nom de l’école (AthĂ©nĂ©e Royale de Vauban, CollĂšge du SacrĂ©-Coeur, Notre Dame des Champs, etc.)
  • la ville (Charleroi, Bruxelles, Namur, Marcinelle, etc.)

et qui tente, Ă  l’aide de ces traits, de prĂ©dire la note finale du prochain examen de math.

Quelle importance apporteriez vous Ă  chaque traits?

L’exercice

Prenez du temps pour réfléchir aux questions suivantes:

  • Quels traits jugeriez-vous importants pour la prĂ©diction, si vous Ă©tiez vous-mĂȘme enseignant·e·x·s?
  • Selon vous, quels traits pourraient biaiser l’algorithme?
  • Pourquoi les traits que vous avez choisis ci-dessus pourraient-ils crĂ©er des injustices?

La réalité

En tant qu’assistante de cours, j’aurais tendance Ă  regarder la note du dernier examen de math ainsi que le nombre d’heures suivies en math pour jauger le niveau de en ? mathĂ©matique s ?d’un·ex Ă©lĂšve. Vous aussi?

La réalité malheureusement, est parfois différente. En atteste le tristement célÚbre cas de prédiction de note en Angleterrelors de la période COVID.

Pour postuler dans une universitĂ© compĂ©titive, il vous faudra souvent soumettre vos bulletins de notes, votre CV et une lettre de motivation. Les universitĂ©s anglaises, elles, ont dĂ©cidĂ© d’ĂȘtre originales et de demander Ă  vos professeur·exs de prĂ©dire les notes que vous obtiendrez Ă  l’examen final (ce qui amĂšne dĂ©jĂ  plein de biais en soi meme).

Seulement voilĂ , :pendant le confinement, les professeur·exs ne pouvaient pas connaĂźtre leurs Ă©lĂšves. Donc, plutot que de ne pas utiliser le concept de notes prĂ©dites cette annĂ©e lĂ , l’Angleterre a dĂ©cidĂ© d’utiliser un algorithme d’apprentissage automatique pour faire les prĂ©dictions Ă  la place des professeur·exs!

Et, roulements de tambours…

L’algorithme ne fonctionnait pas trĂšs bien. Sur le graphe ci-dessous, on peut voir que pour 58.7% des Ă©lĂšves, les notes prĂ©dites par les professeur·xs Ă©taient similaires Ă  celles prĂ©dites par l’algorithme. Cependant, l’algorithme prĂ©disait des notes plus basses que celles des professeurs pour plus de 35% des Ă©lĂšves.

 

Sans surprises, cela a principalement impacté les minorités pauvres, et donc souvent racisées.

Pourquoi?

L’algorithme a pris en compte l’école dans laquelle l’élĂšve avait Ă©tĂ© scolarisé·ex pour faire sa prĂ©diction. Les Ă©lĂšves brillant·exs dans une Ă©cole oĂč la moyenne est un peu moins bonne que d’autres (gĂ©nĂ©ralement les Ă©coles publiques) ont donc Ă©tĂ© systĂ©matiquement sous-coté·exs. Au contraire, les Ă©lĂšves des Ă©coles privĂ©es, et donc mieux financĂ©es et beaucoup plus sĂ©lectives, ont elleux Ă©tĂ© surcoté·exs.

En bref, les élÚves des écoles publiques étaient désavantagé·exs, et celleux des écoles privées, davantages avantagé·exs.

Quels biais systĂ©miques cela entraĂźne-t-il, d’aprĂšs vous?

Parce que cet algorithme a principalement impactĂ© les Ă©lĂšves du public, et donc celleux venant d’un milieu socio-Ă©conomique en gĂ©nĂ©ral plus dĂ©favorisĂ© il a discriminĂ© davantages de personnes racisĂ©es que de personnes blanches, de par la rĂ©partition des richesses en Angleterre. Si personne n’avait trouvĂ© ce biais, cet algorithme aurait donc pu saboter la carriĂšre de nombreuses personnes racisĂ©es dĂšs leur entrĂ©e dans la vie adulte tout en donnant un avantage Ă  des personnes blanches, issues de milieu aisĂ©, scolarisé·exs dans des Ă©coles envoyant dĂ©jĂ  beaucoup de leurs Ă©lĂšves dans des universitĂ©s prestigieuses.

 

La propagation des biais

La propagation des biais ne doit pas etre inévitable. Pour endiguer ce phénomÚne, il est essentiel de travailler collectivement: programmeureuses/développeureuses/ingénieureuses, ainsi que sociologues, activistes, economistes, etc.

Dans le prochain article, nous introduirons un framework qui vous permettra d’analyser vous-mĂȘme les risques que les algorithmes dĂ©ployĂ©s peuvent engendrer, et nous analyserons plus de cas ensemble! N’hĂ©sitez pas Ă  nous faire des suggestions de cas pour notre prochain article!

À bientît!

 

 

Sources

[1] Lecture 3: Loss Functions and Optimization, Accessed May 5th, 2025. https://cs231n.stanford.edu/slides/2017/cs231n_2017_lecture3.pdf

[2] Mehrabi, Ninareh, et al. « A survey on bias and fairness in machine learning. » ACM computing surveys (CSUR) 54.6 (2021): 1-35.

[3] Hort, Max, et al. « Bias mitigation for machine learning classifiers: A comprehensive survey. » ACM Journal on Responsible Computing 1.2 (2024): 1-52.

[4] Lecture 4&5: Nonlinear Ridge Regression; Risk, Regularization, and cross-validation, Accessed May 5th, 2025 https://www.cs.ox.ac.uk/people/nando.defreitas/machinelearning/lecture4.pdf

[5] A-levels: Dreams ruined by an algorithm, Accessed May 28th 2025, https://www.bbc.com/news/uk-northern-ireland-53767773

[6] Coronavirus: The story of the big U-turn of the summer, Accessed May 28th 2025 https://www.bbc.com/news/education-54103612

[7] A-levels and GCSEs: Student tells minister you’ve ruined my life, Accessed May 28th 2025, https://www.bbc.com/news/uk-53791736

[L’intelligence Artificielle et ses Biais] Episode 1: Introduction Ă  la Classification

[L’intelligence Artificielle et ses Biais] Episode 1: Introduction Ă  la Classification

L’apprentissage automatique et ses biais

Notre quotidien est influencĂ© par une sĂ©rie d’algorithmes, invisibles ou non. Mais qui sont ces algorithmes? Comment sont ils dĂ©velopĂ©s?

Ont-ils des aspects cachés dont nous devrions nous méfier?

Dans cette sĂ©rie, nous nous concentrerons sur les algorithmes de l’apprentissage automatique, un sous-ensemble de l’intelligence artificielle.
Lis nos articles pour découvrir comment les biais sociétaux sont propagés et amplifiés à travers ces algorithmes.

 

Pour cette premiĂšre partie, nous vous donnons les outils nĂ©cessaire pour comprendre les bases de l’apprentissage automatique, pour plus tard comprendre comment les biais s’y introduisent.

Qu’est-ce qu’un algorithme? [1]

L’algorithme est Ă  l’informatique ce que la recette est Ă  la cuisine. Ses ingrĂ©dients sont des donnĂ©es, il est Ă©crit par des ingĂ©nieur·exs en informatique/informaticien·nexs, et Ă  la place de bons petits plats, l’algorithme nous ressort des rĂ©sultats digitaux.

Un exemple d’algorithme peut ĂȘtre simplement:

Si on lance l’algorithme de cette maniĂšre: addition(5, 6), il nous renverra 11. (Il prendra 5 comme Ă©tant a, et 6 comme Ă©tant b).

Un autre algorithme auquel vous ĂȘtes probablement confronté·exs de maniĂšre rĂ©guliĂšre est celui qui, par exemple, trie les articles que vous recherchez du moins cher au plus cher sur les sites de ventes en ligne. Cela peut paraitre assez simple. D’ailleurs, si je vous donne cette liste: [4, 7, 5, 78, 2] vous pouvez vous aussi la trier. Mais quand cette liste contient 100, 1000, 10000, etc. Ă©lĂ©ments, il est essentiel de trouver des moyens systĂ©matiques et beaucoup plus efficaces, et c’est lĂ  que les algorithmes sont les plus utiles: pour accomplir des taches que nous ne pourrions accomplir sans ordinateur, de par l’ordre de grandeur. Voici un exemple d’algorithme trĂšs simple de tri:

Un autre algorithme trĂšs simple et trĂšs courant est celui du filtre spam de votre boite email (si vous en avez une):

Une fois encore, l’algorithme que j’ai Ă©crit ci-dessus n’est pas optimal, et laissera beaucoup, beaucoup, beaucoup de spam passer 😉

En bref, un algorithme, c’est un ensemble d’instructions (recette) que notre ordinateur suit lorsqu’on le lance. Il prend parfois des donnĂ©es (les ingrĂ©dients), qu’il manipule en vue de crĂ©er le rĂ©sultat (les plats) qu’on lui a demandĂ© de nous donner.

Le cas de l’apprentissage automatique [2, 3, 4]

L’apprentissage automatique, c’est un algorithme qui utilise des principes de statistiques (rappelez vous de notre article statistiques et sociĂ©tĂ©) et d’optimisations.

Plus spĂ©cifiquement, l’apprentissage automatique, consiste Ă  entrainer des algorithmes qui apprennent/gĂ©nĂ©ralisent des donnĂ©es qu’on lui donne.

Il existe 3 grandes familles dans l’apprentissage automatique: l’apprentissage supervisĂ©, l’apprentissage non supervisĂ©, et l’apprentissage par renforcement. Pour comprendre les diffĂ©rences entre les trois, reprenons l’exemple des emails, et

d’un algorithme qui devrait comprendre quel email est un spam, et quel email n’est pas un spam.

 

L’apprentissage supervisĂ©

Le principe de l’apprentissage supervisĂ© est d’entrainer un algorithme en lui donnant une sĂ©rie d’observations qui sont Ă©tiquetĂ©es (par des humains) de maniĂšre Ă  ce que l’algorithme comprenne ce que cette observation reprĂ©sente.

Dans notre exemple, l’algorithme recevrait une sĂ©rie d’emails (observations) associĂ©s Ă  leur Ă©tiquette: spam ou non spam.

Le principe est de mimiquer la maniĂšre dont on apprend, par exemple, ce qu’est la diffĂ©rence entre une courgette et un concombre: on en voit lorsque l’on en achĂšte au supermarchĂ© (observations), et lorsque l’on en achĂšte un/une, l’étiquette sur la caisse dans laquelle nous prenons notre lĂ©gume fait littĂ©ralement office d’étiquette. Au fur et Ă  mesure, diffĂ©rencier les deux lĂ©gumes devient donc plus facile.

L’apprentissage non supervisĂ©

Dans l’apprentissage non supervisĂ©, il n’y a pas d’étiquettes. L’algorithme reçoit une sĂ©rie d’observation, et il est de son devoir de mettre toutes les choses qui se ressemblent ensemble, et que les choses qui ne se ressemblent pas soient dans des groupes diffĂ©rents.

Dans notre exemple, l’algorithme reçoit une sĂ©rie d’email, qu’elle va classer en diffĂ©rentes catĂ©gories. L’étiquette de cette catĂ©gorie est alors dĂ©terminĂ©e par un humain, et/ou par un autre algorithme (supervisĂ© cette fois-ci).

Naturellement, si vous aimez prendre beaucoup de photos en vacances, il est possible que en revenant, vous crĂ©iez des dossiers diffĂ©rents pour diffĂ©rents Ă©vĂšnement, diffĂ©rentes catĂ©gories de photos sans que quelqu’un vous donnes des instructions quant Ă  la maniĂšre de crĂ©er ces groupes.

