Statistiques et Société

Statistiques et Société

Statistiques et Société

Des notes de restaurants aux écarts de salaires, comment lire et comprendre ces nombres qui dirigent nos décisions et celles des autres ?

 

Statistiques et Pizza 

Le mot « statistiques » peut paraître effrayant, mais sans le savoir, nous les utilisons constamment. Par exemple pour choisir où aller manger. Imaginons que vous êtes en vacances et voulez manger une pizza. Google maps vous propose deux restaurants. Automatiquement, vous regardez les avis reçus:

Comment choisir?

Les deux notes moyennes (4) sont égales et semblent indiquer que ces restaurants sont de bonne qualité. Cela ne vous aide pas trop à prendre une décision… Les deux restaurants ont aussi un nombre d’avis très haut, ce qui laisse penser que ces restaurants sont populaires. En plus, ce haut nombre d’avis rend ces deux moyennes fiables. Il est donc plus judicieux de regarder le reste des informations disponibles: la distribution des notes de ces avis. Nous voyons que Domino Hutreçoit majoritairement des 4. Dough Re mi, de son côté, a des avis extrêmement positifs ou très négatifs. En allant chez Dough Re mi, le risque d’être déçu·e·x semble donc bien plus haut.

Lequel choisiriez-vous maintenant?

En regardant de plus près les avis, vous remarquez qu’une grosse partie des avis négatifs de Dough Re Mi proviennent de touristes, et que les avis positifs viennent en majorité de locaux·ale·x·s du village. Nous pouvons donc observer un groupe « d’expert·e·x·s«  de cuisine authentique parmi ces auteur·rice·x·s d’avis positifs.

Convaincu·e·x par votre choix final?

 

Statistiques et Confinement

Les statistiques ne sont pas seulement utilisées pour déterminer la meilleure pizzeria du coin, mais aussi pour prendre des décisions à des échelles nationales et internationales par des institutions gouvernementales [1].

Prenons l’exemple récent de la crise du COVID. Nous avons tous·te·x·s entendu quotidiennement les pourcentages de lits d’hôpitaux occupés, de tests covid positifs, d’efficacité des vaccins, etc. Ces statistiques ont aidé le gouvernement à informer la population de l’avancement du virus, mais aussi à prendre des décisions [2]. En effet, lorsque la moyenne des tests positifs augmentait, des mesures strictes de confinement généralisé ont été mises en place en réponse.

Avec un tel impact sur notre vie quotidienne, il y a des enjeux proportionnels. A tel point que six groupes scientifiques étaient responsables de gérer ces statistiques, avec le but de garder la Belgique en bonne santé [3]. Trois sont encore actifs, il s’agit du:

  • Risk Assessment Group (RAG), qui analyse les risques à partir de données vérifiées. Il est présidé par Sciensano et formé d’experts.
  • Risk Management Group, chargé de prendre des mesures suivant l’avis du RAG.
  • et finalement, du comité Scientifique du coronavirus, qui commente l’évolution du virus sur base d’arguments scientifiques.

Il est important de mentioner que, comme pour les amateurs de pizzas locaux, certaines personnes ont plus d’expertise que d’autres étant donné un sujet. Parmi les expert·e·x·s, les opinions peuvent varier. En science, on appelle consensus scientifique l’opinion scientifique formée à partir d’une série de preuves vérifiables, acceptée par une majorité de scientifiques. Ce consensus peut évoluer au cours du temps lorsque les preuves changent ou lorsque de nouvelles preuves sont disponibles.

 

Pourquoi (ne pas) aimer les statistiques

Entre choisir la meilleure pizza et confiner l’ensemble d’un pays, il est vrai que les consequences qui découlent de ces deux décisions (toutes deux influencées par des statistiques) et la responsabilité associée ne sont pas comparables. Cependant, en individus avertis, nous devrions nous armer de la connaissance et des outils pour utiliser pleinement les informations disponibles. Un bon point de départ est de connaitre les limitations des statistiques qui nous sont présentées. Nous en avons identifié quelques unes:

Que se passe-t-il quand ces statistiques sont mal calculées?

Et quand elles sont mal interprétées [4]?

Que se passe-t-il quand nos données sont biaisées, ou non représentatives de notre population cible [5]?

Dans la meme veine, que se passe-t-il quand les statistiques reportées ont un impact négatif sur la population qu’elles décrivent (effet Golem) [6, 7]?

Dans cet article, nous vous donnons différents outils pour analyser de manière critique les nombres que vous rencontrez et rencontrerez, ainsi que des dangers de l’invisibilisations de certaines minorités telles que les personnes queer racisées lorsque de telles statistiques sont reportées et de l’effet Golem sur ces minorités lorsque ces statistiques reportent des conclusions très pessimistes et défaitistes.

 

Le cas des salaires 🤑

Comme fil conducteur pour cet article, nous allons étudier en détail une statistique (en surface très simple) à laquelle nous sommes tous·te·x·s confronté·e·x·s: une estimation de notre salaire. Ou plus précisément: combien pouvons nous pouvoir être rémunéré·e·x dans le cadre de notre travail, selon certains facteurs tels que notre âge, domaine d’activité, ou encore plein d’autres éléments comme nous le verrons. 

C’est une statistique très utile à plusieurs échelles. Pour commencer, en tant qu’individus exposés au marché du travail, cette statistique est un indicateur que beaucoup considèrent pour choisir une orientation professionnelle. Elle peut aussi être utilisée en outil d’argumentation, par exemple lors d’une demande d’augmentation.

