par racism-search | Juin 6, 2022 | Colonisation, History, Personnages, Uncategorized
Edmund Dene Morel
“Il ne s’agit donc pas de commerce. Le caoutchouc et l’ivoire sont échangés contre rien.” [1a]

LSE Library, c1905, Edmund Dene Morel (1873-1924) politician, IMAGELibrary, Flickr, accessed 01.01.2024 https://www.flickr.com/photos/lselibrary/6950307678
Edmond Morel, sous le nom complet de Georges Edmond Pierre Achille Morel Deville, naît le 10 Juillet 1873 à Paris d’une mère anglais et d’un père français, mort peu après [3]. En 1890, il part vivre à Liverpool. Il se lance dans le journalisme et rédige des articles sur le commerce avec l’Afrique. En 1897-98, son bilinguisme et sa connaissance du commerce avec l’Afrique lui valent d’être embauché par la compagnie maritime Elder Dempster (Liverpool) dont la filiale possède un monopole sur le commerce avec l’Etat indépendant du Congo. Il est alors un père de famille aux opinions conventionnelles, mais aussi un jeune homme d’affaires de 25 ans [1].
Morel commence toutefois à être troublé par les navires à vapeur de sa compagnie dans le port d’Anvers. D’une part, les navires en provenance du Congo arrivent plein à ras bord de caoutchouc et d’ivoire de grande valeur. D’autre part, lorsque ces navires retournent au Congo, ils n’ont pratiquement à bord que des officiers, des munitions et des armes à feu [1].
Peu à peu, il comprend avec horreur que cette iniquité ne peut que reposer sur l’exploitation des Congolais.
C’est ainsi que Morel lance le plus grand mouvement international pour les droits humains du XXe siècle [1].
En 1901, face aux tentatives de corruption et de censure de son patron, qui est par ailleurs consul honoraire de l’Etat indépendant du Congo, Morel décide de démissionner pour se consacrer à l’écriture afin de “faire de son mieux pour révéler et détruire (…) cette infamie généralisée”[2]. En 1903, il crée le journal West African Mail, principalement consacré à la question congolaise. Morel y écrit régulièrement des rapports précis sur la situation du Congo, si bien qu’il devient en peu de temps le plus grand journaliste d’investigation britannique de son temps. Il écrit dans le même temps dans les plus grands journaux anglais, français et belges. Il est reconnu pour ses écrits qui “allient une fureur contenue à une exactitude scrupuleuse” [1].
En mars 1904, il fonde avec Henry Grattan Guinness et Roger Casement la Congo Reform Association. Elle a pour but de défendre les intérêts et les droits des travailleurs de l’Etat indépendant du Congo. L’association veut dévoiler les abus et les actions des fonctionnaires blancs [4]. Au fur et à mesure, l’association prend de l’ampleur et a un impact non négligeable. De nombreuses personnalités se rallient à la cause, les grands écrivains Joseph Conrad, Mark Twain ou encore Arthur Conan Doyle par exemple [1]. En 1904, il publie “King’s Léopold Rule in Africa”, qui, ajouté aux autres enquêtes et pamphlets contre l’exploitation et la brutalité coloniale, font vivre à eux seuls la cause du Congo et accroissent la pression sur Léopold II. En 1905, tentant de les prendre de cours, Léopold demande un rapport sur la situation au Congo. Celui-ci, remis en 1905, confirme les dires de E.D. Morel et de ses associés de la Congo Reform Association. En 1907, il présente la situation au président américain Théodore Roosevelt. Des centaines de marches s’organisent alors aux Etats-Unis et encore davantage en Angleterre [1].
En 1908, après de longs mois de débat au Parlement, l’État belge accepte la proposition d’annexion du Congo faite par Léopold II. Entre 1909 et 1913, Morel essaye de réunir ses troupes pour que la propriété de leurs terres et de ses produits soient rendus aux Africains colonisés. C’est en fervent soutien du libre-échange qu’il poursuit dans cette voie en considérant que le commerce est impossible sans échange équitable. Son combat mettant trop en cause le système colonial, ses relais s’essoufflent peu à peu. En juin 1913, la dernière réunion de la Congo Reform Association prend place au Westminster Palace Hotel de Londres en présence de l’archevêque de Canterbury, d’explorateurs, missionnaires, rédacteurs en chef et membres du Parlement. “Je ne voudrais pas peindre le présent en rose. Il faudrait des générations pour guérir les blessures du Congo. Néanmoins […] les atrocités ont disparu […] Les revenus ne sont plus tiré du travail forcé ou de l’esclavage.” ~E.D. Morel
En effet, même si certains actes criminels tels que les kidnappings cessent, le taux de mortalité terrifiant existant sous Léopold II se maintiendra pendant une décennie encore [3]. De nombreux historiens estiment que la population congolaise a été divisée par deux au cours de ce processus.