L’apprentissage par renforcement

L’apprentissage par renforcement consiste Ă  laisser un algorithme explorer “un monde” en imitant un humain. Lorsque l’algorithme rencontre quelque chose qu’il ne devrait pas ĂȘtre en train d’explorer, l’algorithme est puni. Lorsqu’il explore une partie du monde qu’il est censĂ© explorer, il est rĂ©compensĂ©.

Par exemple, on pourrait laisser un algorithme imiter un humain lisant ces emails. S’il lit un spam, il est puni, s’il lit un email d’un contact existant, il est rĂ©compensĂ© (les rĂ©compenses et punitions sont prĂ©-dĂ©terminĂ©es, et Ă©tiquetĂ©es). Il pourra ainsi apprendre ce qu’est un spam ou non par lui mĂȘme.

Ce mode d’apprentissage mimique les situations oĂč les enfants sont puni·exs lorsqu’iels font des bĂȘtises, et sont rĂ©compensé·exs lorsqu’iels rĂ©ussissent quelque chose (par exemple Ă  l’école).

Dans le reste de cet article, nous nous concentrerons sur l’apprentissage supervisĂ©, principalement de la classification

La classification

Principe

Comme son nom l’indique, la classification consiste Ă  assigner Ă  chaque observation sa bonne Ă©tiquette: assigner Ă  une photo si elle reprĂ©sente un chat ou un chien, assigner Ă  une personne si elle risque de rĂ©cidiver ou non, assigner Ă  un email si c’est un spam ou non, assigner Ă  une recette si elle est saine ou non, etc. En d’autre terme, elle classe!

Comme mentionnĂ© ci-dessus, pour apprendre, l’algorithme doit s’entrainer. Reprenons l’exemple de nos recettes.

Nos observations seront les ingrédients, nos étiquettes sont les cakes, et nos algorithmes sont les recettes.

Un algorithme classique est l’équivalent d’une recette normale, telle qu’on peut les retrouver sur marmitton. Il exĂ©cute exactement ce qu’on lui a demandĂ© de faire.

Un algorithme d’apprentissage automatique apprend. L’équivalent est donc une recette oĂč le cuisinier doit apprendre les quantitĂ©s d’ingrĂ©dients, ou l’ordre dans lequel les ingrĂ©dients doivent ĂȘtre mĂ©langĂ©s/assemblĂ©s/cuits.

Pour s’entrainer (trouver les quantitĂ©s optimales de chaque ingrĂ©dients, ainsi que l’ordre dans lequel ils doivent ĂȘtre incorporĂ©s), l’algorithme d’apprentissage automatique (recette incomplĂšte) reçoit une sĂ©rie d’observations (le type d’ingrĂ©dients Ă  utiliser) et d’étiquettes (le rĂ©sultat optimal auquel on aimerait arriver).

Entrainement

Au dĂ©but de l’entrainement, l’algorithme d’apprentissage automatique commencera par une recette alĂ©atoire, qu’elle appliquera Ă  tous les ingrĂ©dients. Elle comparera ensuite les cakes obtenus avec cette recette (prĂ©dictions), et les comparera avec les cakes originaux (Ă©tiquettes).

L’algorithme utilisera ensuite un processus que l’on appelle backpropagation [7] pour ajuster la recette, faisant en sorte de rĂ©duire la diffĂ©rence entre les cakes produits par la recette apprise (prĂ©dictions), et les cakes originaux (Ă©tiquettes). L’algorithme arrĂȘte d’apprendre lorsque les diffĂ©rences entre les cakes originaux et les cakes rĂ©sultant des recettes apprises ne peuvent plus ĂȘtre rĂ©duites.

Sans rentrer dans les dĂ©tails, parce que le point de dĂ©part est alĂ©atoire, le point d’arrivĂ©e peut ĂȘtre diffĂ©rent aussi. C’est Ă  dire qu’une mĂȘme sĂ©ance d’entrainement reproduite deux fois pourrait crĂ©er des recettes diffĂ©rentes, et cela peut dĂ©pendre de plein de facteurs diffĂ©rents, y compris la recette de dĂ©but choisie alĂ©atoirement.

Test

La phase de test permet de vĂ©rifier que ce que l’algorithme a appris fonctionne bien. Pour cela, on va lui donner une liste d’ingrĂ©dients qu’il n’a jamais vu pendant l’entrainement. On mesure alors la vraie performance de l’algorithme d’apprentissage d’aprĂšs les diffĂ©rences entre les nouveaux cakes (Ă  partir d’ingrĂ©dients jamais vus), et les cakes originaux (auxquels ils auraient dĂ» ressembler).

La régression logistique [5, 6]

Passons maintenant aux choses sérieuses, et faisons un petit de peu de maths (promis, aucun calcul mental)!

La rĂ©gression logistique est un algorithme trĂšs utilisĂ© en apprentissage automatique, mais aussi en psychologie, sciences sociales, etc. A la frontiĂšre des statistiques et de l’apprentissage automatique, elle est un trĂšs bon exemple d’introduction.

Revenons Ă  l’exemple de notre algorithme de spam, et simplifions le problĂšme. ReprĂ©sentons chaque email par une sĂ©rie de traits, et donnerons l’étiquette de -1 si c’est un spam, et 1 si ça ne l’est pas.

trait

représentation mathématique

La langue de l’email (dans la/les langues par laquelle/lesquelles nous avons l’habitude de correspondre)

1 si c’est une langue que l’on parle, -1 si pas

La longueur de l’email

Le nombre de mots dans l’email

La prĂ©sence de demande d’argent

1 si il y a une demande d’argent, 0 sinon

L’heure de l’envoi

1 si c’est pendant les heures de bureau, 0 sinon

La prĂ©sence de l’expĂ©diteurice dans nos contacts

1 si la personne se trouve dans nos contacts, 0 sinon

Pour chaque trait, la rĂ©gression logistique va crĂ©er un paramĂštre, qu’elle va initialiser Ă  un nombre alĂ©atoire (recette du dĂ©but). Ces paramĂštres sont Ă©quivalent Ă  la structure de la recette. L’algorithme va alors apprendre la valeur optimale des paramĂštres pour que un maximum d’emails soient correctement classĂ©s.

Les paramĂštres sont utilisĂ©s de la maniĂšre suivante: chaque trait va ĂȘtre multipliĂ© par son paramĂštre correspondant, et tous ces produits vont ĂȘtre additionnĂ©s. Dans notre exemple ci-dessous, nous aurons donc: prĂ©diction = 1 * a + 23 * b + 1 * c + 0 * d + 0 * e. Si notre prĂ©diction est positive (>=0), nous considĂšrerons que l’email n’est pas un spam. S’il est negatif (<0) nous considĂšrerons que c’est un spam.

AprĂšs avoir vu beaucoup d’emails et leurs Ă©tiquettes, mettons que notre algorithme ai trouvĂ©s ces paramĂštres:

Et que nous avons ces trois emails:

“Coucou! Est-ce que tu pourrais demander Ă  ta sƓur si c’est elle qui a encore le tupperware que je vous avais donnĂ© il y a une semaine pour reprendre les lasagnes? Papa chĂ©ri”

“Hi! I’m from the US and I’m one of the richest men in the world. I’m actually Elon’s friend, and I’m looking for someone I can trust, so I can give them half of my fortune, which I don’t use currently. But first, to make the payment, I need your credit card number”

“Bonjour, c’est l’hĂŽpital, nous n’avons rien trouvĂ© sur vos analyses sanguines, recontactez nous dĂšs que possible pour que l’on reprogramme quelques tests. Cordialement, Dr. S.”.

Quels scores l’algorithme ci-dessus leur donnerait? Lesquels seraient classifiĂ©s comme spam?

Indices: Commencez d’abord par transformer chaque email dans ses traits numĂ©riques, puis utilisez la formule prĂ©diction= 1 * a + 23 * b + 1 * c + 0 * d + 0 * e, avec a = 0.4, b = 0.02, c = -0.7, d = 0.01, e =0.9.

En calculant les scores, vous vous ĂȘtes donc rendus compte que certains traits avaient plus d’importance dans le score final de prĂ©diction que d’autres. Les traits dont les paramĂštres ont la plus grande valeur absolue sont donc plus importants pour dĂ©terminer si l’email est un spam ou non. Les traits dont le paramĂštre est nĂ©gatif sont surement indicateurs de spam, tandis que les positifs sont indicateurs de non spam. (Il y a plusieurs nuances sur ces interprĂ©tations, donc il faut ĂȘtre prudent·ex, mais dans l’idĂ©e globale, c’est comme cela que ça se passe).

Classons des chats et des chiens!

Terminons par un exemple simple: un algorithme qui voudrait classer des chats et des chiens. Pendant l’entrainement, l’algorithme voit ces images là:

Comment classifiera-t-il cet animal d’aprùs vous?

 

 

Sources

[1] Introduction to algorithms. Lecture notes, MIT. Accessed April 27, 2025. https://ocw.mit.edu/courses/6-006-introduction-to-algorithms-spring-2020/477c78e0af2df61fa205bcc6cb613ceb_MIT6_006S20_lec1.pdf

[2] Lecture Machine Learning I. Lecture notes, KTH Royal Institute of Technology. Accessed April 27, 2025. https://www.kth.se/social/files/57398ec0f276541974919cc5/Lecture%20Machine%20Learning%20I.pdf.

[3] Machine Learning I. Lecture notes, EPFL Ecole Polytechnique Fédérale de Lausann. Accessed April 27, 2025. ML_course/lectures/01 at main · epfml/ML_course

[4] Lecture Machine Learning. Lecture notes, Harvard. Accessed April 27, 2025. https://github.com/harvard-ml-courses/cs181-textbook/blob/master/Textbook.pdf

[5] Cox, D. R. (1958). The regression analysis of binary sequences (with discussion). Journal of the Royal Statistical Society: Series B (Methodological), 20(2), 215–242.

[6] Werbos, P. J. (1974). Beyond Regression: New Tools for Prediction and Analysis in the Behavioral Sciences. PhD dissertation, Harvard University.

[7] Linnainmaa, Seppo (1970). The representation of the cumulative rounding error of an algorithm as a Taylor expansion of the local rounding errors (Masters) (in Finnish). University of Helsinki. pp. 6–7.

[Analyse, les outils du politique] Episode 1: Communautarisme, un outil politique pour légitimer les discriminations ?

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Définition et contexte belge

De nos jours, le terme  communautarisme  est souvent utilisĂ© de maniĂšre floue et nĂ©gative. À l’origine, il dĂ©signe une forme d’organisation sociale dans laquelle les membres d’une communautĂ© se rassemblent autour de valeurs, d’une culture ou d’une religion commune [1]. Historiquement, le terme a pu renvoyer Ă  des formes de communion et de solidaritĂ© entre individus partageant un destin ou des liens sociaux forts, voire Ă  un idĂ©al  [2]. Il s’oppose alors Ă  l’individualisme et parfois au collectivisme. Toutefois, son usage a Ă©galement pris une dimension plus anthropologique, mettant l’accent sur la tradition et des formes d’organisation collective qui s’Ă©loignent des modĂšles modernes de sociĂ©tĂ© et de nation [2]. 

Par consĂ©quent, pendant  une longue pĂ©riode, le mot communautarisme est perçu comme un terme positif. Cependant, Ă  partir des annĂ©es 1990 et de l’avancement de la lutte antiraciste en France, on constate une utilisation plus frĂ©quente du mot “communautarisme”, qui contrairement au mot communautĂ©, revĂȘt un aspect pĂ©joratif [3]. Comme le souligne la sociologue Nasira GuĂ©nif “On parle de communautarisme pour Ă©viter de mettre en Ă©vidence le fait qu’il y a toujours eu des communautĂ©s – et ainsi disqualifier certaines”[3]. 

DĂ©sormais, dans le dĂ©bat politique français, le terme communautarisme dĂ©signe, dans ce cadre, un repli d’un groupe sur lui-mĂȘme, en opposition Ă  l’idĂ©al rĂ©publicain d’une sociĂ©tĂ© unifiĂ©e [2].