A une échelle plus globale, c’est cette statistique qui est utilisée pour comprendre le niveau de parité (ou équivalent de discrimination) dans un pays ou une entreprise, et ensuite permettre d’alerter et d’implementer des mesures adaptées (i.e. quotas, compensations, …). C’est ainsi que les Nations Unies ont défini l’égalité de genre (incl. des revenus) comme un des 17 objectifs développement durable pour transformer notre monde! [8]

 

La taxe rose

La statistique la plus reportée et qui reçoit le plus d’attention du public est la difference moyenne de salaires entre hommes et femmes. Nous avons trouvé deux études qui estiment l’écart salarial moyen à environ 5% en défaveur des femmes [9, 10]. Cet écart est calculé et corrigé de sorte à refléter la différence horaire plutôt qu’annuelle, ce qui compense les variations dues aux jobs à temps partiel.

Pourquoi environ 5%? Statbel reporte 5% tandis que le service public fédéral reporte 9.2%. Les deux sont cependant bien des institutions fédérales. Pourquoi cette différence? La manière dont une moyenne est calculée ainsi que les données utilisées ont une grande influence sur le résultat. Malheureusement nous ne disposons assez d’information pour expliquer précisément l’origine de ces différences, mais nous avons deux pistes.

Le choix de l’échantillon pourrait fortement influencer les résultats. En effet, comme il est difficile de récolter des données de l’entièreté de la population, des sous groupes sont choisis comme représentant. Selon le degré de « représentativité », les résultats peuvent varier. Par exemple, nous observons que simplement d’un job à un autre, l’écart varie significativement.

Une deuxième raison pourrait être la perspective prise pour calculer ces écarts: d’un point de vue masculin, le calcul se fait par (salaire homme – salaire femme) / salaire homme. D’un point de vue féminin, il se fait par (salaire femme – salaire homme) / salaire femme. L’un mesure combien les femmes touchent en moins comparé au salaire des hommes, l’autre mesure combien les hommes gagnent de plus que les femmes. Il n’existe pas de mesure plus « juste » que l’autre, mais il est important de garder à l’esprit que ce facteur influence de même le résultat final.

 

La taxe arc-en-ciel

Steve Johnson, 2018, Unsplash, accessed 02.02.2024, https://unsplash.com/photos/blue-and-yellow-abstract-painting-wpw8sHoBtSY

80% des jeunes diplômé·e·x·s LGBT+ le sont ouvertement avec leurs ami·e·x·s et famille. Cependant, 34% des sondé·e·x·s préfèrent éviter d’évoquer le genre de leur partenaire en milieu professionnel, et 58% évoquent le fait que révéler faire leur coming out dans la sphère professionnelle peut potentiellement être un inconvénient [11]. Nous comprenons donc qu’il ne s’agirait pas d’une question de droit à la vie privée et/ou pudeur, mais d’une peur des conséquences.

Leur inquiétude est-elle justifiée?

A caractéristiques identiques, l’écart salarial entre les personnes hétérosexuelles et hommes homosexuels est d’environ 6% dans le public, et 5% dans le privé, en défaveur des personnes homosexuelles. Le coût du coming out dans la sphère professionnelle est donc en moyenne de 1’200€ par an, sur la base d’un salaire moyen. Alors qu’il est important de connaître ces statistiques, y être confronté·e·x peut avoir des conséquences négatives. Ainsi elles peuvent influencer les jeunes personnes LGBT+ à ne pas faire leur coming out, et d’utiliser des tactiques de dissimulation active, en plus de revoir leurs exigences à la baisse.

Cela peut avoir des effets psychologiques conséquents et diminuer l’efficacité au travail… qui en retour peut justifier une moindre rémunération. Ces statistiques peuvent aussi introduire une fausse croyance que fatalement, un·e·x employé·e·x homosexuel·le·x gagnera moins. Peuvent s’en suivre perte d’ambition et diminution de demande d’augmentation ouvalorisation… et donc une moindre rémunération. Vous voyez le problème?

On appelle cela l’effet Golem: des individus créent une réalité de leurs faibles attentes, ce qui conduit à de moins bonnes performances et l’acceptation de conditions inférieures [12].

Que faire? Prioriser une entreprise qui instaure un climat confortable, inclusif, et équitable vis-à-vis des personnes queer.

 

La taxe d’invisibilité

Michael Dziedzic, 2020, Unsplash, accessed 02.02.2024 https://unsplash.com/photos/black-and-white-polka-dot-pattern-vLmo8kAVVt4

Qu’en est-il des personnes racisées?

Si le sexisme et la queerophobie mènent à une différence de salaire, est-il impensable d’imaginer que notre salaire puisse aussi différer en fonction de notre couleur de peau? Nous avons jusqu’alors discuté de statistiques que nous avons récoltées (logique). Cependant, nous n’avons pas trouvé de rapports, d’études ni de statistiques qui nous permettraient de répondre à cette question en Belgique. C’est ainsi que nous nous posons une deuxième question: que se passe-t-il quand nous n’avons pas de statistique?

Pourquoi n’en avons nous pas en Belgique? Contrairement au genre, la couleur de peau n’est pas recensée en Belgique (seuls la nationalité et/ou lieu de naissance). Les US, pays très polarisé sur la question du racisme, opèrent différemment et recueillent ces statistiques très facilement. Les chiffres sont consternants: l’écart de salaire s’agrandit fortement dans le cas ou genre et race ont des effets combinés. Alors que les femmes gagnent $430,480 de moins que leurs homologues masculins au cours de leur vie, les femmes d’origine afro-américaine gagneront pour leur part $877,480 en moins. Ce chiffre monte à $1,007,080 pour les femmes d’origine latine [13].

Malheureusement pour la Belgique, il nous est impossible de trouver les chiffres correspondants, mais nous souhaitons souligner une chose importante: l‘inexistence de statistique n’équivaut pas à une absence de discrimination. Il reste donc très difficile d’évaluer l’existence du racisme dans le monde du travail [14, 15, 16]. De plus, nous faisons remarquer au passage que bien qu’utile et informatif, reporter uniquement l’écart salarial hommes-femmes peut occulter et minimiser les difficultés de certains sous-groupes, dont les femmes racisées.

 

Et maintenant ?

