par racism-search | Août 4, 2025 | Discrimination, Général, Intersectionalité, Racisme
L’homonationalisme : Quand les droits LGBTQIA+ participent à l’agenda nationaliste
L’homonationalisme est une notion qui a été formulée pour la première fois par la chercheuse Jasbir Puar dans son ouvrage “Terrorist Assemblages: Homonationalism in Queer Times”. Par ce terme, l’autrice dénonce
“l’utilisation de l’“acceptation” et de la “tolérance” à l’égard des gays et des lesbiennes comme baromètre permettant d’évaluer la légitimité et la capacité de la souveraineté nationale.” [1]
En l’essence, le terme homonationalisme fait référence à l’inlcusion des droits LGBTQIA+ dans le discours nationaliste en excluant celleux percu·e·s comme “étranger·ère·x·s” [2]. Rédigé en 2007, ce texte se situe dans le contexte post-11 septembre 2001 et de la « guerre contre le terrorisme » proclamée par l’administration Bush, contribuant ainsi à cristalliser le discours du « NOUS » contre les « EUX » [3].
En effet, après les tragiques évènements du 11 septembre, nous avons pu voir prolifiérer une haine contre l’islam et les personnes mulsumanes ainsi qu’une intensification de l’instrumentalisation des corps queer pour renforcer des discours racistes [4]. L’homonationalisme critique précisément les discours libéraux qui présentent les droits LGBT comme un signe de progrès, tout en continuant à accorder ces droits à certains groupes seulement, et en en excluant d’autres [4].
Un concept états-uniens qui dépasse les frontières
Ce constat dépasse les Etats-Unis puisqu’en Europe et plus précisément en Belgique, nous observons également comment les droits des personnes LGBTQIA+* sont parfois instrumentalisés pour servir des discours islamophobes ou racistes. Sous couvert de défendre l’égalité, certaines politiques et prises de position excluent, stigmatisent ou visent directement les personnes racisées, notamment les personnes musulmanes.
source : Article le Soir publiée le 17/10/2014 https://www.lesoir.be/art/683200/article/actualite/belgique/elections-2014/2014-10-17/petits-cons-marocains-nouvel-e-mail-douteux-pour-theo-francken
Dans un échange douteux datant du 2 mai 2007, Theo Francken analyse pourquoi les homosexuels sont traités de manière plus agressive à Bruxelles. « Cela n’a rien à voir avec nous mais avec le nombre élevé d’islamistes et de petits cons marocains. » Et de terminer en ironisant: « Tous les musulmans en dehors de Bruxelles? Ce serait amusant 😉« .

Ces critiques avaient déjà émergé lors de l’adoption du Plan interfédéral contre les discriminations et les violences à l’égard des personnes LGBTI 2018-2019. Plusieurs acteurs et actrices du monde associatif et académique avaient alors dénoncé une focalisation disproportionnée sur les communautés musulmanes, présentées comme principales responsables de l’homophobie [5]. Iels dénoncent le caractère réducteur de cette approche, qui invisibilise des réalités bien plus complexes. Par exemple, la première personne reconnue par la justice belge comme victime d’un crime homophobe, Ihsane Jarfi, était à la fois racisé et musulman [5]. À l’inverse, trois des quatre auteurs de son meurtre étaient blancs et non-musulmans [5]. Ce cas rappelle que l’homophobie n’est pas propre à une seule communauté, contrairement à certains discours qui cherchent à l’ethniciser ou à la « culturaliser ». D’autant plus que le père d’Ihsane, professeur de religion islamique, a ensuite fondé une organisation engagée activement contre l’homophobie [6].

La N-VA a notamment été critiquée par Alexander Dhoest pour son instrumentalisation de la défense des droits LGBTQIA+, mobilisée principalement comme levier politique contre l’Islam et les personnes d’origine étrangère [3]. Ils reprennent ainsi les logiques de l’homonationalisme, en construisant un « nous » LGBT-friendly, perçu comme appartenant au groupe national légitime, en opposition à un « eux » musulman et supposément homophobe [3].
Enfin,lors de la dernière campagne électorale, certains partis ont opposé leur soutien au peuple palestinien à la défense des droits LGBTQIA+, en arguant que ces droits ne seraient pas respectés en Palestine, contrairement à Israël.
Cette rhétorique s’inscrit dans une logique plus large de Pinkwashing**, notamment observée dans la politique israélienne, qui met en avant son prétendu respect des droits LGBTQIA+ comme outil de légitimation de son occupation des territoires palestiniens[7]. Comme le souligne plusieurs travaux critiques, cette stratégie permet à Israël de se présenter comme la seule démocratie « progressiste » du Moyen-Orient, face à des populations palestiniennes décrites comme rétrogrades ou barbares, renforçant ainsi un discours colonial et islamophobe, et invisibilisant les militant·es queer*** palestinien·nes [7]
* Cet acronyme désigné les personnes Lesbiennes, Gay, Bi, Transgenres, Queer (désigne également parfois les personnes en Questionnement), Intersexes, Asexuelles/Aromantiques.
*Le pinkwashing désigne le fait pour un gouvernement, une entreprise ou une organisation de mettre en avant un soutien apparent aux droits LGBTQ+ pour améliorer son image ou détourner l’attention d’autres actions controversées.
**Le mot « queer » veut dire “bizarre”. Originairement une insulte, le terme a été réapproprié et désigne aujourd’hui une identité ou une façon de se situer en dehors des normes traditionnelles liées au genre et à la sexualité.
Le fémonationalisme : La manipulation des droits des femmes
Le terme fémonationalisme, forgé par Sara Farris, s’inspire en partie de la notion d’homonationalisme. Il désigne :
« la mobilisation contemporaine des idées féministes par les partis nationalistes et les gouvernements néolibéraux sous la bannière de la guerre contre le patriarcat supposé de l’Islam en particulier, et des migrants du Tiers monde en général. » [8].