Contrairement Ă  la France, oĂč la RĂ©publique se veut « une et indivisible », la Belgique s’est construite sur une reconnaissance explicite des communautĂ©s qui se retrouve dans son slogan “ l’union fait la force”. Ce principe remonte en rĂ©alitĂ© Ă  l’unionisme entre Catholiques et LibĂ©raux qui a permis Ă  la Belgique de prendre son indĂ©pendance en 1830 [4]. Ce compromis reconnaissait la pluralitĂ© des convictions existantes et admettait que la charge de les porter, de les animer et de les faire respecter par l’État revenait Ă  la sociĂ©tĂ© civile [4]. Loin d’ĂȘtre inconnu, le principe de sĂ©paration de l’Église et de l’État a Ă©tĂ© intentionnellement dĂ©laissĂ© par le lĂ©gislateur de 1830, du moins dans son interprĂ©tation stricte, ce qui produira dĂšs lors un socle lĂ©gal fortement influencĂ© par le parti catholique et, subsĂ©quemment, par la religion catholique [5].

Ce cadre historique a posĂ© les bases d’une dĂ©mocratie consociative, oĂč la Constitution belge de 1831 a Ă©tĂ© atteinte Ă  l’issue de nĂ©gociations entre ces diffĂ©rents acteurs.  MĂ©taphoriquement, on pourrait illustrer ce modĂšle de gouvernance par un arbre : l’État belge en constituerait le tronc, tandis que ses racines seraient les communautĂ©s idĂ©ologiques, religieuses, linguistiques et ethniques qui le composent et soutiennent sa structure. Ces communautĂ©s participent activement au processus dĂ©cisionnel, proportionnellement Ă  leur force Ă©lectorale et guidĂ©e par leurs Ă©lites [6].

Pourtant, bien que cette reconnaissance soit ancrĂ©e dans la tradition politique belge, le terme communautarisme est Ă©galement utilisĂ© de maniĂšre pĂ©jorative pour dĂ©signer les revendications de groupes minoritaires, et plus particuliĂšrement les personnes de confession musulmane qui cherchent Ă  faire valoir leurs droits [7]. Ce mot prend alors une extension exagĂ©rĂ©e, comme le souligne Justine Lacroix (professeure d’histoire de la pensĂ©e et de thĂ©orie politique Ă  l’ULB), pour dĂ©signer toute demande de reconnaissance [7]. Loin d’ĂȘtre une simple observation sociologique, il devient une arme rhĂ©torique utilisĂ©e pour alimenter des paniques morales et renforcer des politiques discriminatoires.

Une rhétorique politique raciste 

Plusieurs figures politiques belges ont utilisĂ© cette notion pour marginaliser certaines catĂ©gories de la population. L’ancien prĂ©sident de DĂ©FI, Pascal De Smet, avait accusĂ© Ecolo de promouvoir un « projet communautariste » pour avoir soutenu l’idĂ©e que des employĂ©es communales puissent porter le foulard [8]. De mĂȘme, Charles PicquĂ©, ancien ministre-prĂ©sident PS, avait dĂ©noncĂ© une « prĂ©fĂ©rence communautariste » au sein de son parti sans jamais dĂ©finir clairement Ă  quoi cela renvoyait, tout en prĂ©cisant qu’il ne parlait Ă©videmment pas du communautarisme flamand ou francophone [9]. Dans sa dĂ©fense d’une laĂŻcitĂ© ouverte, l’ancien ministre-prĂ©sident  prĂ©cise qu’il voit le communautarisme comme “un enfermement” contre lequel “il  faut former des passerelles, faut trouver des ponts pour ne pas s’enfermer dans ghetto culturel et communautaire” [9]. Cependant, il semble ignorer que ces « ghettos » dont il parle ne sont pas le rĂ©sultat de choix individuels des personnes concernĂ©es, mais bien le produit de dynamiques structurelles et sociales imposĂ©es. 

À Bruxelles, la structuration urbaine a historiquement conduit Ă  la marginalisation de certaines communautĂ©s.  La “Bataille des Marolles” en 1969 illustre comment les politiques d’urbanisme ont parfois servi Ă  dĂ©placer des populations dĂ©favorisĂ©es, renforçant ainsi les inĂ©galitĂ©s sociales [10]. Aujourd’hui encore, ces logiques se poursuivent : les populations prĂ©carisĂ©es, notamment issues de l’immigration, se retrouvent concentrĂ©es dans certains quartiers oĂč les investissements publics sont insuffisants [11]. Ce phĂ©nomĂšne, loin d’ĂȘtre un choix de ces habitants, rĂ©sulte donc de politiques urbaines historiques. Paradoxalement, cette ghettoĂŻsation, créée par la ville elle-mĂȘme, est ensuite instrumentalisĂ©e pour stigmatiser ces populations et les rendre responsables des conditions dans lesquelles elles vivent.

 

 (source : Le soir  https://www.lesoir.be/643531/article/2024-12-19/bruxelles-un-couvre-feu-impose-aux-mineurs-cureghem-pour-le-nouve)

Dans ce contexte, le terme communautarisme est instrumentalisĂ© pour justifier des politiques sĂ©curitaires ciblĂ©es envers les quartiers dits populaires. En effet, certains partis politiques belges l’emploient pour renforcer la surveillance des quartiers populaires et lĂ©gitimer l’usage de la force sur des populations issues de l’immigration [12]. Un exemple rĂ©cent est l’imposition d’un couvre-feu dans le quartier de Cureghem, oĂč rĂ©side une majoritĂ© de personnes racisĂ©es, et qui s’inscrit dans cette logique de criminalisation [13]. Loin de rĂ©pondre aux problĂ©matiques sociales de ces quartiers, ces politiques renforcent leur stigmatisation et participent Ă  leur marginalisation.

En imposant une prĂ©sence policiĂšre accrue, l’État met en place un contrĂŽle permanent de ces espaces, ce qui alimente les tensions et accroĂźt le risque de violences policiĂšres [14]. La rĂ©pression et la surveillance ciblĂ©es de ces quartiers contribuent Ă  imposer l’idĂ©e que certaines populations ne seraient pas intĂ©grĂ©es et reprĂ©senteraient une menace, tout en occultant les responsabilitĂ©s structurelles de l’État dans leur exclusion [14]. Cette approche dĂ©tourne l’attention des inĂ©galitĂ©s systĂ©miques en construisant l’image de communautĂ©s supposĂ©ment repliĂ©es sur elles-mĂȘmes, alors mĂȘme que ces quartiers sont avant tout le produit de politiques urbaines et Ă©conomiques discriminantes. – Nous tenons Ă  prĂ©ciser que la  gentrification, telle qu’elle est actuellement mise en Ɠuvre, ne constitue pas nĂ©cessairement une rĂ©ponse adĂ©quate Ă  cette situation. Il est essentiel de souligner que la mixitĂ© sociale doit ĂȘtre pensĂ©e de maniĂšre rĂ©flĂ©chie et accompagnĂ©e d’une amĂ©lioration des conditions de vie des populations prĂ©carisĂ©es. Sans cela, on observe surtout une augmentation des loyers et une inaccessibilitĂ© croissante de certains lieux pour une partie de la population, ce qui accentue encore la prĂ©carisation des habitants de ces quartiers.

De plus, ces discours politiques renforcent une lecture raciste de la sociĂ©tĂ© : ils prĂ©supposent que les personnes racisĂ©es ne seraient pas capables de faire communautĂ© dans leur(s) groupe(s), et avec la communautĂ© nationale, c’est-Ă -dire l’ensemble des individus partageant un cadre de vie commun, des droits et des devoirs au sein d’un mĂȘme pays. Cette considĂ©ration des anti-communautaristes signifie que faire partie de la communautĂ© nationale et d’une communautĂ© subsidiaire est incompatible, uniquement quand cette communautĂ© est racisĂ©e [15]. Ce rapport aux communautĂ©s racisĂ©es et communautĂ© nationale se retrouvait dĂ©jĂ  au XIXe siĂšcle dans le principe antisĂ©mite de la “double allĂ©geance” ou de la “double loyautĂ©â€ selon laquelle les Juif·ve·s seraient d’abord loyaux·ales envers d’autres Juif·ve·s avant d’ĂȘtre loyaux·ales envers leurs nations respectives [15] . Le terme communautarisme  devient alors un outil pour invisibiliser les dynamiques de discrimination structurelle, tout en rejetant la responsabilitĂ© de ces dynamiques sur les communautĂ©s elles-mĂȘmes.

 

( source : article The conversation, https://theconversation.com/belgique-vers-une-politique-religio-communautaire-241628)

 

Enfin, un autre exemple de la manipulation du terme communautarisme rĂ©side dans le fait qu’il est souvent instrumentalisĂ© pour limiter la participation politique de certaines communautĂ©s. Par exemple, des personnalitĂ©s comme Fouad Ahidar, prĂ©sident de l’Association des Marocains en Belgique (AMB), ont Ă©tĂ© associĂ©es Ă  cette notion pour les dĂ©peindre comme des dĂ©fenseurs d’intĂ©rĂȘts divisifs et incompatibles avec les valeurs belges [16]. Cette utilisation du mot communautarisme crĂ©e un double standard, oĂč les revendications des minoritĂ©s pour la reconnaissance de leur identitĂ© et de leurs droits sont vues comme une menace pour la cohĂ©sion sociale, tandis que les structures de pouvoir dominantes Ă©chappent Ă  toute forme de critique. Cette critique de communautarisme Ă  l’égard de certain·e·s candidat·e·s est Ă©galement critiquable Ă  cause du systĂšme communautaire sur lequel repose le systĂšme politique belge. En effet, La belgique a un  systĂšme politique fondĂ© sur des communautĂ©s linguistiques et culturelles (les Flamands, les Wallons et les Bruxellois),  qui reflĂšte un modĂšle de « communautarisme institutionnalisé » oĂč chaque communautĂ© bĂ©nĂ©ficie de reprĂ©sentant·e·s Ă©lu·e·s spĂ©cifiquement en fonction de leur appartenance linguistique et culturelle [17].

L’oubli des « communautarismes Blancs »

Commme le dĂ©montre la sociologue Sylvie Tissot,  le terme communautarisme est majoritairement employĂ© pour dĂ©signer les minoritĂ©s ethniques ou religieuses, tandis que les communautĂ©s dominantes, telles que l’entre-soi bourgeois, blanc et masculin, Ă©chappent souvent Ă  cette Ă©tiquette [18]. Pourtant, ces derniers correspondent parfaitement Ă  la dĂ©finition donnĂ©e par les politiques : un repli identitaire fondĂ© sur des valeurs et une culture commune.

Prenons l’exemple des cercles privĂ©s tels que les rallyes, les clubs de golf, les associations philanthropiques ou mĂȘme certaines fraternitĂ©s universitaires Ă©litistes (comme Reuzegom, qui a causĂ© la mort de Sanda Dia Ă  Leuven). Ces espaces sont souvent homogĂšnes sur le plan socio-culturel et fonctionnent sur une logique d’entre-soi. Pourtant, ils ne sont jamais qualifiĂ©s de communautaristes dans le dĂ©bat public. Cette invisibilisation tĂ©moigne d’une diffĂ©renciation raciste dans la maniĂšre dont les dynamiques communautaires sont perçues.

Cet oubli n’est pas anodin : il s’inscrit dans une logique oĂč l’entre-soi des classes dominantes blanches est euphĂ©misĂ©, voire niĂ©, alors que les formes d’organisation collective des groupes minorisĂ©s sont systĂ©matiquement perçues comme une menace Ă  l’ordre social [19]. Comme le souligne Sylvie Tissot, l’entre-soi des Ă©lites est souvent protĂ©gĂ© par le secret et justifiĂ© par des notions de tradition et de rĂ©seau, tandis que la participation des minoritĂ©s Ă  des groupes intermĂ©diaires (associations, Ă©glises, syndicats) est facilement qualifiĂ©e de « repli communautaire » [19].

