par sandrakabandana | Mar 31, 2024 | Articles, Belgique, Débat, Droits, Général, Intersectionalité
Excisions – mutilations génitales féminines

Sudinfo, « Un clitoris géant en prélude à la journée contre les mutilations génitales », 04 février 2022, www.sudinfo.be
En cette journée internationale des droits des femmes, nous avons fait le choix de nous pencher plus amplement sur la question des mutilations génitales féminines (« MGF« ).
Au moins 200 millions de filles et de femmes en vie aujourd’hui ont subi une mutilation génitale. Des dizaines de millions de filles courent encore le risque d’être mutilées d’ici à 2030.
Touche principalement les mineures, sans consentement, parfois sans anesthésie, avec matériel parfois très primaire.
Les pratiques d’excision ont lieu le plus souvent dans l’Ouest, l’Est et le Nord-Est de l’Afrique, dans certains pays d’Asie et au Moyen-Orient, ainsi que dans certaines communautés d’immigrants en Amérique du Nord et en Europe..
D’après l’OMS, plus de 200 millions de femmes et jeunes filles sont concernées par ce problème.
1. Définition
L’OMS définit en 2020 les mutilations génitales féminines comme : « toutes les interventions incluant l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme ou toute autre lésion des organes génitaux féminins qui sont pratiquées pour des raisons non médicales ».
4 catégories :
– Type I : ablation partielle ou totale du clitoris
– Type II : ablation partielle ou totale du clitoris et des petites lèvres, avec ou sans excision des grandes lèvres
– Type III : infibulation (qui consiste en le rétrécissement de l’orifice vaginal avec recouvrement par l’ablation)
– Type IV : accolement des petites lèvres et/ou des grandes
a. Dispositions internationales ?
Les MGF constituent une violation de plusieurs droits fondamentaux comme le droit à la vie, ou le droit à la santé.
b. Poursuite en Belgique ?
Principe de l’extraterritorialité : toute personne qui a participé, favorisé ou facilité une mutilation y compris à l’étranger, sur une mineure, peut être poursuivie en Belgique à condition que l’auteur se trouve sur le territoire du Royaume
A noter que certaines MGF sont pratiquées également sur le territoire de la Belgique.
c. Dispositions légales belges ?
- Article 409 du Code pénal : une peine de 3 à 5 ans de prison pour « quiconque aura pratiqué, facilité ou favorisé toute forme de mutilation des organes génitaux d’une personne de sexe féminin, ou tenté de le faire, avec ou sans consentement de celle-ci. La tentative sera punie d’un emprisonnement de huit jours à un an. (… )».
2. Droit d’asile en Belgique
Depuis 2006, suite à la transposition de la directive européenne « qualification-asile », on prend en compte les persécutions et les violences (y compris les MGF) infligées en raison du sexe ou de l’orientation sexuelle comme un élément ouvrant le droit à la protection internationale prévue par la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés.
⇒ L’invocation d’un risque de MGF permet d’ouvrir un droit au statut de réfugié en Belgique. Néanmoins, en 2019, la vision de la Convention de Genève devient plus stricte : seule la personne qui court réellement un risque de MGF a droit à la protection internationale. Le statut de réfugié n’est alors plus ouvert qu’aux enfants. Pour le parent, il pourra demander une autorisation de séjour sur base de l’article 9bis de la loi du 15 décembre 1980, qui régit la procédure de régularisation.
Le CGRA (Commissariat général aux réfugiés et apatrides) a introduit une procédure de suivi : il exige chaque année une attestation d’intégrité de l’appareil génital de la ou des fillettes concernées. Par exemple, les parents peuvent perdre leur statut de réfugié accordé à l’enfant et à eux-mêmes.
Cependant, cette exigence de suivi de la part du CGRA entraine une difficulté de vérification des sources en vue d’établir la crédibilité de la femme. Une simple erreur peut définitivement compromettre un dossier même si la crainte de persécution est fondée. Ce contrôle met la femme dans une impasse, la considérant toujours suspecte et la contraignant à prouver sa bonne foi. Cela constitue en outre une atteinte injustifiée au droit à la vie privée.
Il existe dès lors également un amalgame entre prévention et répression de l’excision : cette exigence de vérité poursuit les réfugiés reconnus bien au-delà de la demande de protection internationale initiale. La politique d’asile est alors liée à la politique criminelle et il persiste un réel risque de renvoyer les parents dans leur pays d’origine
La Belgique fait partie de l’un des cinq pays les plus demandés concernant la demande de droit d’asile sur le fondement de la pratique des mutilations génitales dans le pays d’origine, fait assez remarquable.
Tout de même, les poursuites pénales sont minimes. Entre 2001 et 2009, l’article 409 du Code pénal n’a jamais été utilisé. Cela est notamment dû à deux éléments:
- l’absence de dénonciation (les filles victimes sont souvent réticentes à dénoncer leurs parents ou leur exciseuse au vu de l’impact qu’une condamnation ou expulsion peut avoir sur la cellule familiale)
- l’absence de signalement de la part des professionnels (dû notamment à un manque de sensibilisation, de preuves et à un malaise concernant ces sujets sensibles).
Notons qu’une reconstruction du clitoris peut être remboursée par l’Inami. Deux centres en Belgique permettent ce type d’opération. Ils se trouvent à l’hôpital Saint-Pierre à Bruxelles et à l’hôpital universitaire de Gand.
Et vous, que pensez-vous du combat mené contre l’excision en Belgique ? Faudrait-il aller plus loin?
SOURCES
Avalos de Viron Samantha et Grinberg Maia, « Le principe de l’unité de la famille mis à mal par la nouvelle politique du CGRA », ADDE, n°155, juillet 2019.
Dieleman Myriam, « Protéger et réprimer : l’excision en Belgique. Genèse et enjeux des dispositions relatives aux mutilations génitales féminines », Migrations Société, 2013/2 (N° 146), p. 57.