Cette logique n’est pas nouvelle : dans les années 1970 déjà, il ne s’agissait pas de « sauver » les femmes musulmanes, mais les femmes de l’Est, perçues comme opprimées par des hommes violents et barbares [8].Dans cette perspective, la femme blanche occidentale reste la norme émancipée, tandis que la femme racisée, perçue comme extérieure à cette norme, est réduite au rôle de victime passive de son patriarcat [9].
Comme le résume si bien Gayatri Spivak :
“white men saving brown women from brown men.”
(Can the Subaltern Speak?)
Cette rhétorique s’inscrit dans une longue histoire de discours colonialistes et impérialistes, qui s’appuyait déjà sur des arguments similaires et qui est parfois portée par des migrant·es elleux-même, renforçant l’image du “Bon migrant” contraire au “ mauvais migrant” [9].
Termes différents mais même schéma et objectif
Que l’on parle d’homonationalisme ou de fémonationalisme, on assiste à une récupération et une instrumentalisation de luttes légitimes (contre le sexisme ou pour les droits LGBTQIA+) au service d’agendas souvent islamophobes. Ces dynamiques ont des conséquences concrètes. En valorisant une queerness exclusivement blanche, laïque et non-musulmane, ces discours invisibilisent les identités à l’intersection – celles qui ne rentrent pas dans ce cadre normatif, et qui subissent ainsi une double marginalisation.
Enfin,ce type de discours, souvent mobilisé pour « sauver » les personnes perçues comme arabes et queer, s’inscrit dans une logique orientalisante (au sens d’Edward Said) qui impose une vision occidentale normative des droits LGBTQIA+ et promeut un discours qui prétend défendre les personnes queer arabes de leurs pays traditionalistes [10].
Conséquences concrètes sur les personnes concernées
Les discours homonationalistes et fémonationalistes ne sont pas de simples effets de langage : ils produisent, maintiennent et justifient des rapports de pouvoir qui affectent très concrètement la vie des personnes queer racisées.
Ces logiques articulent le racisme, la queerphobie, l’islamophobie, le classisme, et parfois même la misogynie, dans un enchevêtrement de violences structurelles, souvent déguisées en “protection”. Loin de garantir sécurité ou inclusion, elles placent les personnes concernées dans une double impasse : ni pleinement reconnues dans les espaces queers majoritaires, ni protégées dans les institutions dominantes, elles deviennent à la fois survisibles et exclues, assignées et effacées.
- Surveillance accrue, fausse promesse de protection
Quand des partis d’extrême droite prétendent défendre les “droits des femmes” ou des “personnes LGBTQIA+” pour justifier des politiques racistes ou islamophobes, iels ne protègent pas les personnes queer racisées : iels les utilisent comme prétexte à la répression d’autres groupes ciblés. Cela installe un climat dans lequel la personne queer racisée est l’objet d’un soupçon permanent : soupçonnée d’être “traîtresse” si elle refuse de se faire l’alliée du nationalisme queer-blanc, et soupçonnée d’être “problématique” dans les milieux militants si elle exprime des critiques sur le racisme interne. Cette position instable produit une fatigue politique constante, une hypervigilance émotionnelle et une impossibilité à se situer en sécurité dans les espaces.
Comme le dit M. (extrait du mémoire de S. Sarac) : « Mon identité n’est pas plus protégée demain quand on aura quelqu’un de gay à la tête du Vlaams Belang. »
Autrement dit, la récupération d’une identité ne crée aucun filet de sécurité, tant que les structures de pouvoir restent inchangées. Elle ne fait que valider un récit où certaines formes d’identité queer (blanche, “out”, assimilable, apolitique) sont valorisées, et d’autres invisibilisées, voire criminalisées. [11].
- Espaces LGBTQIA+ majoritaires : entre exclusion feutrée, instrumentalisation politique et insécurité pour les personnes queer racisées
Les personnes queer racisées se heurtent à des espaces LGBTQIA+ où l’inclusion est souvent conditionnelle, superficielle ou performative. Ces milieux, qu’ils soient institutionnels, militants ou festifs, restent largement façonnés par des normes blanches, bourgeoises, laïques, cisnormatives et occidentales. Cela produit une violence insidieuse : celle de devoir sans cesse négocier sa place, de jouer un rôle, ou de disparaître pour ne pas déranger.
Comme le dit Farzana :
“C’est un cercle très blanc. […] En fait les, les la manière de penser l’identité LGBT mainstream est très fort sur le coming out, le fait de couper ta famille. […] En mode « si tu prends tous ces step là bah tu seras comme nous », on sera jamais comme eux..”.”
Dans ces espaces, l’exclusion prend des formes feutrées mais constantes : blagues racistes ou orientalistes, méconnaissance des codes culturels non-blancs, méfiance envers les vécus religieux, silenciation des formes d’expression politiques non calibrées. Cette violence symbolique s’ajoute à des conditions d’accès concrètement inégalitaires : lieux géographiquement ou économiquement inaccessibles, événements sans traduction ni médiation culturelle, absence de représentation réelle dans les décisions.
Mais ce rejet ne s’accompagne pas d’indifférence : au contraire, les personnes queer racisées sont souvent hypervisibilisées de manière utilitaire. Leur présence est attendue pour “diversifier” une affiche, “donner un témoignage fort”, “apporter un regard intersectionnel”. Cette tokenisation produit une inclusion sous contrôle : elles sont conviées, mais rarement écoutées ; valorisées, mais pas protégées ; montrées, mais peu considérées comme actrices politiques.
