Le milieu de l’art visuel est-il toujours raciste?

Le milieu de l’art visuel est-il toujours raciste?

Le milieu de l’art visuel est-il toujours raciste?

Au début du mois, le département content s’est rendu au Musée de l’Afrique Centrale de Tervuren. De cette visite sont nés plusieurs questionnements sur l’art de manière générale: le milieu de l’art visuel est-il toujours raciste ? Et, sur quel maillon de la chaîne, se trouve la discrimination ? 

Dans cet article, une attention particulière sera accordée au milieu de l’art visuel. Pour ce faire, définissons d’abord ce que sont les “arts visuels” : il s’agit traditionnellement de la peinture, de la sculpture, du dessin, la photographie mais également le montage vidéo, etc. (1) L’usage du terme “arts plastiques” a été délaissé car il restreint le champ de l’article aux “beaux-arts” et évince dès lors de nouvelles formes d’expressions modernes et contemporaines émergentes.

Bien souvent considérés comme impartiaux, les musées, les galeries ou de tout autre lieu d’exposition rassemblent dans leurs institutions des expressions artistiques. L’ICOM, le Conseil International des Musées créé en 1946 et qui rassemble pas moins d’une centaine de pays, a affirmé en juin 2020 que le musée n’était pas neutre (2). Il s’agit d’une avancée majeure puisque cette même instance a émis une définition du musée reprise par les professionnel·le·s du milieu et a affirmé le rôle de l’institution muséale au sein de la société. Le choix des œuvres, les artistes présentés, les médiateur·ice·s culturels employé·e·s, les membres du personnel… présentent – par leur existence – nécessairement un biais, puisque tout choix amène la renonciation à un autre. L’art au sein des musées, ayant longtemps été vecteur d’une pensée élitiste, a souvent exclu les “subjectivités et les corps non blancs” (3). L’ICOM affirme d’ailleurs que les musées « ont la responsabilité et le devoir de lutter contre l’injustice raciale (…), depuis les histoires qu’ils racontent jusqu’à la diversité de leur personnel » (2). 

* Il ne s’agit pas ici de définir ou de limiter à une définition unique ce qu’est une œuvre d’art. 

Néanmoins, la réelle déconstruction des personnes chargées de mener à bien la tâche de “décoloniser les arts”** pose question lorsque l’on sait que l’histoire de l’art – toujours étudiée- est plus une « cartographie temporelle périodisée des artistes et des œuvres en Europe de l’Ouest » (3).


« Qu’est-ce qu’un musée décolonial ? Sachant que l’idée même du musée est occidentale. Quelles collections, quels objets, quel mode d’exposition ? La tâche est immense, mais féconde » (4).  

Cet article tentera de comprendre les différents rouages sur lesquels travailler la décolonisation de l’art pourrait être intéressant : l’artiste, l’œuvre, les employés du musée. Pour finir, la restitution des œuvres coloniales semble constituer une question inévitable et nécessaire.

  1. La Sous-représentation des artistes racisés 

Comme évoqué dans l’introduction le monde de l’art visible, comme le monde du cinéma ou de la télévision**, est dominé par les personnes blanches. Cette majorité blanche entraîne une vision du monde selon le prisme d’un groupe ethnique privilégié et catégorise les autres types d’art comme “ autres” voire “exotiques” (5). Cela accentue donc le sentiment d’exclusion et d’invisibilité que ressentent les artistes racisés. 

Les musées qui ont comme but principal de raconter une histoire, de véhiculer un certain message, doivent émettre des choix précis. Cette sous-représentation d’artistes racisé·e·s insinue une certaine manière de pensée et attire donc un certain type de public, en en excluant un autre (6). Le Conseil des arts du Canada affirmait d’ailleurs déjà en 2015 que la répartition inégale qu’il existe dans le milieu de l’art est « souvent le résultat de réalités his­toriques rattachées à la conquête, à la colonisation, à la domination culturelle et à l’exclusion systémique » (5). 

Le même constat est à faire en Europe, on remarque d’ailleurs qu’il y a très peu de personnes racisées dans les écoles d’art (4). Pourquoi ? S’agit -il d’un désintérêt de ces communautés ? Les filières d’histoire de l’art, sont surreprésentés et enseignées majoritairement par des personnes blanches, masculines et bourgeoises qui adoptent une vision blanche et hétérocentrée de notre société (6). Pour ces raisons, peu de personnes racisées choisissent d’entreprendre ces études, ou si elles le font, plusieurs arrêtent durant leur parcours scolaire.