Lemercier Elise, « Heurs et malheurs de la lutte contre une pratique sexiste racisée
Regards de médiatrices interculturelles ”africaines” mobilisées contre l’excision», Nouvelles pratiques sociales, 23 mars 2015.
Excsision parlons-en, « Les chiffres de l’excision – Belgique ».
Gams, « Avez-vous vu notre clitoris géant? », 9 février 2022
POUR ALLER PLUS LOIN
Association GAMS
Lecture : Waris Dirie – Fleur du désert
par sandrakabandana | Mar 31, 2024 | Appropriation, Articles, Débat
L’appropriation culturelle
Vous avez sûrement entendu le terme “appropriation culturelle”, notion au cœur des débats depuis plusieurs années. Il s’agit cependant d’un concept encore incompris et, pour cette raison, débattu. Nous vous proposons dans ce post de vous présenter l’appropriation culturelle sous un angle théorique et pratique.
Dans cet article, nous abordons également la place des personnes métisses, qui, à cheval entre deux cultures, peuvent se voir faussement accuser de faire de l’appropriation culturelle.
1.Qu’est-ce que l’appropriation culturelle ?
Née en 1990, la notion d’appropriation culturelle couvre un éventail de situations dans lesquelles le patrimoine culturel d’une communauté est détourné et utilisé au profit d’une autre communauté [1]. Pour reprendre les mots du sociologue Eric Fassin, l’appropriation est en définitive « lorsque l’emprunt entre les cultures s’inscrit dans un contexte de domination” [2]. L’appropriation trouve en effet son origine dans la colonisation, ce qui explique qu’on la surnomme parfois “colonialisme culturel” [2]*. L’exploitation des territoires étrangers par les sociétés impérialistes a été marquée par le pillage et le trafic des pratiques traditionnelles et objets produits par la société locale. Le rapport de force a permis aux sociétés dominantes d’utiliser à leur profit des éléments découlant de la culture du groupe social assujetti, vidant ces éléments de toute la valeur qui leur avait été accordée[1].
N.B. : Bien que la colonisation soit une histoire du passé, le colonialisme, quant à lui, est toujours présent au XXIe siècle. Peter Ekeh nous fait part d’une distinction explicite entre la colonisation, qui est une période, et le colonialisme qui, lui, est un processus, un mouvement social total dont la perpétuation s’explique par la persistance des formations sociales issues de la colonisation [3].
Il est primordial que nous soulignions la distinction entre l’appropriation culturelle, l’acculturation et l’enculturation. La première décrit une usurpation préjudiciable, alors que les deux autres notions couvrent des phénomènes d’adaptation et d’échange culturel.
L’acculturation, apparue en 1880, désigne l’interpénétration des civilisations. Il s’agit d’un processus par lequel plusieurs cultures sont confrontées l’une à l’autre et interagissent entre elles [4]. Dans les premières études du terme, l’acculturation était analysée sous un angle raciste et dominant. Les auteurs de doctrine se servaient de ce concept pour justifier les bienfaits de la colonisation, insistant sur les apports des Occidentaux et l’évolution des groupes colonisés en société “civilisée” grâce à leur contribution [5]. Toutefois, le concept a finalement évolué pour désigner les situations dans lesquelles deux cultures entrent en contact. Si ce contact s’inscrit dans le temps, les cultures s’influencent et se diversifient.
L’enculturation est le phénomène de transmission de la culture. Un individu, dès son plus jeune âge, s’adapte et intègre en lui les idéologies, croyances et traditions mises en place par la société dans laquelle il vit. L’enculturation est l’aboutissement de la transmission des traditions[6]. L’enculturation est intimement liée au concept de socialisation selon lequel “un individu, de par les multiples interactions qui le relient aux autres, apprend progressivement à adopter un comportement conforme aux attentes d’autrui” [7].
2. En quoi est-ce préjudiciable ?
A. La culture vue comme un déguisement
Il est primordial de noter, pour commencer, qu’il n’est pas interdit de se déguiser. Par contre, il faut distinguer l’appréciation culturelle et l’appropriation culturelle. Comme nous l’avons vu, les cultures s’entremêlent et il est dès lors humain de vouloir honorer et célébrer ces diverses cultures et/ou traditions. Cependant, se déguiser en une certaine culture est péjoratif.

BRETON-CHAMPIGNY François, « Costumes offensants : des magains d’Halloween tardent à arriver en 2022 », 27 octobre 2022, https://urbania.ca/article/costumes-offensants-magasins-halloween-2022
Comment savoir si nous nous trouvons face à un déguisement respectueux ? Dans sa brochure, le Conseil scolaire Viamonde (Canada), nous propose des pistes pour trouver une réponse.
- Est-ce que le costume représente une créature mythique, un animal ou un objet, un personnage fictif (film, télévision, bande dessinée) ou imaginaire ?
- Est-ce que le costume représente quelque chose qui n’existe pas, quelque chose créé de toute pièce ? [8]
Dans ce cas, nous ne nous retrouverons jamais dans un cas d’appropriation culturelle, car les dimensions historiques, religieuses, culturelles ne sont pas en cause.
B. La culture vue comme une tendance, un gagne pain
Les grandes marques, telles que Victoria’s secret, sont des exemples-phares de l’utilisation d’autres cultures pour lancer une tendance.
Avec ses mannequins portant des coiffes amérindiennes lors de son défilé en 2012, la marque a manqué de respect à la communauté indienne en détournant l’origine symbolique de cet élément culturel à des fins de ventes [9] .

Getty Images
À côté du monde de la mode, les célébrités participent activement à l’appropriation culturelle, en mettant en avant, par exemple, des coiffures qui viennent d’autres cultures.
L’exemple le plus parlant est l’appropriation de tresses africaines par Kim Kardashian. Elle les a d’ailleurs nommée “Kim K Braids” ou “Bo Derek Braids”, lançant une “nouvelle” tendance et s’auto-proclamant créatrice de cette coupe sans jamais créditer la communauté noire [9].