On attend d’elles qu’elles incarnent la “diversité inclusive”, mais pas qu’elles déstabilisent la structure.
Dans ces conditions, les espaces censés être refuges peuvent devenir des lieux de danger symbolique et politique. La promesse d’un “safe space” se retourne contre les plus marginalisé·es, qui y vivent de l’épuisement, du gaslighting militant, ou un isolement profond. Beaucoup choisissent alors de se replier, ou de construire leurs propres espaces, souvent précaires, invisibilisés, ou privés de ressources. [12]
3. Colonisation des espaces queers par l’extrême droite
Depuis les années 2000, on observe une dynamique où des institutions étatiques ou des acteurs nationalistes s’approprient les luttes LGBTQIA+ pour en faire un outil de domination. Il ne s’agit plus simplement de récupérer des symboles queer : ces discours sont détournés pour renforcer des frontières raciales, migratoires et culturelles, excluant les personnes queer racisées tout en renforçant l’autorité des États ou des partis réactionnaires. C’est ce que l’on peut nommer une colonisation idéologique des espaces queers, un processus où les luttes LGBTQIA+ sont vidées de leur substance politique pour être instrumentalisées au service d’un projet autoritaire et raciste.
Un exemple emblématique est celui des Pays-Bas. Dès 2006, le gouvernement a introduit une vidéo imposée à toute personne migrante, censée refléter les « valeurs néerlandaises » : on y voyait des couples gays s’embrasser et des femmes seins nus sortant de l’eau. Ce dispositif visait spécifiquement les personnes musulmanes, à qui il était implicitement demandé de renoncer à leur projet migratoire si ces images les heurtaient. Plus tard, une politique d’« homo-émancipation » fut lancée, mais elle ciblait prioritairement les communautés marocaines et turques comme supposées « problématiques », tout en ignorant les luttes queer déjà existantes dans ces communautés. L’homophobie n’y était pas combattue en tant que phénomène structurel, mais utilisée comme prétexte pour marginaliser des groupes racisés et renforcer une identité nationale exclusive. Cette logique transforme les droits LGBTQIA+ en outil de hiérarchisation raciale qui associe modernité et droits des personnnes queer d’un côté, islam et homophobie de l’autre, tout en ignorant les luttes queer déjà existantes dans ces communautés.[13]
Ce type de stratégie est désormais déployé ailleurs en Europe. En France comme en Belgique, des groupes comme Éros ou Némésis, aux discours masculinistes, transphobes et identitaires, tentent de s’imposer dans les marches des fiertés. Présents à Paris et Bruxelles, ils se réclament de la “défense des vrais gays blancs” et accusent les musulmans d’importer l’homophobie; fracturant ainsi les communautés LGBTQIA+ entre “bons sujets” (blancs, intégrés, nationalistes) et “mauvais sujets” (racisé·es, musulman·es, trans, critiques du système).[14] Pride Paris 2025, collectif Eros
On peut également citer le cas d’Alice Weidel, cheffe de file du parti néonationaliste AfD en Allemagne [15] , incarne à lui seul ce brouillage idéologique. Lesbienne, vivant en Suisse avec une compagne d’origine sri-lankaise et mère de deux enfants issus de l’adoption internationale, elle est pourtant l’une des voix les plus dures contre l’immigration, les personnes musulmanes et les droits des minorités. Son profil “inattendu” est utilisé pour déminer les accusations de racisme et d’homophobie adressées à son parti. Elle incarne une figure de “minoritaire intégrée”, mobilisée pour légitimer un projet d’exclusion massive, appelant ouvertement à des politiques de remigration et flirtant avec le révisionnisme historique.
Ces offensives montrent que les espaces queers ne sont pas automatiquement progressistes. Sans vigilance politique, ils peuvent devenir le terrain de jeu de récits réactionnaires, qui exploitent les blessures communautaires (racisme intra-LGBTQIA+, transphobie, classisme) pour affaiblir les solidarités. Résister à cette colonisation implique de repolitiser nos espaces et de défendre des fiertés radicales, inclusives, antiracistes et antifascistes.
SOURCES
[1] Jasbir K. Puar, “ Homonationalism As Assemblage:Viral Travels, Affective Sexualities”, JGLR, Vol 4 (2), 2 novembre 2013, p.24.
[2] Alexander Dhoest, “LGBTs In, Muslims Out: Homonationalist Discourses and Counterdiscourses in the Flemish Press”, international journal of communication, n° 14, 2020, p.157.
[3] ibid, pp.158-160.
[4] Jasbir K. Puar, op.cit, p.25-27.
[5] X, “ un plan fédéral LGBTQI : pour qui et pour quoi?”,disponible sur https://www.rtbf.be/article/un-plan-d-action-interfederal-lgbti-pour-qui-et-pour-quoi-9921631, publié le 19 mai 2018.
[6] Sera Sarac, Les personnes racisées présentées comme des personnes queerphobes, une (dé)racialisation de la queerphobie : Comment expliquer la tendance en Belgique à attribuer la queerphobie aux personnes racisées ?, 2022, p.11 (mémoire de maîtrise,université libre de bruxelles).
[7] July Robert & Marie Charue, “Israël: le pinkwashing comme arme coloniale en Palestine”, disponible sur https://www.agirparlaculture.be/israel-le-pinkwashing-comme-arme-coloniale-en-palestine/, publié le 19 septembre 2024.
[8] Sarah Farris, “Les fondements politico-économiques du fémonationalisme”, disponible sur https://www.contretemps.eu/les-fondements-politico-economiques-du-femonationalisme/,publié le 17 juillet 2013.
[9] Ladan Rahbari, “ When gender turns right: racializing Islam and femonationalism in online political discourses in Belgium”, Contemporary Politics, 27 (1), 2020, pp.52-53.