Dans cet article, nous avons parcouru les différentes injustices salariales d’après différents critères démographiques non contrôlables. Nous avons vu qu’il est important de comprendre comment ces chiffres ont été calculés pour interpréter aux mieux ces statistiques. Nous avons aussi établi que ces statistiques sont omniprésentes dans notre société, et peuvent avoir un réel impact sur la vie des groupes affectés.

Alors qu’en est-il des personnes queer racisées?

En Europe, l’orientation romantique et/ou sexuelle des individus ainsi que leur couleur de peau/appartenance ethnique ne sont pas recensées systématiquement comme elles peuvent l’être aux Etats-Unis. Si cela apporte une meilleure assurance de vie privée, cela nous prive aussi de statistiques essentielles pour reconnaître l’étendue des injustices (ou même leur existence). 

Sans prise de conscience de ces injustices, aucune mesure officielle ne peut malheureusement être prise, autorisant ces injustices à perdurer.


Sources

[1] https://www.ecb.europa.eu/ecb/educational/explainers/tell-me-more/html/statistics.en.html
[2] https://etaamb.openjustice.be/fr/arrete-ministeriel-du-18-mars-2020_n2020030331.html
[3] https://www.sciensano.be/fr/sujets-sante/coronavirus/role
[4] How to lie with statistics, Darrell Huff
[5] https://bmcmedethics.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12910-017-0179-8
[6] https://psycnet.apa.org/doiLanding?doi=10.1037%2F0022-0663.74.4.459
[7] https://19thnews.org/2022/08/black-trans-women-life-expectancy-false/
[8] https://www.un.org/sustainabledevelopment/gender-equality/
[9] https://igvm-iefh.belgium.be/fr
[10] https://statbel.fgov.be/fr/themes/emploi-formation/salaires-et-cout-de-la-main-doeuvre/ecart-salarial#:~:text=En%20Belgique%2C%20l%27écart%20salarial,heure%20que%20leurs%20homologues%20masculins
[11] https://www.lemonde.fr/campus/article/2016/01/29/reveler-son-homosexualite-a-son-employeur-coute-1-200-euros-par-an-en-moyenne_4856129_4401467.html
[12] https://psycnet.apa.org/doiLanding?doi=10.1037%2F0021-9010.93.5.994
[13] https://wocninc.org/wp-content/uploads/2018/11/LGBTQFAQ.pdf
[14] https://fecasbl.be/un-racisme-insidieux-et-transversal-dans-lemploi/
[15] https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/general/la-belgique-moins-violente-mais-aussi-raciste-que-les-etats-unis/10233001.html
[16] https://www.unia.be/fr/articles/en-belgique-la-couleur-de-peau-est-toujours-un-obstacle


Assa Traoré

Assa Traoré

« Nous avons des droits mais si l’on ne sait pas les utiliser, ça ne sert rien »

 

Assa Traoré

 

Assa Traoré. KENZO TRIBOUILLARD/AFP

Militante très connue en France mais aussi chez nous en Belgique, Assa Traoré ne cesse de se battre pour que la justice soit rendue pour la mort de son frère, Adama Traoré, victime de violences policières. Elle est même vue, à seulement 36 ans, comme un emblème vivant de la lutte contre le racisme et les violences policières en France. Née le  janvier 1985  dans le 9ème arrondissement de Paris, elle est issue d’une famille polygame orginaire du Mali. Elle considère les 4 femmes de son père comme ses mères et a 17 frères et sœurs. Assa et son frère Adama n’ont pas la même mère mais cette famille est si soudée que les deux épouses vivent ensemble à Beaumont-sur-Oise.

Dès le CM2 (qui équivaut à la dernière année primaire en Belgique), Assa Traoré voit naître en elle un intérêt pour le métier d’éducatrice, après la présentation des éducatrices de la protection judiciaire de la jeunesse, dans sa classe. Elle obtient son diplôme en 2007, et travaille à Sarcelles pour la fondation OPEJ- Baron Edmond de Rothschild (ancien réseau résistance pour la protection des enfants juifs) jusqu’en 2019.

A 23 ans, elle quitte le foyer familial mais reste la cheffe de sa famille depuis la mort de son père en 1999. C’est une des raisons pour lesquelles elle continue la lutte pour la mort de son frère. Une lutte contre un Etat français, sa police et sa justice qui, selon elle, sont profondément ancrés dans le racisme institutionnel et systémique. 

C’est en 2016 que le  combat commence pour cette mère de 3 enfants lorsque son frère, Adama Traoré, meurt à la suite d’une interpellation policière. En effet, certaines expertises médicales indiquent que l’asphyxie est la cause de la mort du jeune Traoré; tandis que la police, elle, appuie sur les antécédents médicaux  de ce dernier. Assa Traoré a rédigé deux ouvrages qui mettent en lumière cette lutte pour la justice. Elle a co-écrit “Lettre à Adama” avec Elsa Vigoureux qui traite de L’affaire Adama, aux éditions Le Seuil en 2017. Elle rédige également aux côtés de Geoffroy de Lagasnerie “Le combat Adama” sorti aux éditions Stock en 2019. 

 

Sources

[1] https://www.liberation.fr/france/2016/09/06/assa-traore-le-droit-de-savoir_1486795/
[2] https://www.nouvelobs.com/societe/20170517.OBS9529/10-choses-a-savoir-sur-assa-traore.html
[3] https://www.closermag.fr/politique/adama-traore-qui-est-sa-soeur-assa-1125944
[4] https://www.babelio.com/auteur/Assa-Traore/435176
[5] https://www.jeuneafrique.com/1116124/societe/assa-traore-les-noirs-et-les-arabes-ne-sont-pas-en-securite-en-france/
La Prison

La Prison

La Prison

 

Le reflet d’un racisme structurel.