Encore une fois, ceci est problématique, car, en adoptant ce comportement, Kim Kardashian ignore et minimise la discrimination que subissent les femmes africaines et afro-descendantes. En effet, depuis des siècles maintenant, les femmes noires souffrent de remarques racistes sur leur cheveux jugés “inappropriés”. Ce racisme a impacté leur quotidien, les forçant à cacher leurs cheveux naturels et à adopter des coupes considérées comme “respectables” pour éviter les constantes critiques ou avoir droit à des emplois où elles étaient jugées non professionnelles [9].
Finalement, comme le résume bien Maboula Soumahoro, “ce qui gêne, c’est que des artistes blancs jouissent d’attributs culturels dont ils n’ont pas eu à payer le coût social et historique” [10].
Le même constat est fait pour les objets dits “ethniques“ qui permettent aux marques, en se donnant une image de défenseur des minorités, d’augmenter leurs bénéfices sur le dos de ces dernières [8].
C. Renforcement des stéréotypes
Enfin, l’appropriation culturelle repose généralement sur des stéréotypes extrêmement réducteurs.
En parlant de déguisement “indien”, “africain” ou encore de tenue “chinoise”, nous réduisons des communautés à une seule conception simplifiée, sans prendre en compte leur diversité culturelle.
Ces stéréotypes ont des conséquences sur la vision de ces communautés. En effet, Jessica Dee, ancienne présidente intérimaire de “Kahnawake Youth Forum”, nous précise que “ces stéréotypes sont nuisibles et influencent la façon dont nous sommes traités par la société ou par le gouvernement. Ils voient « les Autochtones » comme un groupe uniforme et mettent en œuvre des politiques universelles” [11].
3. La condition métisse
Le langage commun définit qu’être métis.se, c’est être l’enfant de deux parents nés d’origine ethnique différente [12]. Être métisse, ce n’est pas “paraître “entre-deux”” [14], comme le suggère l’imaginaire commun, c’est être le fruit de deux groupes culturels différents.
Depuis toujours, les humains se mélangent et se… métissent. Cela fait émerger de nombreuses questions sociétales et identitaires. En effet, les groupes et personnes métisses sont rapidement stigmatisés. La société ne sait pas les catégoriser de façon “binaire” (comme à son habitude) et le métissage transgresse les “idées reçues” [15]. D’un point de vue plus psychologique, la personne métisse fait face à une instabilité identitaire et se sent étrangère “ici” et “là-bas” [13]. La personne métisse “porte la trace de la cassure puisqu’elle n’est ni d’un groupe ni de l’autre” [12].
Comment gérer cette interfécondation des cultures ? Il faut savoir que la question du métissage est davantage culturelle que biologique. Lorsque les couples mixtes ont un bébé, les questions d’affiliation culturelle se posent : à quelle culture appartient l’enfant ? Quelle langue adopter ? Quel prénom lui donner ? Etc. À vrai dire, l’enfant arrive, comme le précise Marie Rose Moro, dans un berceau culturel avec une multiplicité de possibles. Malgré cette grande chance [16], les parents et le futur enfant font le choix – de façon consciente ou non – entre plusieurs stratégies identitaires qui vont définir l’identité culturelle du métisse.
La qualité des liens entre les différentes cultures est primordiale pour comprendre la condition métisse. Bien que ces liens puissent amener à des métissages fluides et inventifs, ils sont souvent clivés et douloureux [13]. Il importe, pour tenter de vivre ce métissage le mieux possible, de dépasser la mise sous silence. En effet, la famille, les amis et, de façon plus large, le groupe d’appartenance mettent sous silence une partie de sa propre culture considérée comme honteuse ou illégitime. Résultat : les métisses se trouvent face à un capital biographique à trous. La non-transmission est, selon Pascale Jamoulle, un facteur de déséquilibre pour l’individu [13]. En permettant la transmission des expériences vécues, les trous peuvent être comblés et permettre à la personne métisse de se “narrer” complètement et, par conséquent, de s’émanciper.
Dans le cadre du métissage de cultures en lutte, voire ennemies, la gestion de ces conflits peut sembler compliquée. En effet, les colonisations produisent de nombreux exemples de métissages aux liens complexes. Paradoxalement, ce métissage est pourtant l’indicateur d’une ouverture culturelle vers l’Autre et empêche l’enfermement des cultures sur elles-mêmes [12].
La condition métisse est donc au cœur du débat sur l’appropriation culturelle. Pourtant, n’est-ce pas légitime de posséder des éléments de plusieurs cultures en simultané ? Et considérer le métissage comme une richesse ne permettrait-il pas à nos sociétés de s’ouvrir vers une interculturalité ?
SOURCES :
[1] D. Lefrançois et M.-A. Ethier, “Slâv : une analyse de contenu médiatique centrée sur le concept d’appropriation culturelle”, Revue de recherches en littératie médiatique multimondiale, vol. 9, 2019, p. 1 à 35.
[2] Le Monde, “Eric Fassin: “l’appropriation culturelle, c’est lorsqu’un emprunt entre les cultures s’inscrit dans un contexte de domination”, disponible sur www.lemonde.fr
[3] F. Vergès, “Un féminisme décolonial”, La Fabrique éditions, septembre 2020, p. 27.
[4] R. Bastide, “Acculturation”, Encyclopædia Universalis, disponible sur www.universalis.fr
[5] C. Courbot, “De l’acculturation aux processus d’acculturation, de l’anthropologie à l’histoire”, Hypothèses, 2000/1, n°3, p. 121 à 129.
[6] Cultural Anthropoloy, “Enculturation”, disponible sur www.courses.lumenlearning.com
[7] P. Riutort, “La socialisation. Apprendre à vivre en société”, Premières leçons de sociologie, 2013, p. 63 à 74.
[8] J. Gillet, “Ma culture n’est pas un déguisement. Petit guide pour des costumes respectueux et positifs.”, disponible sur www.femmesprevoyantes.be, publié en 2019.