[10] Sera Sarac, op.cit, p. 8.
[11] Idem, p. 139
[12] Idem, p. 52-55.
[13 ] Sandeep Bakshi, “Citoyenneté queer : Inclusion et contestation.”, Les frontières de la citoyenneté, Pélabay Janie, Tarragoni Federico, Boussahba-Bravard Myriam, Sénac Réjane. Presses Universitaires de Rennes, 2024, pp.85-94
[14] Solène Cordier, Un collectif d’extrême droite à la Marche des fiertés parisienne, Le Monde, 28 juin 2025, disponible sur https://www.lemonde.fr/societe/article/2025/06/28/un-collectif-d-extreme-droite-a-la-marche-des-fiertes-parisienne_6616239_3224.html
[15] RTBF, Homosexuelle, avec une partenaire d’origine sri-lankaise, Alice Weidel, un profil atypique de l’extrême droite allemande, RTBF, 12 janv. 2025, disponible sur : https://www.rtbf.be/article/homosexuelle-avec-une-partenaire-d-origine-sri-lankaise-alice-weidel-un-profil-atypique-de-l-extreme-droite-allemande-11488235
par sandrakabandana | Mar 31, 2024 | Articles, Belgique, Discrimination, Intersectionalité
Le travail du CARE – Edition spéciale
En collaboration avec La ligue des droits humains - Section Namur

Image reprise du site www.francevinfo.fr
1. Qu’est-ce que le Care?
Le travail du Care désigne les activités spécialisées dans le souci des autres. Cette dimension de bienveillance vis-à-vis d’autrui se retrouve dans toutes les activités de services car, servir, c’est prêter attention. Ce terme anglo-saxon désigne donc d’une part, la sensibilité que l’on peut avoir envers les besoins des autres et, d’autre part, l’action de prendre en charge ces besoins [1]. A cet égard, nous pouvons citer les professions d’ infirmier.es, les nourrices, les gardes d’enfant, les technicien.nes de surface, le personnel éducatif, les aides-soignantes, etc. Ces métiers d’entretien et de soin sont similaires au travail domestique effectué dans la sphère privée à la différence qu’ils sont rémunérés. On pourrait d’ailleurs qualifier le travail de Care de travail domestique professionnalisé.
2. Discrimination bien plus subie par les femmes
Commençons par quelques statistiques datant de 2019 sur la proportion de femmes dans certains métiers dits “féminins” et du Care en Belgique [2]. Sur le tableau ci-dessous, nous pouvons remarquer que même si les femmes sont largement majoritaires dans les secteurs de la santé humaine, de l’action sociale et de l’enseignement, elles ne sont pas surreprésentées dans les postes de direction ou d’encadrement où l’on retrouve une part importante d’homme à ces postes.
⇒ ségrégation horizontale*

⇒ ségrégation verticale / plafond de verre**
*désigne la concentration ou surreprésentation des femmes dans certaines professions.
**désigne la sous-représentation des femmes (resp. hommes) dans des professions présentant des attributs « souhaitables » en termes de revenus ou de reconnaissance sociale
Mais comment expliquer que les femmes se retrouvent en majorité à exercer dans le domaine du care?
Au fil du temps, les femmes et les hommes se sont vus assigner des rôles bien distincts au sein de la société ce qui a engendré une division sexuée du travail. Les hommes se sont vus attribuer la sphère productive tandis que les femmes ont été reléguées à la sphère reproductive [3], pour vulgariser : “Papa travaille pour subvenir aux besoins de la famille pendant que Maman s’occupe du ménage et des enfants”. Cette répartition des rôles a créé une supposée prédisposition naturelle des femmes à exercer le travail domestique.
Pour les métiers du Care, le raisonnement est similaire. En effet, toute femme est associée à la figure de la Mère aimante, attentionnée et soucieuse et de ce fait, elle est jugée comme étant plus aptes à faire preuve de compassion, de patience, d’empathie mais également plus compétentes pour effectuer des tâches qui s’apparentent au travail domestique dans la sphère privée telles que le ménage, le soin des autres, l’éducation des enfants, etc [4].
Comme pour le travail domestique non-rémunéré dans la sphère privée, les métiers du Care sont, à l’instar de leurs exécutantes, dévalorisés. A cela s’ajoute la pénibilité du travail, des salaires assez bas, une dévalorisation sociale et une précarité des conditions de travail, ce qui ne fait in fine que renforcer les inégalités entre les femmes et les hommes.
3.Les femmes racisées subissent encore plus cette discrimination
Mais qu’en est-il quand plusieurs systèmes d’oppression et de rapports de pouvoir se rencontrent ? Nous parlerons ici de l’interdépendance entre les discriminations liées au sexe et à la race.
La catégorie Femme n’est pas une catégorie homogène. En effet, bien que les femmes soient en très grande majorité présentes dans les métiers du Care, toutes les femmes ne sont pas concernées de la même façon. Pour certaines, au stigmate de la femme viennent s’ajouter horizontalement d’autres catégories de discriminations liées aux divers systèmes d’oppression telles que la race, la classe sociale, l’orientation sexuelle et bien d’autres encore. Ainsi, une femme racisée exerçant un métier de Care subit une double discrimination : la première, que nous avons abordée plus haut, c’est d’être une femme et la seconde c’est d’être racisée. Cette interdépendance des discriminations liées à des systèmes d’oppression qui viennent s’ajouter les unes aux autres est ce qu’on appelle l’intersectionnalité [5].