Prenons l’exemple des rallyes, ces Ă©vĂ©nements mondains que les sociologues Pinçon et Pinçon-Charlot dĂ©finissent comme des cercles sociaux Ă©litistes, oĂč des jeunes, sĂ©lectionné·e·s par leurs mĂšres, Ă©voluent au sein d’un groupe homogĂšne afin de renforcer leur appartenance Ă  une mĂȘme classe sociale [20]. À travers des sorties culturelles et des soirĂ©es dansantes, iels intĂšgrent les codes et valeurs de leur milieu, facilitant ainsi la reproduction sociale et matrimoniale. Ces Ă©vĂ©nements, souvent encadrĂ©s par des figures influentes de leur entourage, leur inculquent une vision oĂč culture et sociabilitĂ© sont indissociables, consolidant leur sentiment de lĂ©gitimitĂ© et de continuitĂ© avec les Ă©lites. DerriĂšre une façade anodine de bals et de rencontres, iels jouent un rĂŽle fondamental dans la reproduction des Ă©lites en favorisant les mariages et les alliances professionnelles au sein des mĂȘmes cercles privilĂ©giĂ©s.

(source : Ecoreseau Business: https://www.ecoreseau.fr/entreprendre/reseaux-influence/rallyes-toujours-in-2017-11-03-8480) 

ChloĂ©, 17 ans, explique par exemple que ses grands-parents et ses parents se sont rencontrĂ©s dans un rallye, et qu’elle aussi a rencontrĂ© son petit copain de la mĂȘme maniĂšre :

« Ma mĂšre y Ă©tait inscrite, mĂȘme chose pour mes grands-parents. J’ai du coup demandĂ© moi aussi de faire partie d’un groupe d’activitĂ©s. Il s’agit d’une tradition familiale que j’ai envie de perpĂ©tuer. » [21].

Dans ces cercles, l’accĂšs repose sur des critĂšres implicites mais stricts, comme en tĂ©moigne Charlotte, issue de la noblesse et participante depuis ses 14 ans :

« Dans mon groupe d’activitĂ©s, nous ne nous connaissons pas forcĂ©ment Ă  la base, mais nous avons tous reçu la mĂȘme Ă©ducation et avons les mĂȘmes centres d’intĂ©rĂȘt. » [21].

Une mĂ©canique d’exclusion sociale et raciale

Les rallyes ne sont pas de simples fĂȘtes privĂ©es, ils participent activement Ă  la perpĂ©tuation des hiĂ©rarchies sociales et raciales. Loin d’ĂȘtre de simples espaces festifs, ils sont des lieux de reproduction des Ă©lites oĂč se tissent des alliances matrimoniales, Ă©conomiques et politiques. En maintenant un entre-soi rigoureusement sĂ©lectionnĂ©, ils excluent de facto toute personne n’appartenant pas aux mĂȘmes cercles de pouvoir.

L’entre-soi des classes dominantes se construit souvent Ă  partir du discours officiel de la mixitĂ© et de la diversitĂ©, tout en Ă©tant protĂ©gĂ© par des mĂ©canismes flous, qui permettent son maintien, sans confrontation directe aux lois sur la discrimination [19]. De la mĂȘme maniĂšre, les rallyes et autres cercles Ă©litistes n’affichent pas explicitement des critĂšres d’exclusion, mais fonctionnent par cooptation, prĂ©servant ainsi leur homogĂ©nĂ©itĂ© tout en Ă©chappant Ă  la critique.

L’argument souvent avancĂ© pour dĂ©fendre ces pratiques est celui de la libre association : chacun·e serait libre de choisir son cercle social [19]. Mais dans un contexte oĂč ces cercles contrĂŽlent les leviers Ă©conomiques et politiques du pays, leur fermeture volontaire renforce un systĂšme inĂ©galitaire et contribue Ă  l’exclusion structurelle d’autres groupes. À ce titre, ces rallyes fonctionnent comme des espaces de socialisation oĂč se transmettent les codes et privilĂšges d’une classe dominante, tout en se protĂ©geant de l’extĂ©rieur [19].

Un communautarisme qui ne dit pas son nom

Si l’on applique aux rallyes la dĂ©finition du communautarisme rĂ©guliĂšrement invoquĂ©e dans le dĂ©bat politique – un groupe qui fonctionne sur un principe d’entre-soi et qui se replie sur ses propres valeurs et traditions [2] –, alors il devient Ă©vident que ces cercles en sont une parfaite incarnation. Pourtant, contrairement aux communautĂ©s racisĂ©es, ils ne sont jamais dĂ©noncĂ©s comme tels. Mieux encore, ils sont souvent perçus comme une forme de distinction sociale lĂ©gitime et souhaitable [19].

Ainsi, on arrive au constat suivant : l’accusation de repli communautaire est Ă  gĂ©omĂ©trie variable. Elle est utilisĂ©e pour stigmatiser les groupes minorisĂ©s, tandis que les structures d’entre-soi des Ă©lites sont soit invisibilisĂ©es, soit justifiĂ©es par des impĂ©ratifs de sĂ©lection ou de tradition. Cette asymĂ©trie dans la perception du communautarisme rĂ©vĂšle une mĂ©canique idĂ©ologique Ă  l’Ɠuvre : ce qui est perçu comme une menace lorsqu’il s’agit de groupes racisĂ©s est acceptĂ©, voire valorisĂ©, lorsqu’il concerne des classes dominantes Blanches. L’accusation de communautarisme est donc bien plus qu’une simple critique d’un repli identitaire : c’est un outil de stigmatisation Ă  sens unique, utilisĂ© pour dĂ©lĂ©gitimer certains groupes sociaux, tout en en protĂ©geant d’autres, sur fond de racisme.

Une notion à déconstruire

Le terme communautarisme, tel qu’il est utilisĂ© aujourd’hui dans le dĂ©bat public belge et français, est bien loin de sa dĂ©finition originelle. Si Ă  l’origine il pouvait dĂ©signer une forme de solidaritĂ© sociale, il est dĂ©sormais instrumentalisĂ© pour discrĂ©diter les revendications des groupes minoritaires et masquer les inĂ©galitĂ©s structurelles. Son usage est profondĂ©ment asymĂ©trique : alors que l’entre-soi des Ă©lites Ă©conomiques et politiques Ă©chappe Ă  toute critique, les dynamiques collectives des minoritĂ©s racisĂ©es sont systĂ©matiquement perçues comme un « repli » menaçant l’unitĂ© nationale.

Dans ce contexte, le communautarisme devient un outil rhĂ©torique permettant de justifier des politiques discriminatoires, qu’il s’agisse d’une surveillance accrue de certains quartiers, de la rĂ©pression des mobilisations antiracistes, ou encore de la marginalisation de personnalitĂ©s politiques issues de l’immigration. Loin d’ĂȘtre un concept neutre, il fonctionne comme un Ă©cran de fumĂ©e qui dĂ©tourne l’attention des vĂ©ritables mĂ©canismes de domination Ă  l’Ɠuvre dans nos sociĂ©tĂ©s.

Finalement, ce n’est pas l’existence de communautĂ©s en soi qui pose problĂšme, mais la maniĂšre dont certaines sont stigmatisĂ©es et criminalisĂ©es, tandis que d’autres sont protĂ©gĂ©es et invisibilisĂ©es. Si la Belgique a historiquement intĂ©grĂ© une reconnaissance des communautĂ©s dans son systĂšme politique, elle ne l’a fait qu’au bĂ©nĂ©fice de certaines catĂ©gories, en excluant les populations racisĂ©es de cette lĂ©gitimitĂ©. DĂšs lors, interroger l’usage politique du mot communautarisme, c’est mettre en lumiĂšre l’hypocrisie d’un discours qui prĂ©tend dĂ©fendre l’universalisme, tout en perpĂ©tuant des logiques d’exclusion profondĂ©ment racialisĂ©es.

 

Sources

[1] Larousse, « Communautarisme », disponible sur www.larousse.fr/dictionnaires/francais/communautarisme/17550 , consulté le 10/03/2025. 

[2] StĂ©phane Dufoix, « Nommer l’autre », disponible sur 

[3] Belorgey, Jean-Michel., et al. « De l’usage politique du “communautarisme” ». Mouvements, 2005/2 no 38, pp.69-72. 

www.journals.openedition.org/socio/2524, publié le 14/12/2016, consulté le 18/02/2025.

[4] Vincent de Coorebyter,  ‘NeutralitĂ© et laĂŻcité : une opposition en trompe-l’Ɠil’, Politique, revue de dĂ©bats, 65, p. 62, disponible sur : https://www.crisp.be/2010/06/%c2%ab-neutralite-et-laicite-une-opposition-en-trompe-l%e2%80%99oeil-%c2%bb/. publiĂ© en juin 2010. 

[5] Marc Uyttendaele, ‘Le modĂšle belge de neutralitĂ© de l’État’, dans Quel Ă©tat de droit dans une Europe en crise ?, 11 et 12 octobre 2018, Lyon, France. Lyon : UniversitĂ© Jean Moulin, Lyon 3,  disponible sur : https://revuedlf.com/droit-constitutionnel/le-modele-belge-de-neutralite-de-letat/, publiĂ© en 2019.

[6] Henri Dumont et Xavier Delgrange, ‘Le principe de pluralisme face Ă  la question du voile islamique en Belgique’, Droit et sociĂ©tĂ©, n°68(1), p. 83, disponible sur : https://shs.cairn.info/revue-droit-et-societe1-2008-1-page-75?lang=fr, publiĂ© en 2008.

[7] RTFB, “ Questions de principes : le communautarisme, c’est quoi ?”, disponnible sur https://www.rtbf.be/article/questions-de-principes-le-communautarisme-c-est-quoi-11244225, publiĂ© le 23 aoĂ»t 2023.

[8] BX1, “ François De Smet (DĂ©fi) cible Ecolo : “Ce parti fait dĂ©sormais le relais de l’islam politique”, disponible sur https://bx1.be/categories/news/francois-de-smet-defi-ecolo-choisit-un-projet-communautariste-qui-se-fait-le-relais-de-lislam-politique/?utm_source=chatgpt.com&theme=classic, publiĂ© le 4 dĂ©cembre 2023. 

[9] RTFB, “ »Nous sommes marquĂ©s par un processus communautariste » : selon Charles PicquĂ©, le PS bruxellois s’est « rĂ©signĂ© trop vite »”, disponible sur https://www.rtbf.be/article/nous-sommes-marques-par-un-processus-communautariste-selon-charles-picque-le-ps-bruxellois-s-est-resigne-trop-vite-11393987?utm_source=chatgpt.com, publiĂ© le 24 juin 2024. 

[10] X, “La Bataille des Marolles”, disponible sur https://www.pave-marolles.be/la-bataille-des-marolles/, publiĂ© le 19 novembre 2024.

[11] Isabelle Pauthier,  “  Dehors les bourges ou dedans le peuple ? La gentrification Ă  Bruxelles”, disponible sur https://www.revuepolitique.be/dehors-les-bourges-ou-dedans-le-peuple-la-gentrification-a-bruxelles/?utm_source=chatgpt.com, publiĂ© le 03 mai 2012.

[12] Ligue des droits humains, “Uneus : cow-boys de proximitĂ©â€, disponible sur https://www.liguedh.be/uneus-cow-boys-de-proximite/, consultĂ© le 10 mars 2025. 

[13] Front des mĂšres, “ Un couvre-feu imposĂ© aux mineurs Ă  Cureghem pour le nouvel an”, disponible sur https://www.front2meres.org/un-couvre-feu-impose-aux-mineurs-a-cureghem-pour-le-nouvel-an/, publiĂ© le 7 janvier 2025.