Emiliano Bar, 2019, Alcatraz San Francisco USA, Unsplash, accessed 02.01.2024, https://unsplash.com/photos/empty-prisoner-cell-OeAWU9VSHzo

Introduction 

Les établissements pénitentiaires sont des lieux dans lesquels se retrouvent un mélange de cultures et d’origines. L’incarcération de masse des personnes racisées participe activement à renforcer les inégalités et les stéréotypes. Les faits de discriminations fondés sur la couleur de peau ou la religion sont courants et reflètent les problèmes rencontrés en dehors des murs des prisons. Dans cet article, nous allons aborder le problème du “racisme dans le milieu carcéral”.  Afin de définir au mieux les différents enjeux, il est important de contextualiser et de donner quelques chiffres. 

 

La Prison: le Reflet d’un Racisme Structurel

Nous nous concentrerons principalement sur les situations belges et françaises. Il est important de le préciser car le racisme en prison ne s’y manifeste pas de la même façon que dans d’autres pays, les États-Unis par exemple.  Aussi la Belgique compte 35 établissements pénitentiaires [1] dans lesquels sont enfermés 10’808 détenus [2] . Parmi ceux-ci, on estime que 44% de la population pénitentiaire est constituée de personnes n’ayant pas la nationalité belge [2]. Au -delà de ce premier fait, un deuxième constat est marquant : la surreprésentation des personnes racisées, souvent issues de classes populaires dans ce milieu.  Ces constats reflètent un racisme structurel qu’il est parfois difficile de déceler. 

Le problème du racisme est présent dans tous les aspects de la boucle pénale, et commence dès lors au sein même des institutions étatiques et plus précisément de la justice et des forces de l’ordre. Il s’agit du premier vecteur par lequel une différence de traitement est appliquée [3]. Ainsi, Jacques Toubon, défenseurs des droits, explique que des pratiques policières se traduisaient par un « profilage racial et social » lors des contrôles d’identité. À Paris, des ordres et consignes discriminatoires enjoignant de procéder à des contrôles d’identité de « bandes de Noirs et de Nord-Africains » et des évictions systématiques de « SDF et de Roms » ont été diffusés.”

Ces actes sont définis comme des contrôles de faciès et peuvent mener à des violences policières ainsi que des jugements de condamnations disproportionnés au détriment des personnes racisées [3]. En Belgique, de nombreuses associations et institutions dénoncent depuis longtemps les pratiques de profilages mais aussi les violences policières dont font particulièrement l’objet les personnes racisées [4][5]. 

 

Si vous faites l’objet ou si vous êtes témoins de violences policières, nous vous invitons à vous rendre sur le site “https://policewatch.be/” qui vous aiguillera vers différents services que cela soit pour porter plainte, témoigner et/ou se remettre de cet épisode traumatique. 

 

Le racisme se retrouve aussi au sein de notre système pénal, dans la mesure où lorsque l’on est étranger et/ou sans domicile fixe, il est plus courant de faire de la détention provisoire. En effet, la décision de placer un individu en détention provisoire, c’est-à-dire le fait de se faire enfermer en attente d’un procès,  se base sur différents critères et notamment le risque de se soustraire à la justice. Ce risque serait supposément plus facile si l’on est étranger (retour dans son pays) ou sans domicile fixe (pas de résidence où la personne peut être assignée). 

 


Réflexion : si en théorie on peut comprendre ce raisonnement, il participe à alimenter un système raciste et classiste. Il contribue aussi à alimenter la surpopulation et donc les conditions inhumaines dans les prisons belges, puisque ⅓ des détenus sont en détention provisoire.  De plus, on s’interroge sur la pertinence d’un tel critère, une personne poursuivie par exemple pour fraude fiscale n’a-t-elle pas plus de moyens pour quitter le territoire belge? 


 

Au sein des établissements carcéraux, tant les détenus que les gardiens évoquent un nombre important de comportements racistes. Lors d’une étude sur le racisme dans le milieu carcéral, plusieurs détenus ont témoigné des inégalités auxquelles ils faisaient face : 

« Les détenus et, dans certains cas, les surveillants ont des préjugés. Il y a de bons surveillants ici mais, c’est un fait, il existe du racisme. Ça se perçoit dans la façon dont on est traité, dans l’attitude et le comportement. Vous pouvez le sentir. Pourquoi est-ce que l’on vous traite différemment ? Vous, vous attendez certaines choses depuis trois mois et, en fin de compte, c’est un autre qui parvient à obtenir les mêmes choses plus rapidement que vous. Bien entendu, vous vous posez la question : « elle est où, la différence ? ». La seule différence, c’est la religion et la couleur de peau » [6]

Le dernier numéro du journal “La Brèche” met également en lumière d’autres éléments qui contribuent au racisme au sein de nos établissements, notamment dans différents aspects de la lutte contre la radicalisation en prison et dans la criminalisation des drogues. Nous vous renvoyons dès lors vers ce numéro [7]. 

Enfin, lors de la sortie de prison, un énorme stigmate pèse sur les personnes détenues ce qui rend plus complexe leur réinsertion: accès au logement, à l’emploi, rupture des liens familiaux et amicaux, poids du casier judiciaire…[8] Pour les personnes racisées, il s’agit une nouvelle fois d’une double “peine” puisque l’accès au logement ou à l’emploi par exemple sont des situations où le racisme systémique se manifeste une fois de plus. 

 

Situation Réelle des Personnes Incarcées

La situation réelle des personnes incarcérées est souvent bien loin de ce qui est promu par les textes législatifs internationaux et propres à l’institution. La population (ou “sur”population) présente derrière les barreaux est très hétérogène ; la prison recense un grand nombre de “cultures” différentes. Souvent causes de multiples soucis, les barrières linguistiques et culturelles sont représentatives d’un racisme systémique présent. 

 

Barrière linguistique 

“La discrimination fondée sur […] la langue […] est interdite par tous les instruments mondiaux et régionaux des droits de l’homme” (Nations Unies, 2004) [9].