Pour en revenir à notre sujet, être femme, d’origine étrangère et avec un revenu socioéconomique faible renforce l’assignation à ces fonctions du Care [6]. En effet, dans nos sociétés occidentales, il existe un grand paradoxe lié à l’égalité. Pour obtenir une égalité professionnelle avec les hommes, certaines femmes exploitent d’autres femmes. On assiste alors à une dichotomie entre, d’un côté, la situation d’une femme blanche de classe moyenne déléguant les tâches domestiques de son foyer les moins valorisées pour atteindre des fonctions plus valorisées (ou simplement pour gagner du temps libre) et de l’autre côté, la situation de la femme racisée et de classe populaire qui est reléguée aux tâches les plus dévalorisées, voire considérées comme ingrates telles que le ménage, les courses, etc [7]. Cette sous-traitance du travail domestique renforce encore plus la précarité de certaines femme racisées issues de l’immigration [8].
En conclusion, il nous a paru opportun d’aborder ce sujet afin de mettre en avant les discriminations que subissent les travailleuses du care. En effet, la crise sanitaire a propulsé ces dernières en première ligne et a démontré que, bien qu’elles exécutent des tâches nécessaires à l’organisation de la société, elles ne jouissent que d’une moindre reconnaissance sociale, économique et politique du fait qu’elles soient majoritairement des femmes. De plus, ces inégalités sont renforcées par des discriminations liées notamment à la race et à la condition socio-économique de ces femmes. Afin de lutter contre les inégalités, il est nécessaire de se focaliser non seulement sur les différences de traitement vécues par les femmes en général mais également sur les discriminations supplémentaires subies par certains groupes de cet ensemble de femmes.
Sources
[1] C. Plumauzille, M. Rossigneux-Méheust, “ le care, une “ voix différente “ pour l’Histoire”, clio.Femmes,Genre,Histoire, Belin, 2019/1, n°49, p. 12.
[2] Statbel, “ les professions en Belgique” , disponible sur www.statbel.fgov.be , 2019.
[ 3] F. Scrinzi, “ Care”, Encyclopédie critique du genre, J. Rennes (dir.), La Découverte, 2016, p. 107.
[4]France culture, “Le « care » : d’une théorie sexiste à un concept politique et féministe”, disponible sur www.franceculture.fr, 06 mai 2020.
[5] B. Janssen, “ intersectionnalité : de la théorie à la pratique”, disponible sur www.cepag.be, novembre 2017, pp. 2-3.
[6] C. Avril, “15 – Sous le care, le travail des femmes de milieux populaires. Pour une critique empirique d’une notion à succès ”, Je travaille, donc je suis. Perspectives féministes. La Découverte, 2018, pp. 205-216.
[7] F. Scrinzi, “ Care”, Encyclopédie critique du genre, J. Rennes (dir.), La Découverte, 2016, p. 111.
[8] C. Jolly, F. Lainé, Y. Breem, “L’emploi et les métiers des immigrés”, document travail 2012-1, février 2012 ; M. Cognet, « Genre et ethnicité dans la division du travail en santé : la responsabilité politique des États », L’Homme & la Société, vol. 176-177, no. 2-3, 2010, pp.110-112.
Pour la rédaction de cet article nous avons aussi eu recours à des sources audio-visuels
META “ les travailleurs du care ” disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=v4J0G2R9KRg&fbclid=IwAR00MOM77bZpSmprDNfP72sWFt6WGCA3PJhAkkM1pOp8AG7_c8HjcY4_6-E
ARTE Radio, “ Pendre soin, penser en féministre le monde d’après ”, un podcast à soi, diponible sur https://www.youtube.com/watch?v=ya1BtYP185U
par nausicaa | Mar 30, 2024 | Articles, Discrimination, Legal Text For All, Uncategorized
Ensemble, nous avons notamment passé en revue ce qu’était la discrimination dans le domaine de l’emploi. A présent, nous avons décidé de mettre l’accent sur la discrimination dans un autre domaine en particulier : l’enseignement.
En 2004, un rapport pour la Commission européenne montrait que les discriminations sont bien moins nombreuses dans le monde éducatif que dans les champs de l’emploi et du logement. Néanmoins, dans le domaine de l’enseignement, on se trouve davantage face à des formes de discriminations indirectes et d’oppressions systémiques participant à la reproduction des inégalités.
Pourtant, l’éducation a des répercussions tout au long de la vie des personnes. Ainsi, l’école devient souvent le premier lieu de discrimination : on ne naît pas « Noir » ou « Maghrébin », mais on le devient souvent à travers l’expérience des rapports sociaux à l’école où le regard ethnicisant est mal vécu. Les « majoritaires » attribuent l’identité ethnique aux « minoritaires » et ce, dès le plus jeune âge.
L’école reproduit des inégalités sociales qu’elle n’arrive pas à modifier. De façon consciente ou non, les choix – pédagogiques ou non – de certains enseignants vont défavoriser certaines populations. Ce sont généralement des discriminations difficilement perceptibles car elles ne sont pas intentionnelles et que leurs effets se font plutôt sentir à long terme et non pas de façon imminente.
Comment les discriminations à l’école se matérialisent-elles ?
Souvent, il s’avère que les enfants migrants et ou provenant de minorités ethniques sont dans des classes de niveau inférieur à leur âge, notamment à cause des difficultés linguistiques. Ces mêmes enfants sont souvent orientés vers l’enseignement professionnel et technique ou encore regroupés dans ce qu’on appelle des « écoles-ghettos ».
Une enquête menée par la VUB et l’Université de Gand révèle que les enfants de maternelle sont souvent discriminés par les écoles flamandes sur base de leur nom ou de leur origine. Les parents d’origine étrangère ont ainsi jusqu’à 30% de chance en moins d’être invités à inscrire leur enfants. Les parents plus précarisés sont également moins souvent appelés par les écoles.