[14] Manon Legrand, “ Violences policiĂšres : pire qu’hier, mieux que demain ?”, disponible sur https://www.alterechos.be/violences-policieres-pire-quhier-mieux-que-demain/, publiĂ© le 10 septembre 2020. 

Camille Wernaes , “Violences policiĂšres : paroles de jeunes et des mĂšres”, disponible sur https://www.revuepolitique.be/violences-policieres-paroles-des-jeunes-et-des-meres/, publiĂ© le 23 dĂ©cembre 2021.

Andrea Rea, Carla Nagels et Jenneke Christiaens, « Les jeunesses bruxelloises : inégalité sociale et diversité culturelle », disponible sur https://journals.openedition.org/brussels/951, publié le 02 février 2009.

Centre D’action Laique, Emission En quĂȘte de sens, “ La jeunesse et la police: une relation problĂ©matique?”, disponible sur  https://www.laicite.be/emission/les-jeunes-et-la-police-une-relation-problematique/, publiĂ© le 31 mars 2024.

[15] Raison du Cleuziou, Yann. « Le communautarisme. » Esprit, vol. 425, no. 6, juin 2016, pp. 28-30.

[16] RTBF, “Fouad Ahidar : Ce que rĂ©vĂšle son succĂšs Ă©lectoral sur la population bruxelloise. »,disponnible sur  https://www.rtbf.be/article/fouad-ahidar-ce-que-revele-son-succes-electoral-sur-la-population-bruxelloise-11450367, publiĂ© 16 octobre 2024.

[17] RTBF, “  Le communautarisme au pays du communautarisme” disponible sur https://www.rtbf.be/article/le-communautarisme-au-pays-du-communautarisme-11311632, publiĂ© le 12 janvier 2024.

[18] Sylvie Tissot,  “Qui a peur du communautarisme ? RĂ©flexions critiques sur une rhĂ©torique rĂ©actionnaire”, disponible sur https://lmsi.net/Qui-a-peur-du-communautarisme?utm_source=chatgpt.com, publiĂ© le 28 octobre 2019.

[19] Sylvie Tissot, « Entre soi et les autres », Actes de la recherche en sciences sociales, n°204(4), p. 4-9, disponible sur : https://shs.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2014-4-page-4?lang=fr, publié en 2014. 

[20] Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, ‘Sociologie de la bourgeoise’, (4e Ă©d.). La DĂ©couverte, p. 84, disponible sur : https://shs.cairn.info/sociologie-de-la-bourgeoisie–9782707175403?lang=fr , publiĂ© en 2016. 

[21] CĂ©line PĂ©cheux, « Bridgerton en Belgique : Ă  quoi ressemblent les soirĂ©es de l’élite belge ? », ELLE Belgique, disponible sur : www.elle.be/fr/443643-bridgerton-en-belgique-a-quoi-ressemblent-les-soirees-de-lelite-belge.html, publiĂ© le 6 fĂ©vrier 2025.

 

Interview avec Ghidei Biidu Domenica, vice prĂ©sidente de L’ECRI

Interview avec Ghidei Biidu Domenica, vice prĂ©sidente de L’ECRI

 

Comment votre travail a-t-il Ă©voluĂ© au cours de vos 9 annĂ©es en tant que vice-prĂ©sident de l’ECRI ?

Pour rĂ©pondre Ă  cette question, il est d’abord important d’expliquer ce qu’est l’ECRI.

( source : European commission, https://www.coe.int/fr/web/european-commission-against-racism-and-intolerance )

L’ECRI est une institution du Conseil de l’Europe, active depuis 30 ans, et ses membres sont indĂ©pendants. Le rĂŽle de l’ECRI est de surveiller la situation des droits de l’homme dans les États membres du Conseil de l’Europe (il y a 46 États). Chaque pays est visitĂ© rĂ©guliĂšrement pour Ă©valuer comment sont gĂ©rĂ©s les problĂšmes comme la discrimination et les crimes de haine. Nous fournissons des recommandations sur des sujets tels que l’Ă©galitĂ©, les droits des migrants sans papiers, le maintien de l’ordre et l’Ă©ducation inclusive. L’ECRI travaille en Ă©troite collaboration avec les organismes de promotion de l’Ă©galitĂ© et les organisations de la sociĂ©tĂ© civile afin de mieux comprendre les rĂ©alitĂ©s sur le terrain et de formuler des recommandations plus efficaces.

Avant de rejoindre l’ECRI, j’ai Ă©tĂ© pendant 12 ans membre de l’Institut nĂ©erlandais des droits de l’homme et de son prĂ©dĂ©cesseur, la Commission nĂ©erlandaise pour l’Ă©galitĂ© de traitement. Bien que je ne me sois jamais dĂ©finie comme une activiste, je me suis toujours considĂ©rĂ©e comme quelqu’un qui s’engage Ă  avoir un impact positif. Je me suis vite rendu compte que, mĂȘme si ce type d’approche est important, il ne s’attaque pas entiĂšrement au problĂšme plus vaste du racisme, qui est principalement systĂ©mique et institutionnel.

C’est Ă  ce moment-lĂ  que mon attention s’est dĂ©placĂ©e. Je suis passĂ©e du traitement de cas individuels Ă  un rĂŽle plus large et plus stratĂ©gique, en m’interrogeant sur les causes profondes du racisme dans la sociĂ©tĂ©. En tant que Commissaire Ă  l’Ă©galitĂ© de traitement et aux droits de l’homme, j’ai appris que la lutte contre la discrimination et le racisme ne se limite pas Ă  l’application de la loi. Il est essentiel de comprendre les structures de pouvoir et les prĂ©jugĂ©s dans nos institutions, mĂȘme dans le systĂšme de justice, qui peuvent entraver l’accĂšs Ă  la justice pour les victimes de discrimination. De plus, le langage et les notions juridiques peuvent ĂȘtre trop Ă©troits et ne s’alignent pas toujours avec le langage des sciences sociales ou de l’anthropologie, ce qui peut limiter une vĂ©ritable comprĂ©hension des aspects systĂ©miques et culturels qui influencent les rĂ©alitĂ©s vĂ©cues.

Le travail de l’ECRI a Ă©voluĂ© au fil des ans. Il y a quelques annĂ©es, lorsqu’on s’attaquait Ă  la discrimination et au racisme auxquels Ă©taient confrontĂ©es les personnes noires et racisĂ©es en Europe, l’accent Ă©tait principalement mis sur l’intĂ©gration des migrants et les obligations des gouvernements. Aujourd’hui, cependant, nous comprenons que les Noirs, les musulmans et d’autres communautĂ©s minoritaires font partie des sociĂ©tĂ©s europĂ©ennes depuis des siĂšcles, et qu’il ne suffit plus de se concentrer sur l’intĂ©gration. Maintenant, nous devons discuter d’une vĂ©ritable inclusion, de la non-discrimination et d’un changement fondamental des mentalitĂ©s.

Quels sont les défis de la lutte contre le racisme en Europe ?

Les dĂ©fis sont nombreux. PremiĂšrement, tous les pays n’ont pas mis en place la lĂ©gislation appropriĂ©e. MĂȘme lorsqu’une loi existe, sa mise en Ɠuvre reste un problĂšme important. De plus, il y a un manque d’organisation au sein des communautĂ©s nĂ©cessaires pour lutter stratĂ©giquement contre la discrimination et pour dĂ©poser des plaintes contre le gouvernement. L’un des plus grands obstacles est le dĂ©ni du racisme et de la discrimination : de nombreux fonctionnaires et politiciens refusent de reconnaĂźtre ces rĂ©alitĂ©s.

De plus, il existe un fossĂ© gĂ©nĂ©rationnel dans le partage de l’expĂ©rience de la lutte contre le racisme. Les jeunes gĂ©nĂ©rations, qui n’ont souvent pas accĂšs Ă  l’histoire des luttes passĂ©es, ont l’impression de rĂ©inventer le combat pour la premiĂšre fois. Ce manque de mĂ©moire institutionnelle et de transmission des batailles passĂ©es est un autre dĂ©fi.

Les communautĂ©s ne sont pas toujours bien organisĂ©es, et celles qui le sont manquent souvent des fonds nĂ©cessaires pour mener Ă  bien leur travail. Ces efforts sont dĂ©ployĂ©s parallĂšlement aux luttes quotidiennes de la vie dans une sociĂ©tĂ© marquĂ©e par le racisme. Le manque de soutien, notamment au niveau familial et social, rend encore plus difficile l’engagement dans les espaces de pouvoir. De plus, ces espaces de pouvoir ne sont pas toujours ouverts ou accueillants. Alors, comment peut-on rester entier et fidĂšle Ă  soi-mĂȘme dans des environnements qui ne nous sont pas favorables ou constructifs ?

Quelle est la meilleure façon de lutter contre les discriminations intersectionnelles tout en les ciblant spécifiquement ?

La discrimination intersectionnelle est Ă  la fois importante et trĂšs complexe. Comme le souligne l’ECRI, si l’intersectionnalitĂ© est un outil clĂ© pour comprendre ces questions, certaines discriminations sont plus faciles Ă  gĂ©rer que d’autres. Par exemple, le racisme peut ĂȘtre traitĂ© plus directement, mais l’intersection de la classe, de la race et du sexe prĂ©sente des dĂ©fis supplĂ©mentaires. Cela s’explique principalement par le fait que certains secteurs des institutions ont des systĂšmes de protection plus dĂ©veloppĂ©s que d’autres.

L’un des grands obstacles est la rĂ©ticence des institutions Ă  tenir compte de ces intersections, car elles estiment que cela dĂ©passe leur mandat, ce qui conduit souvent Ă  un manque d’action. Ainsi, l’effort pour aborder l’intersectionnalitĂ© doit ĂȘtre continu, pour s’assurer que cette approche est incluse dans toutes les stratĂ©gies et pratiques.

MĂȘme si l’ECRI tente de travailler de maniĂšre intersectionnelle, l’application de cette approche reste difficile. Un exemple clair est que les politiques de genre n’ont pas apportĂ© de rĂ©els avantages aux femmes noires, aux femmes musulmanes ou Ă  celles qui portent le hijab, qui continuent de faire face Ă  des inĂ©galitĂ©s visibles. Bien qu’il y ait quelques signes de progrĂšs, les rĂ©sultats rĂ©els ne sont pas encore clairs, ce qui montre Ă  quel point il est difficile d’appliquer l’intersectionnalitĂ© dans de nombreux domaines.

Comment lutter au mieux contre le racisme, avez-vous observĂ© des actions qui, selon vous, devraient ĂȘtre plus dĂ©veloppĂ©es Ă  travers l’Europe ?

La lutte contre le racisme dĂ©pend d’abord de l’identitĂ© et des objectifs des individus ou des organisations impliquĂ©s, et de ce qu’ils veulent accomplir. Une organisation de la sociĂ©tĂ© civile, par exemple, doit d’abord dĂ©finir clairement sa mission et ses objectifs. Sans cela, il devient difficile de structurer une stratĂ©gie efficace. 

En fonction de qui vous ĂȘtes et de qui vous voulez toucher, la lutte contre le racisme nĂ©cessite une approche ciblĂ©e, axĂ©e sur des problĂšmes spĂ©cifiques sur une pĂ©riode donnĂ©e, avec des objectifs clairs. Il faut connaĂźtre les besoins spĂ©cifiques et les actions nĂ©cessaires dans un contexte donnĂ©. Par exemple, selon les pays, les expĂ©riences et les besoins peuvent varier.

Il est Ă©galement trĂšs important de rester en contact avec la communautĂ©, car cela permet de se prĂ©parer Ă  la rĂ©sistance et de crĂ©er des espaces sĂ»rs. De plus, il est important que l’Ă©coute reste prĂ©sente dans ces espaces pour Ă©viter de recrĂ©er les erreurs du passĂ©. MĂȘme avec des objectifs positifs, ces espaces peuvent toujours reproduire des dynamiques oppressives, telles que celles hĂ©ritĂ©es du patriarcat ou du colonialisme.