[9] A. Ouattara “L’appropriation culturelle, une oppression qui ne dit pas son nom…”, disponible sur www.femmes-plurielles.com, publié le 3 septembre 2018.
[10] G. Gendron, “Tous coupables d’appropriation culturelle ?”, disponible sur www.liberation.fr, publié le 22 décembre 2016.
[11] Ababord, “Contrer l’appropriation culturelle”, disponible sur www.ababord.org, ababord revue social et politique , avril / mai 2014, n°54.
[12] J. Audinet, “Paradoxes du métissage culturel”, Africultures, vol. 62, no. 1, 2005, pp. 10-16.
[13] P. Jamoulle, “Par-delà les silences. Non-dits et ruptures dans les parcours d’immigration”, Les 5 à 7, 2017.
[14] J. Ahov, “La spécificité des métis”, disponible sur www.revuelautre.com/, publié en 2007.
[15] M. R. Moro, “Les bébés de couples mixtes, une identité métissée”, disponible sur www.yapaka.be.
par racism-search | Mar 31, 2024 | Articles, Belgique, Débat, Interventions
INTERVENTION AU SEIN D’UNE ASSOCIATION
Intervention concernant le féminisme décolonial
En date du 21 janvier, nous avons été invités à contribuer à une formation organisée par Fem & L.A.W, association de femmes féministes et juristes.
Cette association vise àdévelopper une expertise au carrefour entre le droit et le féminisme en mettant en avant les droits des femmes, l’égalité réelle entre les hommes et les femmes (1).
L’association organise dès lors des formations sur divers aspects juridiques analysés sous le prisme du genre.
Nous avons été invités à présenter, durant 1h, un atelier sur le sujet du féminisme décolonial.
*Nous vous invitons à lire notre article sur ce sujet si vous souhaitez en apprendre davantage
Notre intervenante, Sophie, a mis en place une activité interactive.Elle a d’abord partagé certains concepts et a invité les participantes à exposer leurs propres connaissances sur le sujet, à mobiliser les concepts appris dans l’analyse de certains textes.
La double démarche, théorique et d’illustration des concepts par des exemples concrets a été appréciée par les participantes.
En effet, encore aujourd’hui, certaines situations sont toujours perçues d’un point de vue universel alors que l’aspect décolonial reste important à prendre en considération.
L’analyse de différents textes et situations a permis aux participantes de visualiser l’importance de la prise en compte de l’axe décolonial dans la lutte contre les inégalités de genre.
Sources
- voir leur site internet : https://femandlaw.be/
par racism-search | Mar 31, 2024 | Articles, Belgique, Colonisation, Débat, Racisme
Les zoos humains : la conquête de “l’exotisme”
Les prémices des zoos humains
Bien que les zoos humains soient documentés à partir du 19e siècle, leurs origines remontent bien avant cette période. Elles peuvent être retracées :
→ Dès le 14ème siècle, avec les exhibitions de certaines personnes d’origine extra-européennes devant des publics restreints. Un exemple est l’exhibition d’autochtones Arawaks ramenées des “Amériques” par Christophe Colomb devant la Cour de la Reine Isabelle de Castille [1].
→ Ainsi qu’au 17ème siècle, lors de l’apparition des jardins zoologiques [2]. Ces jardins zoologiques étaient envisagés comme des extensions de musées, ayant pour mission de recenser et cataloguer la diversité du vivant via les voyages des explorateurs [2].
À partir du 19ème siècle, il ne s’agit plus d’exposer uniquement des animaux et une nature dite “exotique” mais aussi des êtres humains. On reconnaît notamment le grand entrepreneur allemand de cirque, Carl Hagenbeck, pour avoir popularisé l’idée de présenter des personnes d’autres cultures dans des zoos afin de les rendre accessibles au grand public comme les animaux [3]. Ces zoos humains se distinguent des exhibitions réalisées jusqu’ici car le but est de mêler la pseudo-science, au spectaculaire pour exposer des personnes décrites comme racialement inférieures [4]*.

A group of Igorot displayed at a human zoo during the St. Louis World’s Fair[1][2]
Les zoos humains: outils de propagande coloniale
A cette époque, en Europe, les grandes puissances renforcent leur plan colonial et l’esclavagisme d’autres peuples en les mettant en avant lors d’événements tels que l’ exposition d’Amsterdam en 1883 ou l’Exposition universelle de Paris en 1878 [5]. La Belgique n’y échappe pas et le roi Léopold II utilise l’Exposition internationale pour sa propagande coloniale et sa recherche d’investisseurs* au Congo. Celle-ci se déroule à Tervuren (Bruxelles) du 10 mai au 8 novembre 1897 [6]. C’est à cette occasion que le roi Léopold II ordonne la construction du « Palais des Colonies » à Tervuren, actuellement connu sous le nom de Palais de l’Afrique, sur le site de l’ancien pavillon du prince d’Orange, qui avait été détruit par un incendie en 1879 [6].

Poster for the colonial section of the 1897 International Exposition
Des villages congolais avaient été reconstruits dans le parc de la Warande à Tervuren dans le but d’attirer les visiteurs. Deux des 269 Congolais·e·x·s prévu·e·x·s pour y vivre ont trouvé la mort pendant le voyage [7]. Sept autres Congolais·e·x·s – Ekia, Gemba, Kitukwa, Mpeia, Zao, Samba et Mibange – n’ont pas survécu et ont été enterré·e·x·s à Tervuren [7]. Après leur décès, il leur est refusé d’être enterré·e·x·s dans le cimetière local. Ce n’est qu’en 1953 que leurs restes sont déplacés dans des sépultures situées dans la cour de l’Église catholique Saint-Jean l’Évangéliste de Tervuren [6]. Chaque année, une journée de commémoration est organisée en leur honneur par des collectifs tels que le collectif Mémoire Coloniale. Notons que ces expositions ne visaient pas exclusivement les personnes africaines mais aussi les autres peuples considérés “de race inférieure”. Par exemple, 14 autochtones d’Araucanie (Chili) sont aussi exposés dans le Parc Léopold à Bruxelles en octobre 1883 [8]. Bien que ces expositions n’obtiennent pas le consentement de toute la population belge, un “village congolais” est également construit pour l’Expo 58 à Bruxelles où des étudiant·e·x·s congolais·e·x·s sont mis·e·x·s en jeu. Alors même que l’indépendance congolaise gronde, cette surface d’exposition réservée au Congo cherche à justifier la présence de la Belgique au Congo [8].