 

Pour rappel, en Belgique, il y a trois langues nationales: le français, le néerlandais et l’allemand. Beaucoup de personnes incarcérées ne parlent pas la langue du pays dans lequel elles se trouvent au moment de cette incarcération. En France, certains chiffres de l’Education nationale affirment que 6% des personnes incarcérées ne parlent pas le français et 8% éprouvent beaucoup de difficulté [11].  Dès lors, sans moyen de communication, le nombre de freins à l’intégration augmente encore d’avantage.  D’ailleurs, en Belgique, en 2017, 44% des personnes incarcérées sont d’origine étrangère [12]. Cela pose souvent des soucis pour la compréhension de la situation et ne permet pas une bonne communication entre les membres représentants l’institution carcérale (comme les agents pénitentiaires) et les détenus. Pourtant, tout prisonnier, qu’importe le pays où il se trouve, doit recevoir les informations utiles concernant sa situation dans une langue qu’il comprend.  C’est pour cette raison que plusieurs formations existent au sein de la prison. Plusieurs d’entre elles ont comme objectif d’apprendre la langue “nationale” (de la prison). Néanmoins, la prison referme rapidement les portes de son château fort. Le manque de personnel, les grèves ou les pandémies empêchent souvent les services extérieurs à la prison (et donc les formations) d’entrer. 

Chomel Javotte, formatrice en français et langues étrangères en maison d’arrêt, a pu repérer plusieurs raisons pour lesquelles ne pas savoir communiquer dans une langue connue stigmatise, empêche l’individu d’avancer et rend le quotidien compliqué. 

  • Connaître les règles internes à la détention
  • Circuler en détention et en avoir la permission
  • Accéder aux premiers soins 
  • Gérer sa situation pénale
  • Accéder à des activités et formations
  • Participer aux échanges collectifs [10] 

Il n’y a bien évidemment pas que les soucis propres aux contacts avec l’institution. Comme elle le souligne : le langage est davantage une fonction qu’un outil. Il permet de rentrer en relation avec autrui et avec soi-même. La barrière linguistique empêche rapidement la personne en détention à se reconstruire grâce aux “peu” d’outils proposés par l’institution. En plus de cela, cela empêche les contacts et enferme la personne dans une position “faible”. Les barrières linguistiques ont un impact réel sur les conditions de vie des personnes détenues. 

 

Barrière Culturelle 

Au-delà de la différence de la langue, il existe une diversité culturelle qui peut poser des problèmes. Pourquoi parlons-nous de barrière ? Car il existe une quasi négation de la culture des détenus au sein de leur prison belge. En effet, bien que le droit à la culture soit reconnu par la constitution belge, il n’est jamais réellement considéré pour les personnes détenues. Ce droit se retrouve associé à d’autres activités dites “formation et de loisirs” au lieu d’avoir ses propres modes d’action et de développement [13]. En mettant la culture  sous la coupole de “formation et de le loisirs”, elle se retrouve limitée à des activités culturelles de type artistiques au lieu de viser le maintien des relations des détenues avec leur culture étrangère. 

Puisque La culture détermine plusieurs aspects de la personnalité d’un individu, il est important de la prendre en compte dans l’analyse des rapports en  prison. Les personnes dites  étrangères se retrouvent dans un fonctionnement (judiciaire comme pénitencier)  différent  et cela peut avoir un impact négatif sur leur mental. 

Par culture, on entend aussi la religion. Chaque religion à ses codes et ses chefs religieux. Malheureusement, il est à constater que certaines de ses personnes de contact et/ ou chef religieux ont dû/ doivent  se déplacer bénévolement en prison, ce qui, de facto,  diminue  leur présence [14]. Cela a par exemple été le cas des imams jusqu’à l’arrêté royal du 17/05/2019 qui leur octroie officiellement une rémunération comme tout autre représentant de culte. Dans le but de lutter contre la radicalisation, l’arrêté royal de 2016 avait déjà fait une avancée en augmentant le nombre de conseillers islamique à 26 au lieu de 17. 

 


Réflexion:   En ayant connaissance des stéréotypes existant autour de la religion musulmane ainsi que les raisons qui ont poussé à cette élargissement du nombre de conseillers musulmans, plusieurs questions se posent. Nous pouvons nous demander si ces avancées légales ont un réel lien avec la volonté d’assurer un accès à leur religion aux détenues, ou si, elles ont été mises en place dans le but de participer aux  préjugés que subissent les personnes de confession musulmane. 


 

De plus, le personnel pénitentiaire n’a aucune formation sur les règles et coutumes propres à chaque communauté [15]. Les prisons belge ayant  beaucoup de profils étrangers  des formations devraient être fournies au personnel sur l’ouverture culturelle afin de déconstruire certains stéréotypes. Enfin,  comme cela a été le cas lors la création des “ghetto”,  les differents nationalités se retrouvent généralement regrouper par cellule ou par bloc [15]. 

 


Réflexion:  Bien qu’on puisse voir cela comme une envie de réunir les personnes partageant la même culture,  cette pratique pourrait avoir un aspect négatif selon nous. En effet, nous trouvons que ce communautarisme forcé est une barrière à la diversité et à la  déconstruction des stéréotypes.


Les différents éléments expliqués tout au long de cet article nous amène donc à considérer que les barrières linguistiques et culturelles font partie intégrante du racisme systémique. 