** Voir notre article “ La sous représentation – manque de diversité “ du 13 décembre 2020. 

S’ajoute à cela l’accès au marché de l’art et la visibilité accordée aux personnes racisées. Nous le savons, notre société fonctionne sur un système financier et capitaliste. Dès lors, la question de l’argent est déterminante tant pour les musées que pour les artistes. Or, le budget donné aux artistes racisées et les moyens mis à leur disposition pour visibiliser leur art sont minimes comparés à ceux accordés aux artistes blancs (6).   

 Comme le relève Toma Muteba Luntumbue, artiste plasticien, commissaire d’exposition indépendant et professeur d’histoire de l’art : avoir une place dans un musée ne suffit pas. Ayant collaboré avec le AfricaMuseum ou le Musée Royal des Beaux-Arts, Monsieur Muteba Luntumbue conclut que ces collaborations finissent toujours ”à votre subalternalisation, sur le plan intellectuel comme sur le plan matériel. Soit parce qu’une catégorie est créée spécialement pour vous y accueillir, soit pour vous marginaliser, on vous rétribue mal ou on ne vous rétribue pas du tout.” (7) Ce n’est finalement qu’en lançant leur propre exposition que les personnes racisées peuvent s’assurer d’être réellement rétribuées et de sortir du rapport colonial qui existe avec les institutions muséales occidentales (7).  

Depuis plusieurs années maintenant, des artistes, tel que Jean-François Boclé (d’origine martiniquaise), utilisent leur art pour faire passer des messages politiques et dénoncer le racisme systémique que subissent les personnes racisées dans les anciens pays colonisateurs (4). En faisant part de leur réalité, ils permettent au public d’ouvrir les yeux sur des choses qui, de prime abord, ne les auraient pas marqué. Une véritable diversité des artistes est donc nécessaire pour une représentation réelle de la société moderne.

  1. La représentation des personnes racisées dans l’art visuel blanc européen:

Si donc l’histoire de l’art se concentre et valorise les œuvres produites par des blancs, pour des blancs dans un contexte européen, qu’en est-il cependant de la représentation des personnes racisées dans ce type d’art? 

C’est en tout cas cette question de départ, qui a fait entreprendre à Naïl Ver-Ndoye et Grégoire Fauconnier leur étude, Noir : entre peinture et histoire (8), où ils étudient plus de 350 oeuvres qui représentent des personnes noires, mais il en existe des milliers rien que dans les collections françaises. Ces oeuvres traversent d’ailleurs toutes les époques puisque l’on retrouve des oeuvres représentant des personnes noires de l’Antiquité à nos jours (9), et des personnes noires de toutes classes sociales (Chevalier Saint-Maurice, Jean-Baptiste Belley…) même si la majorité reste des personnes de classe socio-économique plutôt pauvre (9). 

Sans pouvoir revenir sur toutes les analyses qu’ils font dans leur livre, ni de celles formulées dans l’épisode “Représenter les noir.es : le regard blanc” du podcast Vénus s’épilait-elle la chatte (10), plusieurs points d’attention peuvent être soulevés. 

  • La majorité des personnes représentées sur les tableaux sont anonymes. C’est-à-dire qu’on ne sait pas qui elles sont, et que le travail fourni pour trouver ces informations a été insuffisant, voire inexistant. C’est particulièrement marquant lorsque l’on sait que l’identité de la majorité des personnages blancs, même secondaires, est connue. Un exemple frappant, est celui de l’oeuvre Olympia de Manet, peinte en 1863, où figurent une femme blanche et une femme noire l’une à côté de l’autre et seule la femme blanche a fait l’objet d’analyses, de commentaires et de recherches. Ce n’est que très récemment que l’on a pu identifier Laure, la servante noire représentée sur le tableau et en savoir plus sur sa vie (11) . 
  • Les personnes noires sont rarement le sujet du tableau et occupent généralement le second plan (10). Plus encore, ces personnes ne sont pas toujours représentées pour elles-même mais parfois comme allégories ou symboles. 

Il faut souligner le travail récent de certains musées, chercheurs et chercheuses qui ont voulu mettre en lumière les personnes noires représentées dans la peinture (12;13), sans que ce travail ne soit pour autant suffisant que pour parvenir à une véritable décolonisation de nos expositions, institutions muséales et vision de l’art dans son ensemble.

  1. L’absence de travailleurs racisés au sein des institutions culturelles

Si l’on sait que le milieu de l’art est majoritairement blanc, il faut se questionner sur les personnes qui mettent sur le devant de la scène publique les oeuvres d’art. Peu de personnes racisées et/ou étrangères  occupent des postes à responsabilité au sein des musées (4).