Caricature de Leopold II de Belgique, enchevêtrant un extracteur de caoutchouc congolais (28.11.1906) – Linley Sambourne (1844-1910), « The Rubber Coils. Scene – The Congo ‘Free’ State » – Wikimedia Commons
Dès 1919, Morel joue un rôle majeur dans la campagne Black Shame. Cette campagne lutte contre l’envoi de troupes noires par l’armée française en Rhénanie durant l’après-guerre [4, 5].
Morel se présente comme un combattant pour les droits des Africains. Cependant, il pense que les Africains sont beaucoup plus primaires que les Européens. Dans sa vision rousseauiste du “Noble sauvage”, il considère que les Noirs sont dotés d’une sexualité incontrôlable [6]. Selon lui, les Africains n’atteindront jamais l’autodiscipline des Blancs et ils leur seront inférieurs.
Lorsque la France lance son opération de ‘civilisation’, mission permettant aux Africains de devenir techniquement français, Morel se révolte. Cette opération va à l’encontre de toutes ses croyances. Il accuse alors les troupes noires des viols qui ont lieu contre les femmes en Rhénanie. [7]
En décembre 1924, Morel meurt à 49 ans d’une crise cardiaque à Londres.
Sources
[1] Hochschild Adam, Les fantômes du Roi Léopold II: un holocauste oublié, Paris, Belfond, 2005.
[2] E.D., Morel, J, Stengers, W. R., Louis, E. D. Morel’s History of the Congo Reform Movement, Londres, Oxford University Press, 1969.
[3] Le Monde, “1904 : la Congo Reform Association stoppe le massacre”, Le Monde, Disponible en ligne: https://www.lemonde.fr/une-abonnes/article/2003/12/09/1904-la-congo-reform-association-stoppe-le-massacre_345247_3207.html, publié le 09/12/2003 (Consulté le 14/04/2021).
[4] ”Edmund Dene Morel”, Congo Forum, Disponible en ligne: https://www.congoforum.be/fr/2006/01/edmund-dene-morel/, publié le 23/01/2006 (Consulté le 14/04/2021).
[5] Peter Campbell, “Black Horror on the Rhine”: Idealism, Pacifism, and Racism in Feminism and the Left in the Aftermath of the First World War, Volume XLVII,, Disponible en ligne:
https://hssh.journals.yorku.ca/index.php/hssh/article/view/40354/36536, publié en 2014.
[6] Robert.C. Reinders, RACIALISM ON THE LEFT E.D. MOREL AND THE 'BLACK HORROR ON THE RHINE' , Disponible en ligne : https://www.cambridge.org/core/services/aop-cambridge-core/content/view/S0020859000000419 , consulé le 12/04/2021.
[7] Racialism on the Left E.D. Morel and the “Black Horror on the Rhine”, publié par Cambridge University Press , publié le 09 janvier 2013. Disponible en ligne:
https://www.cambridge.org/core/journals/international-review-of-social-history/article/racialism-on-the-left-ed-morel-and-the-black-horror-on-the-rhine/526496DF3C9361865EF88E197FB63656, consulté le 12/04/2021.
par racism-search | Juin 6, 2022 | Uncategorized
Albert Jacquard
Citation :” Ce qu’exprime le racisme est essentiellement mépris ; mépris envers telle personne justifié, non par ses caractéristiques, mais par son appartenance à un groupe : l’origine de ce mépris est une absence de confiance en soi ; son aboutissement est une destruction de soi-même.”
Bibliographie
Né le 23 décembre 1925 à Lyon, Albert Jacquard est un scientifique et humaniste mondialement connu pour ses ouvrages scientifiques et philosophiques [1].