 

 
Sources

[1] DG EPI, Rapport annuel 2017, 2017, p.8. 
[2] Ces chiffres datent du 31 janvier 2020. Voy. M. F. AEBI et M. M. TIAGO – SPACE (Council of Europe Annual Penal Statistics), Prison Populations. SPACE 1 -2020, Conseil de l’Europe, Strasbourg, mis à jour le 11 avril 2021, p. 62
[3] GENEPI, “Pour un Genepi antiraciste”, disponible sur www.genepi.fr, consulté le 8 mars 2021, p. 2.
[4] Unia, Identifier et affronter des problèmes et abus dans la sélectivité policière. Une recherche-action sur les pratiques et/ou mécanismes problématiques de sélectivité policière au sein de la zone de police Schaerbeek-Evere-St-Josse (PolBruNo), 2020. 
[5] N. Kumba, “Répertoire des violences policières”, disponible sur zintv.org, consulté le 15 mars 2021. 
[6] Les musulmans en prison en Grande-Bretagne et en France, James A. Beckford, Danièle Joly, Farhad Khosrokhavar,   Presses Universitaires de Louvain, 2005, p. 208.
[7] Genepi Belgique,“Racisme et criminalisation: des populations dans le viseur”, La Brèche, n° 4, 2022. 
[8] B. Liaras et S. Dindo, “Le poids du stigmate”, disponible sur oip.org, consulté le 15 mars 2021. 
[9] Nations Unies.”Les droits de l’homme et les prisons. Manuel de formation aux droits de l’homme à l’intention du personnel pénitentiaire”, 2004
[10] Chomel, J. “Intervenir en dispositif de formation linguistique en milieu carcéral. VST - Vie sociale et traitements”. 2014, 124, 62-68. https://doi.org/10.3917/vst.124.0062
[11] OIP. “Quand la prison redouble la barrière de la langue”. Disponible sur https://oip.org/analyse/ Publié le 2 février 202.
[12] Prison Insider. “Belgique: les prisons en 2021. Populations spécifiques.” Disponible sur https://www.prison-insider.com/fichepays/belgique-2021
[13]Bibiana Vila Giménez “Su l’action culturelle en milieu carcéral “ dans « Neuf essentiels pour » Des outils pour vivre ensemble” culture & democratie 2015 p22.
[14] S. Snacken,“ Etranger  dans les prisons Belges : problème et solutions possible - rapport d’étude”, Vrij universiteit Brussel  p.55
[15] S. Snacken,“ Etranger  dans les prisons Belges : problème et solutions possible - rapport d’étude”, Vrij universiteit Brussel  p.56

				
					
Racisme Anti-Blanc

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Racisme Anti-Blanc

 

1. Racisme ou Discrimination ?

Nous trouvons nécessaire de commencer par faire un renvoi à notre article « Qu’est-ce que le racisme » [1] où nous vous expliquions les différentes formes qui caractérisent le racisme et la différence qui existe avec la discrimination. Dans cet article, nous insistions déjà sur le fait que le racisme repose sur la croyance qu’il existe différentes « races » classées hiérarchiquement entre elles. Et, comme nous l’expliquons dnas notre dernier article, cette hiréarchie produit des désavantages pour les personnes racisées ainsi que des avantages pour les personnes blanches. Ce phénomène est appelé le « White Privilege ». Comme l’exprimait déjà la chercheuse américaine Peggy MacIntosh dans les années 90, en étant considéré comme faisant partie de la « race » dominante, elle ne pouvait, en tant que blanche subir du racisme et être discriminée pour un logement ou un emploi à cause de sa couleur de peau [2].

Il est important de souligner que nous ne cherchons pas à décrédibiliser l’expérience des victimes de discrimination. Mais « ces actes individuels sont généralement perpétrés par une personne isolée et ne peuvent pas être comparées ou assimilés à du racisme » au vu de l’ancrage historique et systémique que porte le racisme [3]. Dans un interview pour France Culture, le sociologue Eric Fassin appuie sur cette différence. Selon lui, « dire que traiter de ‘sale blanc’ ou traiter de ‘sale noir’ c’est le mëme chose, c’est faire comme si, quand on disait ‘sale blanc’ ça résonnait avec toute une histoire, avec toute une expérience sociale ordinaire et avec tous les discours politiques » [4]. Alors que le discrimination  ne revët qu’une dimension interpersonnelle, le racisme englobe à la fois des dimensions interpersonnelles, interstructurelles, institutionnelles et systémiques [5]. La domination sociale des personnes blanches étant toujours actuelle, être insulté·e·x parce qu’on est blanc sera donc perçu comme une discrimination mais ne pourra ëtre comparable au racisme systématique, perpétuel et généralisé que subissent les personnes racisées [6].

 

2. L’Émergence du Terme « Racisme Anti-Blanc » Dans Divers Milieux

En France, parler du racisme anti-blanc n’est pas sans lien avec la montée du Front National depuis plus de vingt ans. Jean-Marie Le Pen déclare en 1985, avec d’autres mots: « Je condamne tous les racismes, y compris le racisme anti-Français. C’est celui là qui, dans ce pays, sévit le plus gravement » [7]. En effet, face aux nombreux mouvements anti-racistes, le sociologue Erwan Lecoeur explique le contre-coup tenté par le FN pour dénoncer des accidents qu’il dénonce de dommages du « racisme-anti-blanc ». Il s’agit selon lui, d’une technique de persuasion politique [7].

Le monde du football a également amené la question sur la table lorsque le footballeur français Lilian Thuram dans une interview au Corriere dello Sport s’est positionné sur le racisme présent dans le milieu [8]. Il déclare également « Il est nécessaire d’avoir le courage de dire que les Blancs pensent être supérieurs et qu’ils croient l’être. C’est quelque chose qui dure malheureusement depuis des siècles [9]. Le commentateur Pierre Ménès répond plusieurs semaines suivant l’incident que le « problème en France, en tout cas dans le foot, c’est le racisme anti-blanc » [9]. L’amalgame s’est rapidement retourné contre Lilian Thuram et il dois de défendre en parlant du « complexe de supériorité » des blancs [8].