Finalement, on voit que le soi-disant “libre-choix” des écoles par les parents est foncièrement inégalitaire. De telles situations mènent inévitablement à la formation de ce qu’on appelle les « écoles-ghettos ». Par ailleurs, une réussite scolaire moindre des enfants de familles immigrées est avérée (OCDE, 2012). Leurs taux d’exclusion ou d’abandons scolaires sont également plus élevés.
Pourtant, “ L’éducation est non seulement un droit, mais c’est aussi un droit qui rend possible d’autres droits et favorise une insertion sociale et économique réussie” (cf. le rapport How fair is Britain? de Equality and Human Rights Commission, 2010). On voit donc à quel point une situation de discrimination à l’école peut favoriser l’émergence de futures discriminations chez l’individu initialement discriminé. C’est un cycle vicieux.
L’oppression systémique
L’oppression systémique est favorisée par le système institutionnel, par des habitudes et des usages ancrés, sans qu’il y ait nécessairement une intention de discriminer.
Le caractère systémique signifie qu’il ne s’agit pas d’actes isolés et individuels mais de comportements répétés et structurels. En fait, c’est l’organisation tout entière de la société qui reproduit les inégalités. Cette oppression se reflète plutôt à travers des problèmes récurrents et répandus, des politiques et pratiques institutionnelles qui excluent des personnes et des injustices dans plusieurs facettes de la société et à travers plusieurs générations.
L’oppression systémique et l’arsenal juridique belge
Tout d’abord, le concept d’oppression systémique n’apparaît pas, en tant que tel, dans le domaine juridique belge. De ce fait, la problématique est traitée en passant par le concept de discrimination.
Cependant, la discrimination vise un phénomène individuel, ce qui nous fait passer à côté du caractère institutionnel et structurel de l’oppression systémique.
Ceci pose inévitablement problème car une discrimination, évaluée de façon individuelle, ne permet pas de mettre en lumière un problème systémique.
Notons que le concept de discriminations systémiques est reconnu au Canada et aux Etats-Unis, mais toujours pas en France et en Belgique. Il est certain que la reconnaissance, au sein du droit positif belge, de la discrimination systémique couplée à des actions visant à rendre l’école davantage inclusive et à sensibiliser les établissements et les enseignants, permettrait de réduire les discriminations vécues par de nombreux élèves.
L’ISEF, ça te dit quelque chose?
L’ISEF est l’acronyme de l’Indice Socio-Économique Faible. Il s’agit d’un mécanisme créé par le gouvernement de la Communauté Française en 2009, en vue de classifier les écoles primaires situées dans une zone socio-économique précarisée.Chaque année, des milliers de parents se vouent à une lutte sans merci pour inscrire leur enfant dans l’école idéale. Certains se satisfont automatiquement de leur deuxième ou troisième choix pensant n’avoir aucune chance par faute de moyens.
L’ISEF agit comme critère de distinction des candidatures lors de la phase d’inscription dans une école secondaire. Dès lors, il permet aux enfants sortant d’une école ISEF, d’être prioritaires. Ainsi, une école secondaire réputée d’Uccle se doit de prévoir 20.4% de sa capacité aux étudiants ISEF. Il ne reste donc qu’aux parents d’oser candidater auprès de l’école de leur choix. Mais le constat est clair : peu connaissent l’existence de l’ISEF. Et comme l’explique Michel Parys, co-président de la régionale bruxelloise de l’UFAPEC, c’est l’inverse qui se produit. En effet, les parents souhaitant naturellement la meilleure formation pour leur enfant, choisissent bien souvent de l’inscrire au sein d’une école primaire loin de leur quartier précarisé, dans des écoles non ISEF.
Cet indice soulève de nombreuses questions : qu’en est-il des enfants défavorisés ne poursuivant pas leur scolarité dans une école comprise dans une zone classée ISEF ? Sommes-nous au constat que les enfants de familles défavorisées doivent rester entre eux pour être pris en compte ? Enfin, L’ISEF fonctionne sur une base géographique. Pourquoi ne s’exerce-t-il pas selon une analyse particulière des moyens du ménage et de sa composition, comme tel est le cas pour le droit au Revenu d’Intégration Sociale ? Reste à voir ce que la réforme du décret Inscription entrant en vigueur en février 2022 réserve à l’ISEF.
Dico juridique
- Discrimination directe et indirecte: Situation dans laquelle une norme, une système ou une pratique paraissant neutre désavantagerait particulièrement des personnes par rapport à d’autres, pour des motifs prohibés, comme l’ethnie, sauf si cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime.
- Ecole-ghettos: École au sein desquelles, les élèves, provenant de même groupes ethniques sont, sous l’influence et la pression sociale à l’égard de leur communauté, isolés du reste de la société.
- OCDE: Organisation de coopération et de développement économiques
- Droit positif belge: L’ensemble des règles juridiques belges applicables
Sources
1.Thibert, “discriminations et inégalité à l’école”, disponible sur https://edupass.hypotheses.org/120#A3 publié le 2 février 2014
2. Matthis pour Femmes de droit, “Oppression systémique”, disponible sur https://femmesdedroit.be/informations-juridiques/abecedaire/oppression-systemique/ publié le 19 janvier 2021
3. RTBF, “Le gouvernement francophone adopte les balises du nouveau décret inscriptions”, disponible sur https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_le-gouvernement-francophone-adopte-les-balises-du-nouveau-decret-inscriptions?id=10598241 publié le 1 octobre 2020
4. https://inforjeunes.eu/cachez-cet-isef-que-je-ne-saurais-nommer/
5. https://www.lalibre.be/belgique/2013/03/23/des-ecoles-ghettos-FI5ABHDL3VCZZHL2HBTZLJZG6Q/
6. de Villers et C. Desagher, “L’indice socio-économique des écoles Comment ça marche ? A quoi ça sert ?”, disponible sur https://www.fapeo.be/wp-content/analyses/analyses_2011/ISEF.pdf publié pour l’année 2011
« Je ne connais pas une actrice, quelle que soit sa couleur de peau, qui n’a pas été confrontée à des stéréotypes »
Lire plus
par racism-search | Jan 3, 2024 | Articles, Discrimination, Général, Racisme
La haine raciale sur les Réseaux Sociaux

Auparavant, les réseaux sociaux n’existaient pas et le racisme n’était visible que dans le “monde réel”, dans la réalité sensible . Or, désormais, en un clic nous disposons de l’information que nous cherchions, nous pouvons communiquer avec des personnes à l’autre bout du monde. Mais loin de n’apporter que des aspects positifs, les réseaux sociaux engendrent des aspects négatifs.