Albert Jacquard est issu d’une famille catholique venant d’un milieu bourgeois. Sa vie paisible est marquée par un événement tragique lorsqu’il est victime d’un accident de voiture avec son jeune frère de 5 ans. Ce dernier décède et Albert se retrouve défiguré à seulement 9 ans.[2][5]
Élève brillant, Albert obtient plusieurs diplômes. Après un double baccalauréat en mathématiques et en philosophie en 1943, il obtient un diplôme d’ingénieur spécialisé dans les manufactures de l’État trois ans plus tard et un diplôme d’ingénieur d’organisation et de méthodes en 1948.[2][3]
Par la suite, il axe ses recherches sur la génétique et obtient son diplôme aux États-Unis en 1970 et son doctorat en 1973.[2] Entre 1983 et 1988, il est nommé membre du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé. [2]
À côté de sa passion pour les sciences, Albert Jacquard s’engage dans la lutte contre le sans-abrisme et le racisme[4]. Il devient président d’honneur de l’association Droit au Logement dans les années 90 et participe à l’occupation de l’Église Saint-Bernard en 1996 [1].
Sa lutte contre le racisme est notamment marquée par son travail d’expert à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), où il ne cesse de démontrer que les arguments prétendument scientifiques sur la théorie de la race ne sont pas fondés. Il est aussi témoin du procès du nazi Klaus Barbie pour crimes contre l’humanité en 1987 [4].
Il a, par ailleurs, signé de nombreuses études et participé à de nombreuses conférences dédiées aux thèmes de la science pour le développement durable, à la lutte contre le racisme et les inégalités organisés par l’UNESCO [6].
Dans son livre “Eloge de la différence. La génétique et les hommes”, Albert Jacquard témoigne encore de son intention de démonter le mythe de la race [6]. En effet, il était d’usage pour les scientifiques des siècles précédents de classer les hommes en les catégorisant par leur taux de mélanine. Ce classement était uniquement fondé sur l’apparence extérieure de l’humain et via un seul outil : les yeux. La génétique a montré que le plus important à étudier était la transmission entre les hommes : les gènes. Néanmoins, après observation, faire un classement génétique entre les “races” (groupes ethniques) relève de l’impossible [7].
Albert Jacquard meurt d’une leucémie en 2013, à l’âge de 87 ans. [2]
sources :
[1] France info, “Le généticien Albert Jacquard est mort à l’âge de 87 ans”, disponible sur www.francetvinfo.fr, publié 12 septembre 2013.
[2] Futura Santé, “Albert Jacquard-généticien”, disponible sur www.futura-science.com , consulté le 6 avril 2021.
[3] La Rédaction, “Albert Jacquard : biographie courte, ses livres et ses citations”, disponible sur www.linternaute.fr, publié le 23 octobre 2020.
[4] Challenge.fr, “Le généticien Albert Jacquard est mort à l’âge de 87 ans”, disponible sur www.challenge.fr, publié le 12 septembre 2019.
[5] Lemoine, L., “Albert Jacquard : “Le surhomme, c’est nous””, disponible sur www.psychologies.com , publié le 24 décembre 2013.
[6] UNESCO, “La Directrice générale de l’UNESCO rend hommage au grand généticien Albert Jacquard”, disponible sur www.fr.unesco.org, consulté le 6 avril 2021.
[7] “Albert Jacquard, les races”, disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=0nsiHwtNvpw&t=301s
par racism-search | Juin 6, 2022 | Articles, Discrimination, Droits, Legal Text For All
La discrimination à l’emploi
Introduction
Tu te poses des questions sur la discrimination à l’emploi plus précisément ?
Lors de son deuxième article, la team Legal Texts for All t’avait présenté les régimes légaux pour se protéger face au racisme en Belgique. Cette semaine, nous voulons attirer ton attention sur le cas spécifique de la discrimination à l’emploi.
Pour faciliter nos explications, nous allons nous baser sur un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, à savoir : l’affaire Feryn datant du 10 juillet 2008.
Faits de l’affaire
Une grande campagne publicitaire est organisée par une entreprise flamande spécialisée dans la pose de portes de garage. Le gérant de cette entreprise, Monsieur Feryn, déclare, lors d’une interview, ne pas pouvoir embaucher de personnes d’origine étrangère (il a pris l’exemple des marocains) sous prétexte d’exigences des clients qui ne veulent être servis que par des travailleurs d’origine belge. Ainsi, il déclarait notamment que :
« Je ne suis pas raciste mais je dois répondre aux exigences de mes clients. Je n’ai pas créé ce problème en Belgique et je dois faire tourner mon entreprise », « je ne suis pas raciste, c’est une logique économique ».