* Nous vous invitons à lire notre article sur la définition du racisme et sur le non existence du racisme anti-blanc pour comprendre le hiérachisation des races.
* Pour rappel, à cette époque les colonies n’appartiennent pas à l’État belge mais au Roi Léopold II.
L’après zoos humains, la continuité de la déshumanisation
Malgré la fermeture des zoos humains dans le cadre des “expositions universelles”, la déshumanisation des personnes racisées continue.. Non sous la forme frontale qu’on a pu voir des années auparavant, mais de manière plus insidieuse.
La tribu des Jarawa – Inde
Dans l’archipel d’Andaman- et-Nicobar en Inde, la tribu isolée des Jarawa sert d’attraction touristique. Les touristes traversent leur terre en se croyant dans un safari. Par ces pratiques et la sédentarisation forcée depuis les années 1990, cette tribu est menacée d’extinction et avec elle, tous leurs savoirs ancestraux.

Le parc “Bamboula” – France
Le parc “Bamboula” était le plus célèbre zoo humain moderne qui fut fermé en 1994 seulement [9]. La marque St Michel qui commercialisait les biscuits “Bamboula” a été le sponsor d’un “parc animalier” près de Nantes qui fut en réalité un zoo humain moderne. Entre girafes et autres lions, il existait un village ivoirien à la demande du directeur, Dany Laurent [9]. Des artisan·e·x·s, danseur·euse·x·s, chanteur·euse·x·s y furent installé·e·x·s dans des conditions inhumaines et dégradantes tout en étant soigné·e·x·s par des vétérinaires [9].

Le village de Kirikou dans le chemin de brousse, Planète Sauvage (Loire-Atlantique, France)
Ces personnes prétendument envoyé·e·x·s par l’Office ivoirien du tourisme pour promouvoir la culture ivoirienne se sont retrouvé·e·x·s enfermé·e·x·s comme des animaux, Leurs passeports ont été confisqués, et la protection des travailleur·euse·x·s prévue par le droit français n’était pas en application. Les enfants présents étaient scolarisé·e·x·s seulement quelques heures. Les danseuses ont quant à elles subi des agressions sexuelles de la part de membres de l’organisation [9] . Sans oublier qu’elles étaient toutes mineures, entre 13 et 15 ans, et devaient danser de 12h30 à 18h30; ;le tout seins nus en extérieur, seulement vêtu d’un pagne et d’un bambou sans chaussures [9]. La section nantaise du Syndicat national des artistes musiciens (SNAM), auprès d’autres organisations, a elle aussi dénoncé les conditions de travail de ces artistes. La SNAM a comparé ce village à une nouvelle exposition coloniale, mêlant humains et animaux.
Suite à la mobilisation de plusieurs associations, le collectif « Non à la réserve humaine » a vu le jour et a saisi l’affaire devant la justice. Le 1er juillet 1997, le tribunal de Nantes a condamné le parc pour violation du droit du travail et droits fondamentaux [9]. Le village ivoirien disparaît en septembre 1994, le parc est renommé « Planète Sauvage ». En 2013, l’ancienne zone du village devient un espace animalier pour Madagascar et les lémuriens. En 2014, le village Kirikou est créé en collaboration avec Michel Ocelot [9].
Les pygmées camerounais – Belgique

Nature preserve owner Louis Raets shows off one of his displays as part of a Pygmy village exhibition at the Oasis Nature Park in Yvoir, Belgium. Although the show has led to protests, Raets insists the showcase is to inform people of the Pygmy way of life and in no way attempts to shame anybody.
En 2002, à Yvoir, l’ASBL “Oasis Nature” est à l’origine d’une exposition sur la vie des Pygmée·x·s camerounais [11]. Durant cette exposition, des Pygmées sont venu·e·x·s du Cameroun pour reconstituer un village Bakas et se mettre en scène en chantant et dansant. Cette exposition a soulevé de nombreuses questions et réactions, notamment du Mouvement des Nouveaux Migrants (MNM) qui souligne la déshumanisation de ce type d’événement. Cependant, l’ASBL s’est toujours défendu de réaliser ce projet dans le but de sensibiliser les Belges aux problématiques que rencontre ce peuple. Ces pratiques coloniales contemporaines ont évidemment eu des conséquences sur la perception qu’ont les personnes blanches des personnes racisées
Conclusion : Des zoos humains aujourd’hui ? Leurs formes et ses conséquences
La télévision a elle aussi participé à la création de zoos humains modernes. Les émissions de télé “découverte” telles que “Predators, Tribes, and me” (BBC Earth), continuent d’imposer une distinction entre l’Occident et le reste du monde comme étant “moins évolué”, ou “bizarre”. Pour les chercheurs Nicolas Bancel et Olivier Razac, puisque les téléréalités mettent en avant des groupes de personnes issues de milieux ou de régions “stigmatisés” en jouant sur ces stéréotype; elles en font des “acteur·ice·x·s” de divertissement, rejoue le schéma du zoo humain [12].
Le voyage peut lui aussi participer à une modernisation du zoo humain [13], lorsqu’on souhaite s’immerger dans une culture et découvrir un pays. Si l’on prend le concept des Clubs Med par exemple, ils ont pendant longtemps invisibilisé les travailleur·euse·x·s locales ou réalisé des mises en scène de leur culture de manière très stéréotypée. La découverte d’une autre culture n’est présente que pour divertir les touristes et participe rarement à l’économie locale.