 

3. Le lien avec la fragilité blanche

Il pointe là ce qu’on appelle la fragilité blanche. Concept fondé en 2018 par l’auteure Robin Di Angelo, sociologue de l’éducation multiculturelle, la fragilité blanche représente la difficulté des personnes non-racisées à parler et assumer le racisme dans lequel ils sont impliqués. Il représente ce mécanisme de défense qu’ont les Blancs quand on parle de racisme, lorsqu’ils se sentent associés à la suprématie blanche et ses dérives « visibles » [10]. Il est important de noter que ce système est une réaction très souvent inconsciente et qui est fortement liée au malaise des Blancs face au « stress racial » ou plus largement, face aux discussions portant sur le racisme.

Ainsi, « … l’on croit que les actes racistes sont uniquement commis par de mauvaises personnes souhaitant sciemment en heurter d’autres, alors pointer du doigt le comportement raciste de quelqu’un remet en question sa moralité. » [11] . Nous pouvons ainsi créer un lien avec le racisme anti-blanc. Chaque personne a sa perspective et connaît sa propre expérience du racisme. Néanmoins, tel que l’explique la journaliste Paloma Soria Brown, le racisme est tout d’abord une question d’équilibre des pouvoirs et « lorsque l’on est en situation de pouvoir, on peut utiliser ses sentiments pour détourner l’attention du vrai problème et conserver ce pouvoir » [11].  En invoquant le racisme anti-blanc, une comparaison est opérée avec le racisme, décrédibilisant ainsi les expériences des personnes racisées pour qui les conséquences du système racial se fait plus lourdement ressentir.

 

Sources

[1] https://racism-search.be/uncategorized/quest-ce-que-le-racisme/
[2] N. Rousseau, "Le racisme anti-blanc n'existe pas!", disponible sur www.bepax.ors, publié le 28 octobre 2016.
[3] B. Betty, "Pourquoi le racisme anti-blanc n'existe pas!", disponible sur www.metly.fr publié le 18 février 2020.
[4] E. Mourgues "Le racisme anti blanc n'existe pas. Ça n'a pas de sens pour les sciences sociales", disponible sur www.franceculture.fr, publié le 10 octobre 2018
[5] R. Duallo, "Pourquoi le racisme anti-blanc n'existe pas", disponible sur www.regards.fr, publié le 27 septembre 2018
[6] Tapage, "Le VRAI/FAUX du racisme", disponible sur www.tapage-mag.com publié le 10 juin 2020
[7] J. Jarrassé, "Le racisme anti-Blanc un concept hérité du FN", disponible sur https://www.lefigaro.fr, publié le 26 septembre 2012
[8] M. Fourny, "Racism: Lilian Thuram recadré par la Licra pour des propos anti-Blancs", disponible sur www.lepoint.fr publié le 6 septembre 2019
[9] C. Dieng, "Lilian Thuram et le racisme anti-Blanc: ce faux prétexte pour précipiter la Guerre Civile en France", disponible sur www.lecourrier-du-soir.com, publié le 8 septembre 2019
[10] Courrier International, "La fragilité blanche, une notion qui fait réfléchir les Américains", disponible sur https://www.courrierinternational.com, publié le 4 juin 2020
[11] P. Soria Brown, "Robin DiAngelo: Les Blancs se protègent, eux et leur racisme, pour maintenir le statu quo", disponible sur www.liberation.fr, publié le 14 juillet 2020.
Difficultées d’une PMA pour les personnes racisées en France

Difficultées d’une PMA pour les personnes racisées en France

Les difficultées d’une PMA pour les personnes racisées en France

La PMA, Procréation Médicalement Assistée, permet aux couples hétéro et maintenant lesbiens ou aux femmes seules de pouvoir avoir un enfant par le biais de diverses techniques :

  • l’insémination artificielle, qui consiste à déposer les spermatozoïdes dans l’utérus pour faciliter la rencontre entre le spermatozoïde et l’ovule.

  • la FIV (Fécondation In Vitro) qui a lieu en laboratoire. Un spermatozoïde est alors directement injecté dans l’ovule pour former un embryon. L’embryon ainsi conçu est ensuite transféré dans l’utérus de la future mère.

  •  La dernière technique, celle sur laquelle notre article se concentre, est la PMA. Elle consiste à l’accueil de l’embryon dans l’utérus. Il est proposé à l’accueil par un couple donneur ou une femme seule donneuse anonyme, puis transféré dans l’utérus de la femme receveuse.

On a choisi de se concentrer sur la France car il existe peu de données pour la Belgique sur ce sujet.

Qu’est ce que dit la loi ?

En France, la loi bioéthique d’août 2021 relative à la PMA a élargi l’accès à la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes célibataires. Cependant, cette loi continue à exclure les personnes trans et non binaires. Elle permet également aux enfants issus d’un don de gamètes la possibilité d’accéder à leur majorité à l’identité de leur donneur.euses ainsi qu’à d‘autres informations s’ils/elles en font la demande. Mais un sujet plus tabou persiste néanmoins : la question de l’appariement pour les personnes racisées.

L’appariement est une norme médicale qui consiste à choisir les donneur·euses de spermatozoïdes ou d’ovocytes en fonction de la personne qui va le recevoir, afin qu’iels aient le même phénotype (couleur de cheveux, taille, carnation de la peau…). Concrètement, une femme noire en recherche d’un don d’ovocyte se verra attribuer l’ovocyte d’une donneuse, noire. Or, si les dons d’ovocytes en général sont rares en France, c’est encore plus vrai pour les ovocytes de phénotype noir.

L’IOP, une pathologie qui touche les femmes racisées

Il existe de plus en plus de femmes racisées confrontées à une pathologie nommée “I.O.P” pour Insuffisance Ovarienne Précoce. Dans de tels cas, les ovaires ne fonctionnent plus correctement et produisent peu de follicules matures. Leurs chances de concevoir un embryon viable à partir de ces ovules sont réduites entre 1% et 5%. Le don d’ovocytes est donc une nécessité pour mener à terme leur grossesse.