Le déferlement de la haine raciale est l’un d’eux.
En effet, à cause de la popularité des réseaux sociaux, de leur diversité mais aussi de leurs réglementations floues, les discours de haine sont nombreux et se diffusent rapidement sur les différentes plateformes [1]. Alors que des personnes n’oseraient jamais tenir certains propos de visui, Internet devient un défouloir où les langues se délient, de l’#antihomosexuel à #SiMaFilleRamèneUnNoir sous couvert de la “liberté d’expression”[2].
Responsabilité et influence des différentes plateformes
Bien que cela ne soit peut-être pas notre premier réflexe lorsqu’on aborde ce sujet, le racisme sur les réseaux sociaux se manifeste souvent en premier lieu dans la structure et le fonctionnement de la plateforme. En effet, comme le relèvent plusieurs auteurs tels que Marc Faddoul [3] et Sendhil Mullainathan [4], les algorithmes ne sont neutres qu’en apparence.
Ainsi, sur Tik Tok, les recommandations de comptes faites aux utilisateurs se basent sur les caractéristiques physiques des photos de profil des comptes que les utilisateurs suivent déjà. Ce phénomène se nomme “filtrage collaboratif” et peut être problématique car il peut reproduire les préjugés des gens.
“Si la majorité des créateurs populaires sur TikTok sont blancs, par exemple, cela peut empêcher que les créateurs de couleur ayant moins de followers soient vus et recommandés aussi souvent sur la plateforme”[3].
Cela implique également que ces créateurs racisés soient moins rémunérés pour le contenu qu’ils produisent et ne puissent donc pas vivre du fruit de leur travail, et cela non pas à cause de la qualité de leur contenu mais bien à cause des biais des algorithmes.
D’après une enquête du Wall Street Journal [5], les algorithmes employés par Tik Tok recommandent également plus souvent des créateurs correspondant à certains critères de beauté. Si cela est déjà très problématique en soi, les critères sur lesquels se basent ces algorithmes sont des critères de beauté occidentaux, ce qui exclut une fois encore les personnes racisées des recommandations de Tik Tok.
Sendhil Mullainathan, dans un article au New York Times, incite les plateformes à remédier au problème des préjugés algorithmiques, de la manière suivante : en “s’assurer que toutes les données nécessaires à l’algorithme, y compris les données utilisées pour le tester et le créer, sont soigneusement stockées ” [4].
Des contenus à connotation raciste …
En second lieu, le racisme est également présent via le contenu partagé sur les réseaux.
Le cas Tiktok
Comme mentionné dans le point précédent, la popularité est liée à la question algorithmique. D’ailleurs, un #BlackTikTokStrike a débarqué sur les réseaux pour dénoncer l’appropriation culturelle* des danses issues de la communauté noire. Beaucoup de tiktokeurs et influenceurs blancs reprennent – consciemment ou non – des danses qui deviennent virales, sous leur nom.
Ce qui est décrié est le peu de popularité de ces danses lorsqu’elles sont exécutées par les auteurs noirs qui, par conséquent, ne perçoivent pas les retombées de leur création .. [7]
La plateforme réagit :
“Nous nous soucions profondément de l’expérience des créateurs noirs sur notre plateforme et nous continuons à travailler chaque jour pour créer un environnement de soutien pour notre communauté, tout en instillant une culture où honorer et créditer les créateurs pour leurs contributions créatives est la norme.” [7]
L’ISD (Institute for Strategic Dialogue) s’exprime à travers d’un rapport sorti en août 2021 “TikTok fonctionne comme une nouvelle arène pour les idéologies haineuses incitant à la violence.” [6] Des vidéos qui rient et nient l’Holocauste et l’instrumentalisation d’une chanson juive (Hava Nagila) sont des exemples percutants dénoncés par l’ISD [6]. Ils sont représentatifs d’une transmission de haine raciale.
Sur Instagram, on peut rappeler le challenge lancé par la star de Télé-réalité Jazz qui s’est peint la moitié du visage en noir. Consciente ou non de son acte, elle s’est vite fait lourdement critiquée par les internautes [8]. Cette pratique nommée “BlackFace” est fortement empreinte de connotations racistes**. Avec les médias virulents, ce genre d’accident peut vite être repris par des personnes qui ont peu de recul critique sur lesréseaux sociaux, ou qui sont juste inconscientes de la problématique.
Les commentaires des utilisateurs
Nous en parlions déjà dans notre article sur le racisme en milieu sportif lorsque nous soulignions les commentaires haineux qu’on subit les joueurs Marcus Rashford, Jadon Sancho et Bukayo Saka après la défaite de l’Angleterre en finale de l’Euro. Les internautes jouent aussi un grand rôle dans la propagation de la haine raciale sur les réseaux sociaux.