Que ce soit les zoos humains de l’époque ou les zoos humains d’aujourd’hui, le constat reste le même : ces outils participent à l’exotisation et l’infériorisation de l’Autre qui est généralement une personne racisée. Cela participe grandement à maintenir des stéréotypes qui ont vu le jour durant l’époque “des explorations” et avec la propagande coloniale jusqu’à aujourd’hui. Par ces stéréotypes* et selon son origine ethinique, l’Autre est vu comme sauvage, bête, voleur·euse, sale, coincé·e, rigide etc… mais on l’applaudit pour ses danses et ses plats exotiques. Il est donc nécessaire de faire un travail de déconstruction de nos représentations pour replacer les personnes blanches et personnes racisées sur le même pied d’égalité.
*Voir nos deux articles sur les stéréotypes pour avoir des exemples et comprendre le poids de ces stéréotypes
Sources
[1] P. Blanchard, “ De la a Vénus hottentote aux formes abouties de l’exhibition ethnographique et coloniale Les étapes d’un long processus (1810-1940)”, in La venus Hottentote , 2013, p. 38.
[2] N. Bancel, « Introduction : Zoos humains : entre mythe et réalité », Nicolas Bancel éd., Zoos humains. Au temps des exhibitions humaines, 2004, La Découverte, p.7.
[3] P. Blanchard, N.Bancel et al, “ Zoo humains et exhibitions coloniales : 150 ans d’inventions de lAutre, 2011, La découverte, p.16.
[4] N. Bancel, « Introduction : Zoos humains : entre mythe et réalité », Nicolas Bancel éd., Zoos humains. Au temps des exhibitions humaines, 2004, La Découverte, p.8.
[5] P. Blanchard, “ De la a Vénus hottentote aux formes abouties de l’exhibition ethnographique et coloniale Les étapes d’un long processus (1810-1940)”, in La venus Hottentote , 2013, p. 52.
[6] AfricanMuseum, “ Le zoo humain de Tervuren (1897)”, disponible sur www.africanmuseum.be, consulté le 10 mars 2024.
[7] Presses Nord-Sud, “ Africa Tervuren et les zoos humains: une expo”, disponible sur ww.arpns.be, publié le 29 septembre 2021.
[8] Culturemedia, “ «Zoo humain au temps des exhibitions coloniales à l’Africa Museum”, disponible sur www.culturemedia.be, publié le 16 février 2022.
[9] Julien Coquelle-Roëhm et Nina Soyez “ Retour au «village de Bamboula»: en 1994, un «zoo humain» à prétention touristique”, Médiapart, publié le 9/05/2021,
[10] France Inter, “Le village Bamboula” dernier zoo humain en France, émission radio publié le 18/01/2022
[11] La Libre, “Des pygmés exposés aux regards”, disponible sur www.lalibre.be, Publié le 25-07-2002
[12] Les Zoos humains aujourd’hui, Pascal Blanchard, disponible www.cairn.info, Publié le 01/04/2010
[13] Compte instagram @decolonial.voyage, consulté le 11 mars 2023
par racism-search | Jan 3, 2024 | Articles, Débat, Droits, Général, Legal Text For All
par racism-search | Jan 3, 2024 | Articles, Débat, Général, Sous représentation
Le milieu de l’art visuel est-il toujours raciste?
Au début du mois, le département content s’est rendu au Musée de l’Afrique Centrale de Tervuren. De cette visite sont nés plusieurs questionnements sur l’art de manière générale: le milieu de l’art visuel est-il toujours raciste ? Et, sur quel maillon de la chaîne, se trouve la discrimination ?
Dans cet article, une attention particulière sera accordée au milieu de l’art visuel. Pour ce faire, définissons d’abord ce que sont les “arts visuels” : il s’agit traditionnellement de la peinture, de la sculpture, du dessin, la photographie mais également le montage vidéo, etc. (1) L’usage du terme “arts plastiques” a été délaissé car il restreint le champ de l’article aux “beaux-arts” et évince dès lors de nouvelles formes d’expressions modernes et contemporaines émergentes.
Bien souvent considérés comme impartiaux, les musées, les galeries ou de tout autre lieu d’exposition rassemblent dans leurs institutions des expressions artistiques. L’ICOM, le Conseil International des Musées créé en 1946 et qui rassemble pas moins d’une centaine de pays, a affirmé en juin 2020 que le musée n’était pas neutre (2). Il s’agit d’une avancée majeure puisque cette même instance a émis une définition du musée reprise par les professionnel·le·s du milieu et a affirmé le rôle de l’institution muséale au sein de la société. Le choix des œuvres, les artistes présentés, les médiateur·ice·s culturels employé·e·s, les membres du personnel… présentent – par leur existence – nécessairement un biais, puisque tout choix amène la renonciation à un autre. L’art au sein des musées, ayant longtemps été vecteur d’une pensée élitiste, a souvent exclu les “subjectivités et les corps non blancs” (3). L’ICOM affirme d’ailleurs que les musées « ont la responsabilité et le devoir de lutter contre l’injustice raciale (…), depuis les histoires qu’ils racontent jusqu’à la diversité de leur personnel » (2).
* Il ne s’agit pas ici de définir ou de limiter à une définition unique ce qu’est une œuvre d’art.
Néanmoins, la réelle déconstruction des personnes chargées de mener à bien la tâche de “décoloniser les arts”** pose question lorsque l’on sait que l’histoire de l’art – toujours étudiée- est plus une « cartographie temporelle périodisée des artistes et des œuvres en Europe de l’Ouest » (3).
« Qu’est-ce qu’un musée décolonial ? Sachant que l’idée même du musée est occidentale. Quelles collections, quels objets, quel mode d’exposition ? La tâche est immense, mais féconde » (4).