En moyenne en France une femme blanche attend généralement 5 ans avant de recevoir un ovocyte, tandis que pour les personnes racisées cela varie entre 8 et 10 ans: nombreuses sont les femmes qui abandonnent au bout de plusieurs années d’attente, dues au manque effarant de donneuses. La France est dans une situation de grande faiblesse sur les dons d’ovocytes de manière générale.

Il aura fallu attendre 10 ans avant que l’agence de la biomédecine commence un travail d’information autour du don de gamètes avec pour objectif de favoriser l’information et la réflexion autour du don de gamètes. Des campagnes nationales ont vu le jour mais le travail reste encore long pour pallier la pénurie du don d’ovocytes en France et ce, particulièrement pour les femmes noires dans l’attente d’ovocytes issus d’autres femmes noires.

Les conséquences de ce manque de don

Par manque de donneuses en France, les femmes racisées sont contraintes de se tourner vers l’étranger, notamment l’Espagne, pour accéder à une FIV  avec don d’ovocytes. Tout cela a bien évidemment un coût que peu de personnes peuvent assumer.

Le gouvernement français a donc tenté de trouver une solution en supprimant l’appariement obligatoire afin de laisser désormais le choix aux futures mères. On notera que cela ne résout pas le problème du manque de donneuses et particulièrement de donneuses racisées.

Les différentes raisons (liste non exhaustive)

 Ce manque de manière générale peut s’expliquer par plusieurs raisons:

⇒ en France contrairement à l’Espagne la donneuse n’est pas rémunérée alors qu’elle doit tout de même subir un traitement hormonal assez conséquent en amont de sa donation. Mais le gouvernement refuse de rémunérer les donneuses par peur d’une marchandisation de ces dons.

⇒Il y a un autre point qui rend complexe les PMA chez les personnes racisées : le parcours de soin gynécologique : Les personnes racisées sont plus sujettes à certains obstacles dans leurs parcours gynécologiques émanant d’un racisme ordinaire. On y retrouve le syndrome méditerranéen, un stéréotype culturel à dimension raciale du monde médical, consistant pour les professionnels de santé à considérer que les personnes noires, nord-africaines, ou d’autres minorités vivant autour de la Méditerranée exagèrent leurs symptômes ce qui entraîne de facto une défaillance de la prise en charge médicale de ces personnes.

⇒ On retrouve aussi le manque de connaissances de la recherche médicale en matière de fibrome utérin, l’exotification du corps, les pratiques accrues de césariennes, etc.

Quand tous ces obstacles sur le parcours de soins s’accumulent, il n’est pas surprenant que l’accès à la technologie du don de gamètes soit plus long.

Sandrine Ngatchou, de la chaîne Ovocytemoi, s’est exprimée sur son parcours en tant que femme noire infertile ayant voulu faire une PMA. Elle explique le manque de communication sur le don en soi. Il est vrai qu’on retrouve peu de campagnes sur le don d’ovocyte et les problématiques liées à la PMA, il n’est pas rare de voir au détour d’une rue des affiches pour le don du sang ou don d’organes mais celles concernant le don d’ovocyte et de gamètes dépassent rarement le cadre des salles d’attente des hôpitaux.

Au-delà d’un travail important d’information à ce sujet il est nécessaire de rappeler que les difficultés rencontrées par les donneur.euses noires résultent surtout de piliers racistes toujours ancrés dans la culture française. On parle donc ici du syndrome méditéranéen, de l’exotification du corps, des pratiques accrues de césariennes, etc. Il est donc primordial d’entamer un travail profond permettant une réelle amélioration de la prise en charge médicale et avant tout gynécologique de ces personnes.

SOURCES

Inès de Rousiers/France Info  : PMA : les femmes noires, oubliées du projet de loi ? https://la1ere.francetvinfo.fr/pma-femmes-noires-oubliees-du-projet-loi-858456.html Publié le 3 août 2020 à 11h27

Fanny Ruz-Guindos-Artigue/Libération : PMA : l’interminable attente des femmes noireshttps://www.liberation.fr/societe/droits-des-femmes/pma-linterminable-attente-des-femmes-noires-20210607_DOPWNGKHQZACTC3IF7YI24QNPY/ Publié le 7 juin 2021 à 8h15

Ketsia et Johanna entretien de Sandrine Ngatchou/ Les flux : Entretien avec Sandrine Ngatchou d’Ovocyitetmoi http://lesflux.fr/2020/10/06/entretien-avec-sandrine-ngatchou-dovocytemoi/ Publié le 6 octobre 2020

Rozenn Le Carboulec/Médiapart : PMA : des lesbiennes non blanches déplorent un « racisme médical » https://www.mediapart.fr/journal/france/301221/pma-des-lesbiennes-non-blanches-deplorent-un-racisme-medical Publié le 30 décembre 2021 à 16h05

Patricia N’depo/Afrique Avenir :  Communiqué PMA : Pour une lutte collective et politique des femmes noires https://www.afriqueavenir.fr/2019/05/28/communique-pma-pour-une-lutte-collective-et-politique-des-femmes-noires/ Publié le 28 mai 2019

La rédaction et AFP/Komitid : “Huit ans d’attente” : le combat des femmes noires pour accéder à la PMA https://www.komitid.fr/2021/08/24/le-combat-des-femmes-noires-pour-acceder-a-la-pma/ Publié le 24 août 2021 à 10 h 31

Geneviève Sagno/BBC news : « J’ai fait don de mes ovocytes pour aider des femmes noires à avoir un enfant » https://www.bbc.com/afrique/articles/c847ypxedq5o Publié le 9 novembre 2022

La rédaction d’allo docteur : Pourquoi la France manque-t-elle de donneuses d’ovocytes ? https://www.allodocteurs.fr/grossesse-enfant-procreation-assistance-medicale-a-la-procreation-pourquoi-la-france-manque-t-elle-de-donneuses-d-ovocytes-15452.html Publié le 29/01/2015, mis à jour le 03/02/2015