Nous avons déjà tous vu des commentaires racistes sous des articles parlant d’immigration par exemple ou des incitations à la haine raciale sur des réseaux tels que Twitter ou Instagram. Ces commentaires vont même parfois jusqu’à des appels aux meurtres, et bien que l’option “signaler ce commentaire” ou cette publication existe, il est à noter que les géants d’Internet sont généralement peu réactifs [9]. Ces outils de signalement ont été utilisés sur trois grandes plateformes ( Instagram, facebook et youtube) par L’UEJF, SOS Racisme et SOS Homophobie et uniquement 77 contenus ont été supprimés sur les 548 signalés [10].
Equilibre entre la liberté d’expression et le devoir d’action
Si une majorité d’internautes est consciente que de tels propos ont des impacts au-delà des réseaux sociaux, l’absence de conséquences sur la sphère digitale est une raison qui pousse à exprimer ouvertement une intolérance et/ou une haine envers certains groupes de personnes. Ce qu’il reste intéressant
à noter est la justification souvent apportée à ces propos : la liberté d’expression. Il s’agit du droit d’exprimer son opinion ou ses idées sans qu’une réprobation ne puisse être prise à l’égard de son auteur et ce, même si ces idées sont inconvenantes, déplacées, et outrageuses [11].
Toutefois, dans ce grand nombre de personnes qui invoquent la liberté d’expression pour vociférer des propos racistes et discriminatoires, peu importe la limite imposée à cette liberté, lorsque ces propos révèlent une incitation à la haine, à la discrimination, à la violence ou à la ségrégation à l’égard d’autrui sur un lieu public* [11].
S’il est possible d’obtenir une condamnation pour ce type de propos en justice, il faut se demander s’il n’y a pas un moyen de prévenir ce type de comportement sur les réseaux sociaux.
*Notons qu’un lieu public désigne également tout message, vidéo ou photo sur internet qui est communiqué ou accessible à une ou plusieurs personnes.
Les plateformes sont les vecteurs principaux de la propagation du racisme. Elles ont une responsabilité à l’égard de la société d’introduire des règles de conduite et des sanctions suffisantes pour dissuader ce genre de commentaires. Cela est notamment appuyé par l’Union européenne qui a imposé une condamnation financière à tout réseau social qui ne respectait pas les réglementations luttant contre le racisme [12].
Au vu de ces règles et notamment de l’intervention de la justice, nous pouvons constater que certaines actions ont été entreprises par les plateformes digitales afin de remédier à ce problème. Ainsi, par exemple, il a été révélé par l’Unia que les plateformes ont employé du personnel chargé de nettoyer les commentaires haineux, dangereux et discriminatoires [12].
Toutefois, l’afflux de haine sur les réseaux ne fait qu’augmenter et certains doutent de la réelle effectivité du plan d’action de ces plateformes. A titre illustratif, le réseau Twitter a récemment été assigné en justice par quatre associations luttant contre des discriminations pour son manque de réelles actions [13]. Ceci n’est qu’un exemple de l’écart entre le devoir d’action des entreprises et la mise en œuvre d’une véritable restriction. Mais expliqué ci-dessus, le même problème est toujours observé sur les autres plateformes populaires sur lesquelles il reste possible de véhiculer des discours racistes sans réelle conséquence.
* N’hésite pas à aller lire l’article sur l’appropriation culturelle pour en savoir d’avantage (12 avril 2021)
** Notre position sur le phénomène “BlackFace” est expliquée dans l’article “Pourquoi le père fouettard est-il problématique?” (6 décembre 2020)
SOURCES :
[1] A. de Latour, N. Perger, R. Salaj, C. Tocchi, P. Viejo Otero, C. Del Felice et M. Ettema, R. Gomes, “Alternatives: Les contre-récits pour combattre le discours de haine ”, Strasbourg, France: Conseil de l'Europe, 2017, p. 45.
[2] G. Peronne, “Discrimination et réseaux sociaux”, disponible sur www.pnrs.ensosp.fr, Décembre 2014.
[3] Forbes, “Tik Tok : la plateforme est-elle raciste?”, disponible sur www.forbes.fr, publié le 15 avril 2020
[4] The New York Times, “Biased algorithms are easier to fix than biased people”, disponible sur www.nytimes.com, publié le 06 décembre 2019.
[5]The Wall Street Journal, “Inside Tik Tok’s algorithm: a WSJ video investigation”, disponible sur www.wsj.com, publié le 21 juillet 2021.
[6] Protestinter, A. Molina, “Tiktok gangrené de contenus racistes, antisémites et islamophobes” disponible www.reformes.ch, publié le 31 août 2021
[7] Courrier International, “ #BlackTikTokStrike, le mouvement de révolte des danseurs noirs”, disponible sur www.courrierinternational.co , publié le20 juillet 2021
[8] G. Dauge, “PHOTO Jazz (JLC Family) accusée de “blackface”, elle supprime son dernier cliché qui fait polémique”, disponible sur www.voici.fr, publié le 1 juin 2021
[9] C. Belaïch , “ Peut-on lutter contre l’incitation à la haine sur les réseaux ”, disponible sur www.liberation.fr, publié le 13 mai 2016.
[10] SOS Racisme, “ SOS Racisme, SOS Homophobie et l’UEJF étrillent Twitter, YouTube et Facebook”, disponible sur www.sos-racisme.org, consulté le 16 octobre 2021.
[11] UNIA, “Les limites à la liberté d’expression”, disponible sur https://www.unia.be, consulté le 15 octobre 2021.
[12] K. Azzouz, “Racisme et réseaux sociaux : l'impunité s'est pris les pieds dans la toile”, disponible sur https://www.rtbf.be/, publié le 19 février 2020.
[13] Martin Untersinger, “ Twitter assigné en justice pour son « inaction massive » face aux messages haineux”, disponible sur www.lemonde.fr, publié le 12 mai 2020.
par racism-search | Jan 3, 2024 | Articles, Discrimination, Legal Text For All