 Par exemple, le travail effectuĂ© par l’organisation appelĂ©e Justice systĂ©mique (https://systemicjustice.ngo) est une bonne pratique pour moi.  La fondatrice, Nani, est une avocate qui travaille dans le domaine du contentieux. Elle soulĂšve toujours des questions sur les contentieux, visant Ă  ĂȘtre les plus stratĂ©giques et les plus prĂšs de la rĂ©alitĂ©, y compris sur l’appropriation de l’action. 

Comment contenir la montée de la xénophobie et de la marginalisation dans presque tous les pays européens ?

( source: Le monde : https://www.lemonde.fr/international/article/2024/06/13/elections-europeennes-l-extreme-droite-en-force-dans-les-pays-fondateurs-de-l-ue_6239225_3210.html publié le 13 juin 2024 ) 

L’un de mes collĂšgues dirait que la montĂ©e de la xĂ©nophobie est une sorte de retour de bĂąton en raison du succĂšs du travail de lutte contre le racisme. C’est peut-ĂȘtre le cas, ou peut-ĂȘtre pas.

Je ne suis pas tout Ă  fait d’accord, mais je peux voir comment cela pourrait avoir un effet. Par exemple, en raison de la mondialisation et d’autres facteurs, il y a un sentiment de peur, et les politiciens peuvent gagner plus de pouvoir en se concentrant sur ce genre de questions.

 La question est donc « Comment s’y prendre ? ». Tout d’abord, l’action dĂ©pend de l’objectif de votre organisation. En outre, nous devons bien prendre soin de nous-mĂȘmes personnellement et en tant qu’organisation. Nous devons nous interroger : «Qu’est-ce que je veux faire ? » « Qu’est-ce que j’atteindrais et quelle est ma stratĂ©gie ? » « Quel est mon objectif ? pourquoi et comment est-ce que je m’organise ? » parce que beaucoup de choses sont possibles, lorsque vous pouvez rĂ©pondre Ă  ces questions, vous serez en mesure de dĂ©finir certaines actions. 

 Il y a des actions diffĂ©rentes : vous pouvez vous organiser avec d’autres, faire des contre-actions ou vous pouvez faire des dĂ©clarations parce que c’est ce qui se passe en ce moment. Lorsqu’il y a une guerre, la question est la suivante : « Êtes-vous celui qui va se battre, ou votre stratĂ©gie est-elle de rester et de faire ce que vous faites et de ne prendre les mesures appropriĂ©es qu’en cas de besoin ? ». Cela dĂ©pend de qui vous ĂȘtes et de qui vous voulez ĂȘtre. Je ne dirais pas de ne pas se battre, parce que, par exemple, nous avons eu toute la discussion sur Black Pete aux Pays-Bas. Pendant 40 ans, de nombreuses gĂ©nĂ©rations ont dĂ©clarĂ© : « C’est raciste » et ont fait des dĂ©clarations similaires. Cependant, ce n’est qu’au cours des 10 derniĂšres annĂ©es que les jeunes ont vraiment commencĂ© Ă  agir, faisant souvent face Ă  des attaques en consĂ©quence. Ils ont Ă©laborĂ© des stratĂ©gies et payĂ© un prix Ă©norme pour amener les choses lĂ  oĂč elles sont maintenant. Il s’agissait de sensibiliser le public, bien sĂ»r, et le meurtre de George Floyd a Ă©tĂ© extrĂȘmement important pour accroĂźtre la sensibilisation. Cet Ă©vĂ©nement a conduit de nombreuses organisations et de nombreux pays Ă  dire : « OK, maintenant je me rends compte » et Ă  agir. Mais ces progrĂšs sont le rĂ©sultat de militants ( https://kozwartepiet.nl/) qui se battent sans relĂąche depuis 10 ans. Par consĂ©quent, le message est restĂ© cohĂ©rent, c’est ainsi qu’il a atteint son objectif. Une fois qu’une masse critique a Ă©tĂ© atteinte, la responsabilitĂ© s’est dĂ©placĂ©e vers la sociĂ©tĂ© – les gens ne pouvaient plus prĂ©tendre Ă  l’ignorance. Cela dĂ©montre que certains droits, bien que inhĂ©rents, ne sont pas toujours accordĂ©s gratuitement ; Il faut se battre pour eux. 

( source https://www.nanijansen.org  ) 

Je recommande vivement le livre Radical Justice : Building the word we need (https://www.nanijansen.org/), une publication nĂ©erlandaise qui, je l’espĂšre, sera publiĂ©e en anglais. L’auteur y explore la question de savoir si nous pouvons utiliser les « outils du maĂźtre » pour dĂ©manteler la « maison du maĂźtre ». C’est une question cruciale que beaucoup se posent, car les outils que nous utilisons pour lutter contre la discrimination et le racisme n’ont pas Ă©tĂ© conçus Ă  l’origine Ă  cette fin. Au lieu de cela, ils ont Ă©tĂ© créés pour servir ceux qui sont au pouvoir. La question qui se pose alors est la suivante : ces outils sont-ils suffisamment efficaces pour dĂ©manteler les structures mĂȘmes qui ont créé les inĂ©galitĂ©s ? Ces discussions sont essentielles, car elles permettent de savoir par oĂč commencer, comment utiliser ces outils et dans quel contexte. J’espĂšre que Nani traduira son livre, car le manuscrit est prĂȘt, et qu’il contribuera grandement Ă  ces dĂ©bats importants.

Quels sont les risques liés à cette hausse ?

Le risque de la montĂ©e de la xĂ©nophobie et de la marginalisation est la violence. Lorsque l’extrĂȘme droite, l’extrĂȘme droite ou l’Alt-right entrent au pouvoir comme ils le font aux Pays-Bas, en Belgique, en Italie, en Allemagne et dans de nombreux pays, ils changent toute l’infrastructure. 

 Bien sĂ»r, il y a des protestations, mais il y a aussi une majoritĂ© silencieuse qui ne fait rien, normalisant ainsi le racisme et la discrimination. Cette normalisation permet de s’assurer qu’aucun changement systĂ©mique, comme la modification de la Constitution ou de la lĂ©gislation pour lutter contre le racisme, ne se produise. Au lieu de cela, le racisme est souvent niĂ© catĂ©goriquement, avec des affirmations selon lesquelles certaines actions ou comportements ne sont pas du racisme. MĂȘme les individus les plus ouvertement racistes nient souvent ĂȘtre racistes ou qualifient leurs actions comme telles. Personne ne prĂ©tend ouvertement que le racisme est bon, mais le dĂ©ni perpĂ©tue son existence.

 D’une certaine maniĂšre, c’est l’espoir que j’ai : parce que les gens ne disent pas ouvertement que « le racisme est bon », mais qu’ils nient plutĂŽt que certaines actions constituent du racisme, la majoritĂ© qui s’y oppose peut ĂȘtre en mesure d’aller de l’avant et de dĂ©montrer les implications dangereuses d’un tel dĂ©ni. Cependant, la peur et le profit font souvent obstacle. L’obtention de la justice a un coĂ»t, car les privilĂšges ont Ă©tĂ© construits et accumulĂ©s sur l’exploitation d’autrui. Pour crĂ©er la justice, il faut dĂ©manteler ces privilĂšges, ce qui a inĂ©vitablement un prix. Malheureusement, beaucoup ne sont pas disposĂ©s Ă  payer ce prix.

Que pensez-vous du rÎle de la société civile et des militants dans leur lutte contre le racisme en Belgique ? 

La question clĂ© est de savoir comment et oĂč s’engager. En tant que femme noire travaillant avec des organismes de promotion de l’Ă©galitĂ© et des organisations de la sociĂ©tĂ© civile, j’ai observĂ© que la plupart des associations et des organismes de promotion de l’Ă©galitĂ© restent majoritairement blancs. La crĂ©ation de vĂ©ritables partenariats fait encore dĂ©faut. Cela souligne la nĂ©cessitĂ© pour les organisations dirigĂ©es par des personnes d’ascendance africaine ou d’autres groupes racialisĂ©s d’avoir l’espace et les ressources nĂ©cessaires pour exister et prospĂ©rer. Parfois, certaines organisations en place ne considĂšrent pas les militants comme des alliĂ©s. Ainsi, il est important de comprendre cela et de trouver un moyen d’avoir sa place et de faire ce que vous voulez faire.

 Il est donc essentiel d’Ă©tablir un objectif, une stratĂ©gie et une vision Ă  long terme clairs. Au cours de mes 40 annĂ©es d’activitĂ©, j’ai vu de nombreuses organisations se crĂ©er et se dĂ©faire. Pour crĂ©er un hĂ©ritage, il est important de transmettre la mission aux gĂ©nĂ©rations futures tout en maintenant l’Ă©lan. De nombreuses organisations partent de zĂ©ro Ă  plusieurs reprises et dĂ©pendent fortement de financements externes, ce qui rend la durabilitĂ© difficile.

 La planification stratĂ©gique est essentielle : comprendre votre objectif, pourquoi vous faites le travail et comment crĂ©er une structure solide. Il est Ă©galement important de nous poser ces questions d’une maniĂšre qui ne reproduise pas la structure oppressive que nous avons. Nous voulons dĂ©manteler toutes ces choses, nous devons donc mettre en pratique ce que nous prĂȘchons. Et nous devons aussi trouver des moyens de ne pas le rendre trop lourd parce qu’il est assez lourd.  En consĂ©quence, il s’agit d’Ă©quilibrer la nature lourde du travail avec la joie, la connexion et les soins personnels.

Comment rétablir le dialogue entre les communautés et les pouvoirs ?

Le dialogue est toujours bon, mais la question est de savoir qui invite, qu’est-ce que les autres ont Ă  gagner dans cet espace ? Il est important de savoir ce que nous voulons atteindre avec le dialogue. Parfois, il est bon de commencer petit. Interrogez-vous : Qu’est-ce que nous voulons en retirer? Y a-t-il une volontĂ© d’Ă©couter ? Quels types d’accords prenons-nous sur la conduite du dialogue (y aura-t-il seulement de l’Ă©coute ou mettra-t-on l’accent sur la discussion) ? La qualitĂ© de la communication est cruciale. 

Les dialogues sont trĂšs bons, mais la condition prĂ©alable est d’avoir une idĂ©e claire de l’endroit oĂč ce dialogue se dĂ©roule. Les gens au pouvoir ont aussi besoin de pouvoir, mais faites attention Ă  ce qu’ils y gagnent et Ă  ce qu’ils y gagnent pour vous. Les paramĂštres doivent ĂȘtre clairs. 

Quand on invite des gens en position de pouvoir, il arrive qu’on se taise parce qu’on se dit « si je dis ça, peut-ĂȘtre que la prochaine fois ils ne viendront pas ». On abandonne parfois notre pouvoir dans les dialogues, ce qui peut ĂȘtre malsain.

Il est important de se mettre d’accord sur l’espace, les rĂ©sultats, les ambitions et les idĂ©es partagĂ©es. Les dialogues sont une question d’Ă©coute des deux cĂŽtĂ©s. Ce travail doit ĂȘtre menĂ© par des personnes capables de tenir l’espace, d’apporter de la clartĂ©, d’approcher le groupe impliquĂ© et de faire des choix sur la façon de procĂ©der. La communautĂ© a un rĂŽle particulier Ă  jouer dans notre travail. Si l’on prend le cas de la Belgique, c’est un pays qui a connu un passĂ© d’esclavage et de colonialisme : je ne suis pas tout Ă  fait sĂ»re du processus actuel ni de qui mĂšne la discussion, mais il est essentiel d’enquĂȘter : qui est impliquĂ© ?  Comment pouvons-nous initier quelque chose ? Qui peut participer et qui sont nos alliĂ©s ? L’approche doit commencer petit, puis s’Ă©largir. Trouvez un crĂ©neau et Ă©tendez-le Ă  partir de lĂ . 