Le Musée  canadien pour les droits de la personne (MCDP), établi à Winnipeg, a d’ailleurs été dénoncé pour racisme en 2020. En effet, que ce soit en interne – lors du recrutement – ou avec les visiteur·euse·s, les membres du personnel du musée ont souvent eu une attitude discriminatoire envers les personnes noires, autochtones. Celle-ci avait “pourtant” l’objectif de sensibiliser sur les effets de la colonisation (14).  Le Musée d’histoire naturelle et des civilisations en Colombie-Britannique a, lui aussi, été accablé par les mêmes faits: discrimination envers les employés autochtones (15). Dès 2021, le directeur général démissionne. Situations encore plus ironiques lorsque l’on parle des musées ethnographiques, ces exemples prouvent un mouvement qui ébranle un système raciste … auquel les musées ne dérogent pas. (15). 

Pour rappel: 39 % des dossiers liés à l’emploi ouverts par UNIA concernent des discriminations sur base de critères raciaux, philosophiques ou religieux. (chiffres de 2020).

  1. Conclusion 

Tout cela nous amène à penser et repenser la place de l’art dans nos sociétés, à ne plus la percevoir comme neutre, à lutter pour une meilleure représentation des personnes racisées tant parmi les figures représentées, les artistes, les employés que les directions des institutions muséales… Une étape qui pourrait elle aussi contribuer à la « décolonisation » de nos musées serait la restitution des œuvres. En effet, des musées comme le musée de Tervuren en Belgique ont en leur sein des pièces d’art en partie volées ou rachetées il y a plusieurs années de cela maintenant. Que ce soit pour ce musée, ou d’autres musées occidentaux, les personnes racisées des pays volées réclament la restitution de leurs œuvres (16).

En Europe en particulier, les Africain·e·s se sentent “dépouillés” par les missionnaires et anciens militaires colonisateurs qui ont récoltés tous ces objets et œuvres d’art dans des situations douteuses voire sanglantes (16). Les personnes racisées se sentent donc privées d’une partie de leur histoire, et certain·e·s ont d’ailleurs tenté de reprendre les biens de leurs ancêtres directement dans les musées comme cela a été le cas en France au Musée du Quai Branly (17) . 

Sources :

  1. R. Lachapelle (1981). Mais qu’est-ce donc que les arts visuels? Liaison, (17), 14–16. https://www.erudit.org/fr/revues/liaison/1981-n17-liaison1165787/43952ac.pdf 
  2. S. Ouanes “Cinq mois après Black Lives Matter, les musées sortent timidement du silence”. Disponible sur https://www.francesoir.fr/, publié le 18 octobre 2020.
  3. Marie-Laure Allain Bonilla, “ Processus décoloniaux dans l’art : institutions et savoirs “, Critique d’art [En ligne], 52 | Printemps/été, mis en ligne le 27 mai 2020, disponible sur http://journals.openedition.org/critiquedart/46179, consulté le 24 novembre 2021.
  4. M. Celeux-Lanval “ #BlackLivesMatter : Le monde de l’art à l’épreuve du racisme”. Disponible sur www.beauxarts.com, publié le 18 juin 2020
  5. DAM, “Pour un processus d’équité culturelle-  Rapport de la consultation sur le racisme systémique dans le milieu des arts, de la culture et des médias à Montréal”, disponible sur /www.diversiteartistique.org/, publié en 2018.
  6. K. Mesbah, “ Secteur culture et artistique belge : quelle place pour les personnes racisées? ” disponible sur www.bepax.or, publié  en octobre 2021.
  7. T. Muteba Luntumbue, “  Secteur culture et artistique belge : quelle place pour les personnes racisées?”,disponible sur www.bepax.or, publié en octobre 2021.
  8. N. Ver-Ndoye et G. Fauconnier, “Noir entre peinture et histoire”, Ed. Omniscience, 2018. 
  9. Bibliothèque nationale de France, “La figure du Noir dans l’art occidental: représentation, imaginaire et réappropriation”, disponible sur www.bnf.fr, publié en 2019. 
  10. J. Beauzac, “ “Représenter les noir.es : le regard blanc”, disponible sur www.venuslepodcast.com, publié en juin 2020. 
  11. D. Murell, “Seeing Laure: Race and Modernity from Manet’s Olympia to Matisse, Bearden and Beyond”; disponible sur https://academiccommons.columbia.edu/doi/10.7916/D8MK69VP, publié en 2014. 
  12. D. E. Pullins, “Review of “Posing Modernity : the black model from Manet and Matisse to today” Wallach Art Gallery, New York and…”, publié en 2018
  13. Exposition du Musée d’Orsay Paris, “Le modèle noir”, 2019, voir: https://www.offi.fr/expositions-musees/musee-dorsay-2897/le-modele-noir-72857.html
  14. T. Jourdan, ” Racisme interne au Musée canadien pour les droits de la personne?” Disponible sur https://ici.radio-canada.ca/nouvelle, publié le 10 juin 2020.
  15. M. Trochu,”Racisme et culture toxique au musée royal de colombie britannique “, Disponible sur https://canada-info.ca/, publié le 24 février 2021.
  16. H. Bellet  “ Restituer ? L’Afrique en quête de ses chefs-d’œuvre ”, sur Arte.tv : des musées européens peuplés d’œuvres volées”, disponible sur www.lemonde.fr, publié le 28 octobre 2021.
  17. C. Hertzog “ Tentative de vol au Musée du quai Branly : « Ce que je vous dis vient du peuple africain ”, disponible sur www.lemonde.fr, publié le 30 septembre 2020.
Les personnes racisé.e.x.s dans le monde du drag