Cet article tentera de comprendre les différents rouages sur lesquels travailler la décolonisation de l’art pourrait être intéressant : l’artiste, l’œuvre, les employés du musée. Pour finir, la restitution des œuvres coloniales semble constituer une question inévitable et nécessaire.
- La Sous-représentation des artistes racisés
Comme évoqué dans l’introduction le monde de l’art visible, comme le monde du cinéma ou de la télévision**, est dominé par les personnes blanches. Cette majorité blanche entraîne une vision du monde selon le prisme d’un groupe ethnique privilégié et catégorise les autres types d’art comme “ autres” voire “exotiques” (5). Cela accentue donc le sentiment d’exclusion et d’invisibilité que ressentent les artistes racisés.
Les musées qui ont comme but principal de raconter une histoire, de véhiculer un certain message, doivent émettre des choix précis. Cette sous-représentation d’artistes racisé·e·s insinue une certaine manière de pensée et attire donc un certain type de public, en en excluant un autre (6). Le Conseil des arts du Canada affirmait d’ailleurs déjà en 2015 que la répartition inégale qu’il existe dans le milieu de l’art est « souvent le résultat de réalités historiques rattachées à la conquête, à la colonisation, à la domination culturelle et à l’exclusion systémique » (5).
Le même constat est à faire en Europe, on remarque d’ailleurs qu’il y a très peu de personnes racisées dans les écoles d’art (4). Pourquoi ? S’agit -il d’un désintérêt de ces communautés ? Les filières d’histoire de l’art, sont surreprésentés et enseignées majoritairement par des personnes blanches, masculines et bourgeoises qui adoptent une vision blanche et hétérocentrée de notre société (6). Pour ces raisons, peu de personnes racisées choisissent d’entreprendre ces études, ou si elles le font, plusieurs arrêtent durant leur parcours scolaire.
** Voir notre article “ La sous représentation – manque de diversité “ du 13 décembre 2020.
S’ajoute à cela l’accès au marché de l’art et la visibilité accordée aux personnes racisées. Nous le savons, notre société fonctionne sur un système financier et capitaliste. Dès lors, la question de l’argent est déterminante tant pour les musées que pour les artistes. Or, le budget donné aux artistes racisées et les moyens mis à leur disposition pour visibiliser leur art sont minimes comparés à ceux accordés aux artistes blancs (6).
Comme le relève Toma Muteba Luntumbue, artiste plasticien, commissaire d’exposition indépendant et professeur d’histoire de l’art : avoir une place dans un musée ne suffit pas. Ayant collaboré avec le AfricaMuseum ou le Musée Royal des Beaux-Arts, Monsieur Muteba Luntumbue conclut que ces collaborations finissent toujours ”à votre subalternalisation, sur le plan intellectuel comme sur le plan matériel. Soit parce qu’une catégorie est créée spécialement pour vous y accueillir, soit pour vous marginaliser, on vous rétribue mal ou on ne vous rétribue pas du tout.” (7) Ce n’est finalement qu’en lançant leur propre exposition que les personnes racisées peuvent s’assurer d’être réellement rétribuées et de sortir du rapport colonial qui existe avec les institutions muséales occidentales (7).
Depuis plusieurs années maintenant, des artistes, tel que Jean-François Boclé (d’origine martiniquaise), utilisent leur art pour faire passer des messages politiques et dénoncer le racisme systémique que subissent les personnes racisées dans les anciens pays colonisateurs (4). En faisant part de leur réalité, ils permettent au public d’ouvrir les yeux sur des choses qui, de prime abord, ne les auraient pas marqué. Une véritable diversité des artistes est donc nécessaire pour une représentation réelle de la société moderne.
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La représentation des personnes racisées dans l’art visuel blanc européen:
Si donc l’histoire de l’art se concentre et valorise les œuvres produites par des blancs, pour des blancs dans un contexte européen, qu’en est-il cependant de la représentation des personnes racisées dans ce type d’art?
C’est en tout cas cette question de départ, qui a fait entreprendre à Naïl Ver-Ndoye et Grégoire Fauconnier leur étude, Noir : entre peinture et histoire (8), où ils étudient plus de 350 oeuvres qui représentent des personnes noires, mais il en existe des milliers rien que dans les collections françaises. Ces oeuvres traversent d’ailleurs toutes les époques puisque l’on retrouve des oeuvres représentant des personnes noires de l’Antiquité à nos jours (9), et des personnes noires de toutes classes sociales (Chevalier Saint-Maurice, Jean-Baptiste Belley…) même si la majorité reste des personnes de classe socio-économique plutôt pauvre (9).
Sans pouvoir revenir sur toutes les analyses qu’ils font dans leur livre, ni de celles formulées dans l’épisode “Représenter les noir.es : le regard blanc” du podcast Vénus s’épilait-elle la chatte (10), plusieurs points d’attention peuvent être soulevés. ![]()
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- La majorité des personnes représentées sur les tableaux sont anonymes. C’est-à-dire qu’on ne sait pas qui elles sont, et que le travail fourni pour trouver ces informations a été insuffisant, voire inexistant. C’est particulièrement marquant lorsque l’on sait que l’identité de la majorité des personnages blancs, même secondaires, est connue. Un exemple frappant, est celui de l’oeuvre Olympia de Manet, peinte en 1863, où figurent une femme blanche et une femme noire l’une à côté de l’autre et seule la femme blanche a fait l’objet d’analyses, de commentaires et de recherches. Ce n’est que très récemment que l’on a pu identifier Laure, la servante noire représentée sur le tableau et en savoir plus sur sa vie (11) .
- Les personnes noires sont rarement le sujet du tableau et occupent généralement le second plan (10). Plus encore, ces personnes ne sont pas toujours représentées pour elles-même mais parfois comme allégories ou symboles.
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Il faut souligner le travail récent de certains musées, chercheurs et chercheuses qui ont voulu mettre en lumière les personnes noires représentées dans la peinture (12;13), sans que ce travail ne soit pour autant suffisant que pour parvenir à une véritable décolonisation de nos expositions, institutions muséales et vision de l’art dans son ensemble.