Mais toujours, soyez fidĂšle Ă  vous-mĂȘme, soyez fidĂšle Ă  ce que vous reprĂ©sentez. Faites attention, dans le feu de l’action, Ă  ne pas sacrifier vos valeurs fondamentales.

Vous nous avez dit au dĂ©but que vous vous dĂ©finissiez comme « engagĂ©e » et non comme « activiste ». Plusieurs de professeurs et d’experts partagent la mĂȘme pensĂ©e. Il y a beaucoup de pression sur les femmes noires pour qu’elles continuent le combat. Les femmes noires sont considĂ©rĂ©es comme des militantes, qu’elles le veuillent ou non. Comment garder courage et ne pas ĂȘtre touchĂ©es par le cyberharcĂšlement ?

( source : https://www.dukeupress.edu/white-innocence)

Livre : L’innocence blanche https://www.dukeupress.edu/white-innocence, par le professeur Gloria Wekker.

Gloria Wekker se qualifierait d’activiste, et pas seulement d’engagĂ©e. Tout le monde s’appelle comme il l’aime. S’ils ne vous autorisent pas Ă  entrer au Parlement europĂ©en, vous crĂ©ez votre propre Ă©vĂ©nement. Et puis vous invitez ceux que vous voulez dans votre propre espace. 

Comme je l’ai mentionnĂ© plus tĂŽt, il y a une sorte de guerre en cours. Les gens au pouvoir ressentiront votre « Ă©vĂ©nement secondaire » comme une menace. Il est important de concentrer votre Ă©nergie sur l’utilisation de l’espace tel qu’il est, plutĂŽt que de gaspiller de l’Ă©nergie Ă  lutter contre les choses.

MĂȘme chose pour le cyberharcĂšlement : il est trĂšs important de se protĂ©ger et de trouver les personnes qui vous aideront Ă  vous protĂ©ger. Ces individus pensent qu’ils sont puissants parce qu’ils restent invisibles. Que vous soyez militant ou non, le risque d’ĂȘtre agressĂ© en luttant contre le racisme sera toujours lĂ . Par consĂ©quent, il est trĂšs important de connaĂźtre vos droits et la façon d’aborder les choses. Par exemple, une de mes amies faisait des recherches importantes et quelqu’un acritiquĂ© son travail, en envoyant des plaintes anonymes Ă  son sujet aux organisations qui la finançaient. 

Il est crucial d’ĂȘtre prĂ©parĂ© avant de s’engager dans le combat. Lorsqu’il y a une plainte contre vous, vous devez savoir en quoi le protocole en place consiste pour vous protĂ©ger. Parce qu’une telle situation arrivera ! Ils vous poseront certaines questions d’une maniĂšre qui suggĂšre qu’ils croient ce que les critiques disent de vous. C’est pourquoi il est essentiel de savoir qui sont vos alliĂ©s et s’ils le sont vraiment ou seulement car cela leur convient. Certaines personnes veulent ĂȘtre Ă  l’avant-garde, mais elles ont besoin de couvrir leurs arriĂšres. 

Voici une mĂ©taphore : lorsque les oiseaux migrent pour l’hiver d’un endroit Ă  un autre, vous avez une structure (une formation) oĂč un oiseau mĂšne et d’autres volent derriĂšre. https://www.bbc.com/news/av/science-environment-31060162

Mais Ă  un certain moment, l’oiseau de tĂȘte est remplacĂ©, il peut aller se reposer Ă  l’arriĂšre pendant qu’un autre prend la tĂȘte. Ils vont tous dans la mĂȘme direction. 

Cela signifie qu’il est important d’ĂȘtre en phase les uns avec les autres, si l’un dit « je suis fatiguĂ© maintenant », un autre peut dire « ok, je te soutiens » → avoir des personnes en qui nous avons confiance pour prendre le relais.

Il s’agit de crĂ©er des structures saines et solidaires qui aideront Ă  aller loin et longtemps, car le racisme ne disparaĂźtra pas en 5 ans.

Quelle est votre vision : changer les choses en faisant partie des systĂšmes oppressifs ou lutter de l’extĂ©rieur (en tant qu’activistes) ?

Je pense que c’est une question que beaucoup de gens se posent. Pour moi, il est sage d’avoir des relations avec ces institutions.

Il est crucial d’avoir une base solide de vos objectifs et de votre concentration en tant qu’organisation, et d’avoir l’espace nĂ©cessaire pour rĂ©flĂ©chir Ă  de nouveaux processus sur lesquels agir. La chose la plus importante est de connaĂźtre le travail que vous faites et d’obtenir les fonds dont vous avez besoin pour le faire aussi. Soyez le plus indĂ©pendant.e.s possible pour poursuivre le travail que vous faites et ne pas mettre en pĂ©ril vos valeurs. Vous devez crĂ©er une base solide qui vous rend indĂ©pendant.e.s.

Nous essayons souvent de changer les autres, mais ils ne changeront que si cela correspond Ă  leurs propres besoins. Ils le feront ou ils ne le feront pas, selon leurs besoins. Je fais ce travail depuis 40 ans, et je peux vous dire que parfois les actions auront un rĂ©sultat et parfois non. Cependant, mĂȘme s’il n’y a pas de rĂ©sultats tangibles, le fait que vous soyez ensemble, que vous Ă©laboriez des stratĂ©gies, a une certaine signification pour la communautĂ©. L’équilibre entre donner et recevoir.

 Le 2 dĂ©cembre 2024, la cour d’appel de Bruxelles a jugĂ© l’État belge responsable de l’enlĂšvement et de la sĂ©grĂ©gation raciale systĂ©matique d’enfants mĂ©tis durant la pĂ©riode coloniale. Cinq femmes mĂ©tisses, arrachĂ©es Ă  leurs mĂšres congolaises et placĂ©es dans des institutions religieuses, ont obtenu ce jugement historique aprĂšs avoir fait appel d’une dĂ©cision prĂ©cĂ©dente rejetant leur demande de rĂ©paration. Que pense-vous de cette affaire? 

( source : African Futures Lab publié le 2 décembre 2024  source :https://www.afalab.org/news/2024-12-02-african-futures-lab-and-amnesty-international-joint-press-release-belgium-convicted-of-crimes-agains/) 

Il s’agit d’une dĂ©cision trĂšs importante. Les choses changent. La question clĂ© est la suivante : quelle est la prochaine Ă©tape ? Comment parvenir Ă  un changement fondamental ? La sociĂ©tĂ© doit savoir et comprendre ce qui a rĂ©ellement Ă©tĂ© fait contre ces femmes et l’impact que cela a. 

J’espĂšre que l’organisation qui a dĂ©posĂ© la plainte trouvera des moyens de transformer cette terrible expĂ©rience vĂ©cue par ces femmes en un processus d’apprentissage pour les institutions et le pays dans son ensemble. L’objectif n’est pas simplement de raconter l’histoire, mais plutĂŽt de dĂ©couvrir ce que cela signifie pour les institutions en Belgique. Il s’agit d’une Ă©tape importante, car la victoire juridique n’Ă©tait pas un cadeau qui leur a Ă©tĂ© fait. Ils ont dĂ» se battre pour cela.

C’est un parfait exemple de ce que j’appelle des actions stratĂ©giques ou des contentieux. J’espĂšre que les personnes qui ont dĂ©posĂ© ces plaintes et les personnes qui les entourent donneront Ă©galement un sens et une perspective plus larges qui sensibiliseront davantage l’État belge et les institutions de garde d’enfants en Belgique au racisme (institutionnel). 

De nombreuses personnes au pouvoir (en particulier les organisations de personnes blanches) considÚrent le racisme comme un incident. Ils ne le voient pas comme un modÚle. Mais les personnes racialisées reconnaissent les tendances ; ils voient et reconnaissent les outils de domination dans les modÚles. 

Nous devons nous demander : sommes-nous les savants qui vont dĂ©crire la rĂ©alitĂ© et tendre un miroir vers les responsables en disant « c’est comme ça » et en proposant une solution ? Ou sommes-nous le partenaire qui travaille activement Ă  des solutions ? En conclusion, il est important de savoir qui l’on est, ce que l’on veut ĂȘtre et ce que l’on veut accomplir, ensemble. 

 

[Retour sur les campagnes électorales 2023-2024] Episode 3: Remarques anti-Roms en cascade

[Retour sur les campagnes électorales 2023-2024] Episode 3: Remarques anti-Roms en cascade

Remarques anti-Roms en cascade

Conner Rousseau, Vooruit et le racisme dit ‘ordinaire’

Il y a prĂšs d’un an, en septembre 2023, Conner Rousseau aprĂšs une soirĂ©e avait interpellĂ© des policiers pour les appeler Ă  s’attaquer violemment Ă  des personnes roms [27].

“Ces Roms ou autres gitans sont lĂ  chaque put**n de jour avec leur friteuse, leurs matelas Ă  proximitĂ© de la bulle Ă  verre. Vraiment, ces Roms, il faut s’en dĂ©barrasser. On ne peut pas dĂ©conner avec ces gars-lĂ .”

“D’aprùs moi, vous devriez vous attaquer à eux plus durement. Vous devriez utiliser votre matraque beaucoup plus souvent. 

En dehors de leur vulgaritĂ©, ces propos dĂ©notent un vocabulaire propre au racisme anti-roms. Ils sont d’autant plus graves qu’ils Ă©manent d’une figure d’autoritĂ©, en l’occurrence un dĂ©putĂ© au Parlement flamand et prĂ©sident en exercice du parti socialiste flamand Vooruit.

© Belga Photo- Nicolas Maeterlinck

Ce dernier s’était excusĂ© en octobre 2023, en justifiant qu’il Ă©tait saoul et qu’il voulait exprimer

“de maniĂšre erronĂ©e la frustration de nombreux habitants du quartier.” [28]

Autrement dit, il s’est posĂ© en porte-voix du racisme anti-Roms qui aurait cours dans la population de Saint-Nicolas (Province d’Anvers) [28]. Il invoque une fois de plus des arguments racistes pour justifier cette prĂ©tendue opinion de la population. Mr Rousseau parle de “nuisances« , de “harcĂšlement” que feraient subir les personnes roms “dans son quartier” [27]. Comme si les personnes roms n’ appartenaient pas au quartier, poursuivant ainsi sa rhĂ©torique raciste qui les dĂ©peint comme Ă©tant des personnes dĂ©rangeantes. 

Suite Ă  ces propos, le parquet de Flandres orientale at lancĂ© une procĂ©dure de mĂ©diation Ă  l’issue de laquelle il a Ă©tĂ© invitĂ© Ă  visiter la Caserne Dossin (lieu de mĂ©moire du gĂ©nocide des Roms) et Ă  suivrer une formation sur l’importance des mots et du langage [27]. 

Conner Rousseau a Ă©galement dĂ» cĂ©der la tĂȘte de son parti, tout en conservant  une place de choix dans le paysage politique. Il est d’abord inscrit sur la liste de Vooruit pour le Parlement flamand dans la circonscription de Flandre orientale [29]. De plus, dĂšs avril 2024, il reprend le devant de la scĂšne Ă  travers de multiples interventions et en participant Ă  la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© politique Ă  succĂšs “Het Conclaaf”.  Il  occupe alors  l’espace mĂ©diatique rĂ©servĂ© Ă  la/au prĂ©sident·e du Parti socialiste flamand. 