Les personnes racisé.e.x.s dans le monde du drag

Les personnes racisé.e.x.s dans le monde du drag

Les drags sont des personnes qui se construisent une identité basée volontairement sur l’exagération des rôles de genres. Il s’agit d’un art du théâtre permettant de saisir le monde de manière beaucoup plus complexe et de montrer que nos identités peuvent être multiples et plurielles. C’est porter des valeurs d’acceptation de soi et d’ouverture à la diversité du genre. Il s’agit d’un moyen d’expression qui permet de faire passer toutes sortes de messages, qu’ils soient politique, poétique ou humoristique.

Channing Gerard Joseph, 2020, The First Drag Queen Was a Former Slave, thenation.com

A la fin des années 1880, la première drag-queen de l’histoire, William Dorsey Swann, ancien esclave, décide d’organiser des soirées pour permettre aux esclaves de parodier leurs maîtres qui s’habillaient pour aller en soirée dansante. La police y faisait fréquemment des interventions musclées et publiait dans les journaux l’identité des personnes présentes.  Plus tard, dans les années 1920, les balls étaient aussi des lieux où les personnes blanches et les personnes noires se retrouvaient pour danser ensemble, un acte alors éminemment politique.

Florence Mills, dans « Dover Street à Dixie » au London Pavilion, photographie de Bassano Ltd. © National Portrait Gallery, Londres, NPG x85305

Gladys Bentley, Collection of the Smithsonian National Museum of African American History and Culture

 

 

 

 

 

 

 

 

Puis, en 1930, les spectacles de drag ont commencé à se développer dans le quartier de Harlem à New York, qui était un important centre de vie nocturne et de divertissement pour la communauté afro-américaine. Des artistes afro-américains, tels que Gladys Bentley, Ethel Waters et Florence Mills, ont joué le rôle de pionnier·re·s dans la popularisation du drag à cette époque.

Les historien·ne·x·s de la danse affirment que le cakewalk (danse populaire née parmi les Noirs du Sud des États-Unis pour imiter avec ironie l’attitude de leurs maîtres se rendant aux bals) a donné naissance plus tard au voguing, très pratiqué dans les années 1970 dans les clubs gays et particulièrement dans les balls que fréquentaient les personnes homosexuel·le·s et transgenres afro-américain·e·s à New York.

Au début, il s’agissait de lieux de liberté, où la communauté afro-américaine pouvait exister en dehors d’un système oppressif, celui de la ségrégation raciale. Les danseur·euse·x·s se regroupent en équipes, ou houses, et s’affrontent en chorégraphie lors des balls.

A l’époque déjà, l’imaginaire de la perversion et de la sexualité était invoqué par les autorités pour interdire la tenue de ces balls. Depuis lors, les drag shows ont souvent été associés aux communautés LGBTQ+ et ont joué un rôle essentiel dans la célébration de l’identité queer. Ces soirées étaient l’occasion de lutter pour la visibilité et l’acceptation, en particulier dans des périodes où l’expression de l’identité de genre et de l’orientation sexuelle était réprimée.

Aujourd’hui, la tenue des balls et le voguing sont des formes d’expression beaucoup plus populaires, depuis la sortie de la chanson de Madonna « Vogue » et le documentaire « Paris is burning », tous les deux diffusés dans les années 1990.

Cette popularité n’a fait que croître depuis la série télévision à succès RuPaul’s Drag Race, adaptée en Belgique en 2023 sous le nom « Drag Race Belgique ».

Affiche Drag Race Belgique, Tipik

 

 

 

 

 

Echanges avec Mama Tituba et Paula Roïd

Malgré l’histoire des drag, la représentation des personnes racisées dans le monde des drag est encore insuffisante. Nous avons discuté avec Mama Tituba (iel) et Paula Roïd (elle), touxes deux artistes drag appartenant aux Peaux de Minuit, un collectif d’artistes queer racisé·e·x·s. En réfléchissant à leur perception du « monde drag », ielles parlent d’un espace d’expression qui peut, entre autres, faire passer des messages politiques:

« Le drag que je fais et que je proclame est plus un drag politique: je parle d’empouvoirment, d’adoption, de racisme, que ce soit seul·e·x ou en collectif »

Mama Tituba et Paula Roïd relèvent très vite la question du manque de diversité et de représentation dans l’univers drag ainsi que leur position par rapport à ces problématiques. Déjà, le lancement du collectif « Les Peaux de Minuit » en mars a été l’occasion de revendiquer la place des personnes racisé·e·x·s. sur la scène drag, où « les drag queen blanches cis gay » sont toujours plus présentes et mainstream, à l’image de l’émission Drag Race Belgium.