- L’absence de travailleurs racisés au sein des institutions culturelles
Si l’on sait que le milieu de l’art est majoritairement blanc, il faut se questionner sur les personnes qui mettent sur le devant de la scène publique les oeuvres d’art. Peu de personnes racisées et/ou étrangères occupent des postes à responsabilité au sein des musées (4).
Le Musée canadien pour les droits de la personne (MCDP), établi à Winnipeg, a d’ailleurs été dénoncé pour racisme en 2020. En effet, que ce soit en interne – lors du recrutement – ou avec les visiteur·euse·s, les membres du personnel du musée ont souvent eu une attitude discriminatoire envers les personnes noires, autochtones. Celle-ci avait “pourtant” l’objectif de sensibiliser sur les effets de la colonisation (14). Le Musée d’histoire naturelle et des civilisations en Colombie-Britannique a, lui aussi, été accablé par les mêmes faits: discrimination envers les employés autochtones (15). Dès 2021, le directeur général démissionne. Situations encore plus ironiques lorsque l’on parle des musées ethnographiques, ces exemples prouvent un mouvement qui ébranle un système raciste … auquel les musées ne dérogent pas. (15).
Pour rappel: 39 % des dossiers liés à l’emploi ouverts par UNIA concernent des discriminations sur base de critères raciaux, philosophiques ou religieux. (chiffres de 2020).
- Conclusion
Tout cela nous amène à penser et repenser la place de l’art dans nos sociétés, à ne plus la percevoir comme neutre, à lutter pour une meilleure représentation des personnes racisées tant parmi les figures représentées, les artistes, les employés que les directions des institutions muséales… Une étape qui pourrait elle aussi contribuer à la « décolonisation » de nos musées serait la restitution des œuvres. En effet, des musées comme le musée de Tervuren en Belgique ont en leur sein des pièces d’art en partie volées ou rachetées il y a plusieurs années de cela maintenant. Que ce soit pour ce musée, ou d’autres musées occidentaux, les personnes racisées des pays volées réclament la restitution de leurs œuvres (16).
En Europe en particulier, les Africain·e·s se sentent “dépouillés” par les missionnaires et anciens militaires colonisateurs qui ont récoltés tous ces objets et œuvres d’art dans des situations douteuses voire sanglantes (16). Les personnes racisées se sentent donc privées d’une partie de leur histoire, et certain·e·s ont d’ailleurs tenté de reprendre les biens de leurs ancêtres directement dans les musées comme cela a été le cas en France au Musée du Quai Branly (17) .
Sources :
- R. Lachapelle (1981). Mais qu’est-ce donc que les arts visuels? Liaison, (17), 14–16. https://www.erudit.org/fr/revues/liaison/1981-n17-liaison1165787/43952ac.pdf
- S. Ouanes “Cinq mois après Black Lives Matter, les musées sortent timidement du silence”. Disponible sur https://www.francesoir.fr/, publié le 18 octobre 2020.
- Marie-Laure Allain Bonilla, “ Processus décoloniaux dans l’art : institutions et savoirs “, Critique d’art [En ligne], 52 | Printemps/été, mis en ligne le 27 mai 2020, disponible sur http://journals.openedition.org/critiquedart/46179, consulté le 24 novembre 2021.
- M. Celeux-Lanval “ #BlackLivesMatter : Le monde de l’art à l’épreuve du racisme”. Disponible sur www.beauxarts.com, publié le 18 juin 2020
- DAM, “Pour un processus d’équité culturelle- Rapport de la consultation sur le racisme systémique dans le milieu des arts, de la culture et des médias à Montréal”, disponible sur /www.diversiteartistique.org/, publié en 2018.
- K. Mesbah, “ Secteur culture et artistique belge : quelle place pour les personnes racisées? ” disponible sur www.bepax.or, publié en octobre 2021.
- T. Muteba Luntumbue, “ Secteur culture et artistique belge : quelle place pour les personnes racisées?”,disponible sur www.bepax.or, publié en octobre 2021.
- N. Ver-Ndoye et G. Fauconnier, “Noir entre peinture et histoire”, Ed. Omniscience, 2018.
- Bibliothèque nationale de France, “La figure du Noir dans l’art occidental: représentation, imaginaire et réappropriation”, disponible sur www.bnf.fr, publié en 2019.
- J. Beauzac, “ “Représenter les noir.es : le regard blanc”, disponible sur www.venuslepodcast.com, publié en juin 2020.
- D. Murell, “Seeing Laure: Race and Modernity from Manet’s Olympia to Matisse, Bearden and Beyond”; disponible sur https://academiccommons.columbia.edu/doi/10.7916/D8MK69VP, publié en 2014.
- D. E. Pullins, “Review of “Posing Modernity : the black model from Manet and Matisse to today” Wallach Art Gallery, New York and…”, publié en 2018
- Exposition du Musée d’Orsay Paris, “Le modèle noir”, 2019, voir: https://www.offi.fr/expositions-musees/musee-dorsay-2897/le-modele-noir-72857.html
- T. Jourdan, ” Racisme interne au Musée canadien pour les droits de la personne?” Disponible sur https://ici.radio-canada.ca/nouvelle, publié le 10 juin 2020.
- M. Trochu,”Racisme et culture toxique au musée royal de colombie britannique “, Disponible sur https://canada-info.ca/, publié le 24 février 2021.
- H. Bellet “ Restituer ? L’Afrique en quête de ses chefs-d’œuvre ”, sur Arte.tv : des musées européens peuplés d’œuvres volées”, disponible sur www.lemonde.fr, publié le 28 octobre 2021.
- C. Hertzog “ Tentative de vol au Musée du quai Branly : « Ce que je vous dis vient du peuple africain ”, disponible sur www.lemonde.fr, publié le 30 septembre 2020.