Au lendemain des Ă©lections, Ă  l’issue de l’intĂ©rim de la prĂ©sidente MĂ©lissa Depraeter, seul Conner Rousseau s’est prĂ©sentĂ© Ă  la tĂȘte du parti. Il a alors Ă©tĂ© réélu pour un nouveau mandat avec 94% du vote des adhĂ©rent·e·x·s. [30]

George-Louis Bouchez, victimisation et inspiration rousseauiste

AprĂšs la rĂ©vĂ©lation des dires racistes de Conner Rousseau, George-Louis Bouchez  a publié  un tweet dans lequel il affirme que le racisme ne peut  ĂȘtre “ni tolĂ©rĂ©, ni excusĂ©â€, et ajoute que “c’est un dĂ©lit, pas une opinion” et conclut sur le fait que “l’antiracisme et l’exemplaritĂ© soient Ă  gĂ©omĂ©trie variable pour certains selon l’auteur” [31]. Par la suite, M. Bouchez est intervenu sur la chaĂźne LN24  a dĂ©claré  avec fermetĂ©

« Si je tenais de tels propos, je dĂ©missionnerais dans l’heure » [32]

Facebook de George-Louis Bouchez, 6 octobre 2023

Et pourtant


En 2021, dĂ©jĂ , George-Louis Bouchez avait appelĂ© Ă  “rendre impossible ces installations” en rĂ©fĂ©rence  aux rĂ©sidences des personnes roms. Il recommandait mĂȘme de recourir Ă    “un harcĂšlement policier” [33]. Propositions particuliĂšremenrt dangereuses mais qui n’avaient pas fait rĂ©agir d’autre mĂ©dia que la DH a l’époque [33, 34, 35]. 

Lors d’une confĂ©rence de presse dans le cadre de sa campagne aux communales d’octobre 2024, intitulĂ©e  “Mons en mieux”, le PrĂ©sident du MR est interrogĂ© sur les problĂšmes de domiciliation de Julie Taton, influenceuse et animatrice radio originaire de Lasne, parachutĂ©e par le parti pour l’emporter Ă  Mons. PlutĂŽt que de rĂ©pondre Ă  cette question, le prĂ©sident du MR choisit de parler d’un tout autre sujet :  “Je prĂ©fĂšre accueillir  Julie Taton Ă  Mons que certains profils, et je ne citerai pas de nom sur ce sujet” . Son intervention, dĂ©jĂ  critique, prend un tournant problĂ©matique lorsqu’il ajoute “quand vous voyez des occupations, sauvages parfois, de gens du voyage, et je n’ai rien contre les gens du voyage” [36].  Pourtant,  ces propos suggĂšrent le contraire.  Il enchaĂźne en Ă©voquant  l’illĂ©galitĂ© et le caractĂšre ‘sauvage’ supposĂ©s des campements [36], avant d’opĂ©rer une comparaison implicite avec  stĂ©rĂ©otypes de la bourgeoisie blanche.

“Quand je vois qu’à Mons des gens du voyage occupent illĂ©galement certains terrains et la Ville vous dit “on ne sait rien faire” [
] et Ă  cĂŽtĂ© de ça, vous avez quelqu’un [Julie Taton] qui vient Ă  Mons, qui a du pouvoir d’achat, qui paie des impĂŽts, qui inscrit ses enfants Ă  l’école et qui veut acheter un logement et lĂ , on lui fait un procĂšs comme si c’était une criminel, je trouve que c’est inacceptable.” [36].

Tous les clichĂ©s ressurgissent : la supposĂ©e non-contribution Ă  la sociĂ©tĂ© des Roms qui les a faits ĂȘtre perçu·e·x·s comme des parasites quand bien mĂȘme iels Ă©taient artisan·e·x·s, artistes, commerçant·e·x·s; le rapport Ă  l’école avec l’idĂ©e de faible niveau d’éducation et enfin, le reproche classique de leur nomadisme pourtant historiquement essentiel dans la culture rom bien que de nombreuses communautĂ©s roms sont aujourd’hui sĂ©dentaires.  À cela s’ajoute une autre forme de stigmatisation : l’association frĂ©quente entre criminalitĂ© et populations racisĂ©es. Contrairement aux personnes blanches, souvent perçues comme « respectables » ou « civilisĂ©es », les Roms, comme d’autres minoritĂ©s, sont trop souvent injustement assimilĂ©s Ă  des comportements illĂ©gaux, ce qui reflĂšte un traitement discriminatoire profondĂ©ment ancrĂ© dans la sociĂ©tĂ©.

“Nos enfants vont aussi Ă  l’école. Nous sommes des gens qui travaillent. Nous payons nos contributions et nos taxes de roulage. Sur la question de l’accueil, c’est plutĂŽt Ă  nous de dire que les autoritĂ©s nous prennent vraiment pour des criminels. Nous vivons constamment cette humiliation. Il serait temps que Georges-Louis Bouchez puisse avoir des mots plus amicaux envers notre communautĂ©.” [36] – Etienne Charpentier, prĂ©sident du ComitĂ© National des Gens du Voyage pour La DH.

Le Soir – Roger Milutin

Étonnamment, malgrĂ© ces propos discriminatoires tenus Ă  l’égard des personnes roms nous n’avons entendu parler ni de dĂ©mission de sa part, ni de battage mĂ©diatique en dehors de l’unique article de la DH qui reprend 2 rĂ©actions d’Ă©cologistes francophones et celle de Patrick Charlier, directeur de l’Unia [36]. 

Alors quand il termine son  point sur le racisme et les propos de  Conner Rousseau dans son interview pour LN24, en disant qu’ “(…) objectivement c’est un peu particulier de voir tant de complaisance Ă  l’Ă©gard du racisme venant de la part de gens qui font la leçon du matin au soir« . [32] On ne peut qu’ĂȘtre d’accord avec lui. 



 

Conclusion

Ecrire cette mini-sĂ©rie n’a rien eu d’aisĂ©. Elle agrĂšge des dizaines d’heures d’Ă©puisement Ă  devoir traiter le mal que nos reprĂ©sentant·e·s politiques nous inflige en tant que personnes racisĂ©es*. Elle fait le constat, sinon d’une recrudescence, d’une place consĂ©quente prise par les discours et des politiques racistes durant la derniĂšre campagne Ă©lectorale 2023-2024. Et ce, tant au niveau des Ă©lections communales (“George-Louis Bouchez, victimisation et inspiration rousseauiste”), au niveau rĂ©gionale et communautaire (“Pierre-Yves Jeholet, agression raciste en direct”) qu’au niveau des Ă©lections fĂ©dĂ©rales (“Refus de la publication du Rapport : l’amnĂ©sie coloniale” ) et europĂ©ennes (“Pour Frontex, un consensus meurtrier”).

Plus inquiĂ©tant, ces choix politiques racistes n’ont pas ou peu Ă©tĂ© sanctionnĂ© dans les urnes par les Ă©lecteur·ice·x·s belge·x·s. 

  • P-Y. Jeholet a obtenu 16.627 /172.256 votes dĂ©posĂ©s au Parlement wallon en 2019; contre 64.306 voix / 675.156 Ă  la Chambre (fĂ©dĂ©rale) en 2024 [37,38]. Soit un rĂ©sultat stable, passant de 9.65% (2019) Ă  9.53% (2024). 
  • G-L. Bouchez a obtenu 16.522 /810.896 votes dĂ©posĂ©s en 2019 aux communales de Mons;  contre  7.148 voix /54.499 en 2024  [39,40]. Soit un rĂ©sultat en nette augmentation, passant de 2.04% (2019) Ă  13.11% (2024).
  • C. Rousseau  a obtenu 17.438 / 1.036.419 votes dĂ©posĂ©s au Parlement flamand en 2019; contre 75.801 voix / 1.068.365 en 2024  [41,42]. Soit un rĂ©sultat en augmentation, passant de 1.68% (2019) Ă  7.09% (2024).

La lutte antiraciste dans la sphĂšre nous paraĂźt cruciale Ă  l’aune de cette campagne Ă©lectorale aux multiples occurrences racistes. C’est pourquoi nous lançons dĂšs le mois de fĂ©vrier une chronique sur la vie politique belge pour analyser les politiques, les faits et dits – de maniĂšre non exhaustive – qui participent au renforcement du racisme dans notre sociĂ©tĂ©.

*Racism Search est une associaitons en mixitĂ© mais cet article a Ă©tĂ© rĂ©digĂ© et relu uniquement par des personne racisĂ©es de l’association. 

Sources

[27] StĂ©phanie Lepage, “Les propos racistes de Conner Rousseau font largement rĂ©agir”,  disponible sur https://www.rtbf.be/, publiĂ© le 08 ocobre. 2024, https://www.rtbf.be/article/les-propos-racistes-de-conner-rousseau-font-largement-reagir-11288119

[28] L’Echo, “Propos racistes : Conner Rousseau s’excuse mais ne convainc guĂšre”, disponible sur https://www.lecho.be/, publiĂ© le 5 octobre 2023 , https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/flandre/propos-racistes-conner-rousseau-vooruit-s-excuse-mais-ne-convainc-guere/10497263.html

[29] L’Echo,”Conner Rousseau redeviendra PrĂ©sident de Vooruit comme si de rien n’était”, disponible sur https://www.lecho.be/, publiĂ© le 2 juillet 2024, https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/general/conner-rousseau-redeviendra-president-de-vooruit-comme-si-de-rien-n-etait/10553916.html

[30 ] L’Echo, “Conner Rousseau, seul candidat, rĂ©elu avec 94% des voix”, disponible sur https://www.lecho.be/, publiĂ© le 18 juillet 2024, https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/flandre/conner-rousseau-seul-candidat-reelu-president-de-vooruit-avec-94-des-voix/10556119.html

[31] DĂ©pĂȘche Belga, Les rĂ©actions de la classe politique francophone aux propos racistes de Conner Rousseau, disponible sur https://www.7sur7.be/, publiĂ© le 6 octobre 2023, https://www.7sur7.be/belgique/les-reactions-de-la-classe-politique-francophone-aux-propos-racistes-de-conner-rousseau~a8234f81/

[32] La Rédaction de La Libre, Georges-Louis Bouchez sur la démission de Conner Rousseau: « Les émissions en Flandre étaient hallucinantes », disponible sur https://www.lalibre.be/, publié le 20 novembre 2023, https://www.lalibre.be/belgique/politique-belge/2023/11/20/georges-louis-bouchez-sur-le-dossier-des-pfas-et-celine-tellier-comment-voulez-vous-que-nous-nous-ayons-confiance-en-elle-LQSCUEIZEJDQFFEFIUSKS7FPUA/

[33] Gauvain Dos Santos, “InterrogĂ© sur Julie Taton, Georges-Louis Bouchez bifurque sur les gens du voyage : ‘Humiliation permanent’, rĂ©agit la communautĂ©â€, disponible sur https://www.dhnet.be/, publiĂ© le 29 aout 2024, https://www.dhnet.be/actu/elections-belges/elections-communales/2024/08/29/interroge-sur-julie-taton-georges-louis-bouchez-bifurque-sur-les-gens-du-voyage-humiliation-permanente-reagit-la-communaute-QR65GZ5THRB43K7GR7X2RHS3DQ/

[34] DaniÚle Madrid, Roms,  Voyageurs, violences policÚrrs et devoir de mémoire, disponible sur https://www.centreavec.be/, publié le 22 janvier 2015, https://www.centreavec.be/publication/roms-voyageurs-violences-policieres-et-devoir-de-memoire/

[35] Baudouin Janssens, Les Roms : Une actualité de cinq siÚcles, disponible sur https://www.amnesty.be, publié le 15 octobre 2013, https://www.amnesty.be/infos/notre-magazine-le-fil/septembre-octobre-2013/article/roms-actualite-cinq-siecles

[36] G.La, Gens du voyage à Mons: Georges-Louis Bouchez prÎne un « harcÚlement policier », disponible sur https://www.dhnet.be/, publié le 8 novembre 2021, https://www.dhnet.be/regions/mons/2021/11/08/gens-du-voyage-a-mons-georges-louis-bouchez-prone-un-harcelement-policier-EZATZ4B5HJGSTM574EVIKEWHRQ/