Paula Roïd précise qu’évoluer dans ce collectif permet de donner plus d’espace à la richesse de sa culture sri lankaise à un public qui n’a pas forcément l’habitude de voir des drag racisé·e·x·s.

En débutant dans le monde du drag, Mama Tituba a conscience de son rôle de « token« : être la seule personne racisée présente pour que les organisateurs puissent se vanter d’être inclusif. Mais iel a aussi vu sa participation comme un moyen d’ouvrir la porte aux autres drag et d’y renforcer la représentation des personnes non seulement racisée•x•s mais également « queer, non-binaire, grosse•x•s et adoptée•x•s » souffrant des discriminations intersectionnelles comme iel.

Au-delà de leurs identités et de leur place dans le monde drag, Mama Tituba et Paula Roïd ont détaillé les difficultés auxquelles elleux-mêmes ou leur entourage ont fait face. Avec les Peaux de Minuit, ielles se battent pour une meilleure représentation et une meilleure visibilité sur la scène bruxelleoise afin de s’y implanter au même titre que les drag blanc·he·x·s et d’ouvrir la voie aux artistes racisé·e·x·s en devenir pour faire leurs premiers pas.

1ère Édition des Peaux de Minuit au Solbosch, Samy Soussi, 2023

En effet, ielles relèvent que beaucoup de baby drag racisé·e·x·s n’osent pas monter sur scène par manque de représentation. En outre, il s’agit d’un métier extrêmement cher (matériel, vêtements, maquillage, etc.) et qui demande du temps. Mama Tituba explique

« En plus d’être artistes, on doit monter nos spectacles nous-mêmes: chercher des salles, créer des évènements, faire de la communication, et tout ça bénévolement. C’est un travail hyper dur que d’avoir cette double casquette. »

Or, en raison du racisme systémique, les personnes racisées tendent à être plus précaire que les autres, ielles ont moins de ressources et peuvent moins facilement se permettre de quitter leur travail pour faire de leur passion leur métier. De plus, les drag racisé·e·x·s sont aussi confronté·e·x·s à la barrière du réseau:

« On n’a pas forcément le réseau pour entrer dans des cabarets et surtout dans les théâtres. »

Mama Tituba

Mama Tituba indique aussi que le collectif est aussi un moyen de se retrouver en non-mixité choisie, dans un endroit safe pour les drags racisé·e·x·s.

« Les Peaux de Minuit » semble répondre aux attentes et diversifier le drag, car pour l’instant, tous·te·x·s les drags ayant performé·e·x·s aux Peaux de Minuit ont eu l’opportunité de performer ensuite sur d’autres scènes. Néanmoins, davantage de soutien concret de la part des drag blanc·che·x·s serait le bienvenu, notamment pour laisser de l’espace, et permettre aux drag racisé·e·x·s de signer des scènes et des contrats.

Paula Roïd

N’hésitez pas à découvrir le collectif lors de leur prochaine représentation !

 

 

 

Sources

  • Thaddeus Morgan, « How 19th-Century Drag Balls Evolved into House Balls, Birthplace of Voguing », disponible sur www.history.com, publié le 28 juin 2021
  • Victoria Lavelle, « D’où vient la culture drag ? », disponible sur www.celles-qui-osent.com publié le 12 décembre 2022
  • Sofian Aissaoui, « Pourquoi la culture drag est dans le viseur de la droite identitaire », disponible sur www.slate.fr, publié le 1 février 2023
  • Interviews de Mama Tituba et Paula Roïd, membres du collectif « Les Peaux de Minuit»
Difficultées d’une PMA pour les personnes racisées en France

Difficultées d’une PMA pour les personnes racisées en France

Les difficultées d’une PMA pour les personnes racisées en France

La PMA, Procréation Médicalement Assistée, permet aux couples hétéro et maintenant lesbiens ou aux femmes seules de pouvoir avoir un enfant par le biais de diverses techniques :

  • l’insémination artificielle, qui consiste à déposer les spermatozoïdes dans l’utérus pour faciliter la rencontre entre le spermatozoïde et l’ovule.

  • la FIV (Fécondation In Vitro) qui a lieu en laboratoire. Un spermatozoïde est alors directement injecté dans l’ovule pour former un embryon. L’embryon ainsi conçu est ensuite transféré dans l’utérus de la future mère.

  •  La dernière technique, celle sur laquelle notre article se concentre, est la PMA. Elle consiste à l’accueil de l’embryon dans l’utérus. Il est proposé à l’accueil par un couple donneur ou une femme seule donneuse anonyme, puis transféré dans l’utérus de la femme receveuse.

On a choisi de se concentrer sur la France car il existe peu de données pour la Belgique sur ce sujet.

Qu’est ce que dit la loi ?

En France, la loi bioéthique d’août 2021 relative à la PMA a élargi l’accès à la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes célibataires. Cependant, cette loi continue à exclure les personnes trans et non binaires. Elle permet également aux enfants issus d’un don de gamètes la possibilité d’accéder à leur majorité à l’identité de leur donneur.euses ainsi qu’à d‘autres informations s’ils/elles en font la demande. Mais un sujet plus tabou persiste néanmoins : la question de l’appariement pour les personnes racisées.

L’appariement est une norme médicale qui consiste à choisir les donneur·euses de spermatozoïdes ou d’ovocytes en fonction de la personne qui va le recevoir, afin qu’iels aient le même phénotype (couleur de cheveux, taille, carnation de la peau…). Concrètement, une femme noire en recherche d’un don d’ovocyte se verra attribuer l’ovocyte d’une donneuse, noire. Or, si les dons d’ovocytes en général sont rares en France, c’est encore plus vrai pour les ovocytes de phénotype noir.

L’IOP, une pathologie qui touche les femmes racisées

Il existe de plus en plus de femmes racisées confrontées à une pathologie nommée “I.O.P” pour Insuffisance Ovarienne Précoce. Dans de tels cas, les ovaires ne fonctionnent plus correctement et produisent peu de follicules matures. Leurs chances de concevoir un embryon viable à partir de ces ovules sont réduites entre 1% et 5%. Le don d’ovocytes est donc une nécessité pour mener à terme leur grossesse.

En moyenne en France une femme blanche attend généralement 5 ans avant de recevoir un ovocyte, tandis que pour les personnes racisées cela varie entre 8 et 10 ans: nombreuses sont les femmes qui abandonnent au bout de plusieurs années d’attente, dues au manque effarant de donneuses. La France est dans une situation de grande faiblesse sur les dons d’ovocytes de manière générale.

Il aura fallu attendre 10 ans avant que l’agence de la biomédecine commence un travail d’information autour du don de gamètes avec pour objectif de favoriser l’information et la réflexion autour du don de gamètes. Des campagnes nationales ont vu le jour mais le travail reste encore long pour pallier la pénurie du don d’ovocytes en France et ce, particulièrement pour les femmes noires dans l’attente d’ovocytes issus d’autres femmes noires.

Les conséquences de ce manque de don

Par manque de donneuses en France, les femmes racisées sont contraintes de se tourner vers l’étranger, notamment l’Espagne, pour accéder à une FIV  avec don d’ovocytes. Tout cela a bien évidemment un coût que peu de personnes peuvent assumer.

Le gouvernement français a donc tenté de trouver une solution en supprimant l’appariement obligatoire afin de laisser désormais le choix aux futures mères. On notera que cela ne résout pas le problème du manque de donneuses et particulièrement de donneuses racisées.

Les différentes raisons (liste non exhaustive)

 Ce manque de manière générale peut s’expliquer par plusieurs raisons:

⇒ en France contrairement à l’Espagne la donneuse n’est pas rémunérée alors qu’elle doit tout de même subir un traitement hormonal assez conséquent en amont de sa donation. Mais le gouvernement refuse de rémunérer les donneuses par peur d’une marchandisation de ces dons.

⇒Il y a un autre point qui rend complexe les PMA chez les personnes racisées : le parcours de soin gynécologique : Les personnes racisées sont plus sujettes à certains obstacles dans leurs parcours gynécologiques émanant d’un racisme ordinaire. On y retrouve le syndrome méditerranéen, un stéréotype culturel à dimension raciale du monde médical, consistant pour les professionnels de santé à considérer que les personnes noires, nord-africaines, ou d’autres minorités vivant autour de la Méditerranée exagèrent leurs symptômes ce qui entraîne de facto une défaillance de la prise en charge médicale de ces personnes.

⇒ On retrouve aussi le manque de connaissances de la recherche médicale en matière de fibrome utérin, l’exotification du corps, les pratiques accrues de césariennes, etc.

Quand tous ces obstacles sur le parcours de soins s’accumulent, il n’est pas surprenant que l’accès à la technologie du don de gamètes soit plus long.

Sandrine Ngatchou, de la chaîne Ovocytemoi, s’est exprimée sur son parcours en tant que femme noire infertile ayant voulu faire une PMA. Elle explique le manque de communication sur le don en soi. Il est vrai qu’on retrouve peu de campagnes sur le don d’ovocyte et les problématiques liées à la PMA, il n’est pas rare de voir au détour d’une rue des affiches pour le don du sang ou don d’organes mais celles concernant le don d’ovocyte et de gamètes dépassent rarement le cadre des salles d’attente des hôpitaux.

Au-delà d’un travail important d’information à ce sujet il est nécessaire de rappeler que les difficultés rencontrées par les donneur.euses noires résultent surtout de piliers racistes toujours ancrés dans la culture française. On parle donc ici du syndrome méditéranéen, de l’exotification du corps, des pratiques accrues de césariennes, etc. Il est donc primordial d’entamer un travail profond permettant une réelle amélioration de la prise en charge médicale et avant tout gynécologique de ces personnes.

SOURCES

Inès de Rousiers/France Info  : PMA : les femmes noires, oubliées du projet de loi ? https://la1ere.francetvinfo.fr/pma-femmes-noires-oubliees-du-projet-loi-858456.html Publié le 3 août 2020 à 11h27

Fanny Ruz-Guindos-Artigue/Libération : PMA : l’interminable attente des femmes noireshttps://www.liberation.fr/societe/droits-des-femmes/pma-linterminable-attente-des-femmes-noires-20210607_DOPWNGKHQZACTC3IF7YI24QNPY/ Publié le 7 juin 2021 à 8h15

Ketsia et Johanna entretien de Sandrine Ngatchou/ Les flux : Entretien avec Sandrine Ngatchou d’Ovocyitetmoi http://lesflux.fr/2020/10/06/entretien-avec-sandrine-ngatchou-dovocytemoi/ Publié le 6 octobre 2020

Rozenn Le Carboulec/Médiapart : PMA : des lesbiennes non blanches déplorent un « racisme médical » https://www.mediapart.fr/journal/france/301221/pma-des-lesbiennes-non-blanches-deplorent-un-racisme-medical Publié le 30 décembre 2021 à 16h05

Patricia N’depo/Afrique Avenir :  Communiqué PMA : Pour une lutte collective et politique des femmes noires https://www.afriqueavenir.fr/2019/05/28/communique-pma-pour-une-lutte-collective-et-politique-des-femmes-noires/ Publié le 28 mai 2019

La rédaction et AFP/Komitid : “Huit ans d’attente” : le combat des femmes noires pour accéder à la PMA https://www.komitid.fr/2021/08/24/le-combat-des-femmes-noires-pour-acceder-a-la-pma/ Publié le 24 août 2021 à 10 h 31

Geneviève Sagno/BBC news : « J’ai fait don de mes ovocytes pour aider des femmes noires à avoir un enfant » https://www.bbc.com/afrique/articles/c847ypxedq5o Publié le 9 novembre 2022

La rédaction d’allo docteur : Pourquoi la France manque-t-elle de donneuses d’ovocytes ? https://www.allodocteurs.fr/grossesse-enfant-procreation-assistance-medicale-a-la-procreation-pourquoi-la-france-manque-t-elle-de-donneuses-d-ovocytes-15452.html Publié le 29/01/2015, mis à jour le 03/02/2015

La sous représentation

La sous représentation

La Sous-Représentation: Manque de Diversité

 

Les mouvements anti-racistes de ces dernières années ont ramené au devant de la scène une discussion qui a souvent été balayée sous le tapis : celle du manque de diversité dans les médias. Cette problématique est en réalité double. Il y a non seulement un manque de représentation mais il y a également une mauvaise représentation des communautés racisées. Malgré l’apparition croissante des minorités à l’écran depuis les années 2000, ces dernières restent toujours attachées à des rôles peu importants ou encore à des clichés [1]. Dans ce premier article, nous allons tenter de répondre à certaines questions primordiales : qu’est-ce que la sous-représentation ? Quelle est son importance ? Quelles sont les conséquences de la sous-représentation ? [a]

Qu’est ce que la sous-représentation ?

La sous-représentation est, en réalité, un aspect du racisme. Elle décrit une situation de déséquilibre dans laquelle les minorités sont moins représentées à divers rangs et les Blancs sont disproportionnellement plus présents que les autres groupes ethniques dans les positions les plus convoitées.

En avril 2018, Le CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel) met en avant ce problème dans son 4ème baromètre sur la diversité et l’égalité. En effet, la diversité régresse dans l’ensemble des types de programmes et cela même dans les rôles médiatiques les plus valorisés. Lors de ce même rapport, on apprend que les rôles “ prestigieux” sont les moins diversifiés ( quelques chiffres .. 29% porte-paroles, 6% d’experts issus de la diversité ) [b]et que les minorités sont surtout présentes dans les rôles passifs et principalement dans le domaine du sport [2].

Pourquoi est-ce problématique dans le monde du cinéma ?

Poster pour Crazy Rich Asians

Poster pour Crazy Rich Asians

Poster pour Black Panther

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans le monde du cinéma, on est face au même constat. En avril 2016 le mouvement #OscarSowhite est d’ailleurs lancé pour mettre en avant l’existence des acteur.rice.s non-blanc.he.s aux Oscars. Malgré les quelques avancées, notamment en 2018 avec Black Panther ( film mettant en avant la communauté noire) et Crazy Rich Asians[c][d] ( film mettant en avant la communauté asiatique), à Hollywood, le problème persiste encore. Chez nous aussi. En effet, dans les films, les Asiatiques ainsi que les Noir·e·s ou les Arabes incarnent généralement des seconds rôles empreints de stéréotypes grossiers [3] .

 

La vision des personnes racisées

La consommation d’images et de médias affecte notre vision de la réalité. Ainsi, ce que nous voyons à la télévision influence notre manière de voir les autres [4]. La manière dont un groupe ethnique est représenté peut créer des nouveaux préjugés.

De plus, en Europe, il y a peu ou pas de contact entre les différents groupes ethniques. Bien qu’ils coexistent, nous savons que les groupes ethniques ne se côtoient pas énormément. Forbes relaye que “des études démontrent que les audiences substituent la réalité par les stéréotypes qu’ils voient à l’écran quand ils n’ont pas d’interactions directes avec des groupes raciaux particuliers.[f][g] Par exemple, les stéréotypes des Latinos dans les médias peut entraîner les audiences à associer négativement l’immigration avec l’augmentation du chômage ou des crimes” [5]. Cette observation sur les Latinos peut facilement s’appliquer à la représentation des Noirs et des Arabes en Belgique et en France.

Le manque de diversité est également ressenti derrière l’écran. Les histoires et/ou expériences des minorités sont racontées par des ceux qui ne connaissent qu’une partie de leur vécu. Il y a alors un écart entre la réalité et son reflet à la télévision.

[…] pour ce qui est de la représentation des minorités à la télévision, la persistance des discriminations a pu être imputée tantôt aux institutions publiques qui n’exercent pas leur rôle coercitif, tantôt à la frilosité des patrons de chaînes, tantôt aux réticences supposées du public, tantôt aux écoles de journalisme dont le recrutement serait peu « ouvert à la diversité », etc. [6]

“Les médias, aujourd’hui aussi bien qu’il y a 50 ou 100 ans tendent à assimiler les étrangers, les immigrés, les réfugiés ou les minorités à un problème et s’y réfèrent par « eux » plutôt que comme une partie intégrante de « nous » ~T.A. Van Dijk [h][i]

 

L’impact de l’invisibilité médiatique sur les personnes racisées :

Le manque de diversité dans les médias affecte également la vision que les communautés racisées ont d’elles-même. Des études montrent par exemple que les jeunes racisé.e.s peuvent ressentir une baisse d’estime de soi [7]. Comment l’expliquer ? Se voir représenter dans diverses situations a un impact direct sur la manière dont on se positionne par rapport aux personnes de son environnement [8]. Un jeune qui voit une personne de sa complexion avec une histoire similaire à la sienne réussir dans le monde professionnel lui donne la sensation qu’il est capable d’atteindre un poste identique. Par exemple : être journaliste ou présentateur.trice télé.

 

Sources

[1] J. Rodier, “À la télévision, « la représentation des minorités ne se réduit pas à une question arithmétique” ”, disponible sur www.ina.fr, publiée le 29 novembre 2019.
[2]Association des journalistes professionnels, “ Etude de la diversité et de' l'égalité dans la presse quotidienne belge francophon” , disponnible sur www.csa.be
[3] C goffard, “ l’invisibilité des communautés asiatiques dans le cinéma occidental quel pouvoir a le cinéma sur notre imaginaire ? ”, disponible sur www.media-animation.be , publiée le 12 juin 2019.
[4] Nancy Wang Yuen, “Why is equal representation in media important”, disponible sur www.forbes.com, 22 mai 2019.
[5]Ibidem.
[6] M. Nayrac , "La question de la représentation des minorités dans les médias ou le champ médiatique comme révélateur d'enjeux sociopolitiques contemporains", Cahiers de l'Urmis, disponible sur www.journals.openedition.org, 13 octobre 2011.
[7] Nancy Wang Yuen, “Why is equal representation in media important”, disponible sur www.forbes.com, 22 mai 2019.
[8] Christophe André, “L’estime de soi”, Recherche en soins infirmiers, n°82, 2005/3, p. 27.