Sans surprise, il n’y avait pas de plaignants car peu de personnes d’origine marocaine auraient souhaité être traitées de la sorte pour de toute façon se voir essuyer un refus.
Par conséquent, le Centre pour l’égalité des chances (CECLR) a décidé de prendre cette affaire à bras le corps. La Cour du Travail de Bruxelles, saisie du dossier suite à la plainte déposée par le CECLR, va saisir la Cour européenne de Justice pour lui poser un certain nombre de questions préjudicielles.
Ces questions concernaient l’interprétation de la Directive européenne 2000/43 relative à la « mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique ».
Questions posées par la Cour du travail belge à la Cour européenne des droits de l’Homme
a) Des déclarations publiques peuvent-elles constituer une discrimination directe et démontrer une poursuite d’une politique d’embauche directement discriminatoire même en l’absence de plaignant ?
– Le fait qu’un employeur n’emploie pas de travailleurs d’origine étrangère fait-il naître une présomption de discrimination indirecte, notamment lorsqu’on sait qu’il a dû faire face à de grandes difficultés de recrutement de monteurs ?
– Compte tenu des faits du litige, une présomption de discrimination commise par l’employeur peut-elle être déduite de la seule embauche de travailleurs belges par une société liée à cet employeur ?
b) Quels sont les faits qui permettent de déterminer une situation de discrimination directe ou indirecte ? De quelle sévérité une juridiction nationale doit-elle faire preuve dans l’appréciation des faits ?
Conclusions de l’arrêt
La Cour précise que la société Feryn, en déclarant publiquement son intention de ne pas engager d’ouvriers d’origine étrangère, s’est rendue coupable de discrimination directe. De telles déclarations sont de nature à dissuader sérieusement certains candidats de déposer leur candidature et fait donc obstacle à leur accès au marché du travail.
De plus, la Cour estime que ces déclarations publiques indiquent également qu’une politique discriminatoire de recrutement a été menée. Ce faisant, il incombe donc à Monsieur Feryn de prouver qu’il n’y a pas eu de violation du principe de l’égalité de traitement, en apportant la preuve par exemple que la politique de recrutement dans la pratique ne correspond pas à ces déclarations publiques.
Enfin, la Cour ajoute que si le juge national constate une discrimination, il devra prendre des mesures effectives, proportionnées et dissuasives. Cela peut notamment prendre la forme de la publicité de la condamnation, de l’interdiction de continuer ce genre de pratiques discriminatoires ou encore par des dommages et intérêts.
Suite de l’affaire devant les juridictions belges
L’affaire Feryn a donc été renvoyée devant la Cour du Travail de Bruxelles pour prendre une décision sur le cas concret, prenant évidemment en compte les réponses fournies par la Cour de Justice de l’Union européenne.
La Cour du Travail de Bruxelles a estimé qu’il y avait bien eu discrimination envers une catégorie de travailleurs.
Concernant la sanction, elle ordonne la cessation de la discrimination ainsi que la publication de sa décision dans plusieurs quotidiens.
Enseignements à tirer
Voici les enseignements principaux que nous pouvons tirer de cette affaire :
1. On peut avoir une discrimination directe sans victime
2. Un seul fait suffit pour renverser la charge de la preuve même si très souvent il y en a plusieurs. Ici, en l’occurrence, le “seul fait”, ce sont les déclarations et c’est suffisant ! Même quand il n’y a pas de victime, des déclarations peuvent faire basculer la charge de la preuve et établir une apparence ou une présomption de discrimination. Ensuite, l’employeur va devoir prouver que sa procédure de recrutement n’était pas discriminatoire.
3. L’argument des besoins des clients ainsi que de la pérennité de l’entreprise n’est pas de nature à justifier de telles déclarations
– Dico juridique –
- Question préjudicielle : Procédure permettant aux juges nationaux d’interroger la Cour européenne de justice sur l’interprétation ou la validité du droit de l’Union européenne dans le cadre de l’affaire qu’ils doivent traiter.
- Cour de justice de l’Union européenne : Cette Cour est l’une des sept institutions de l’Union européenne, située à Luxembourg. Elle veille à la bonne application du droit de l’Union européenne et à l’uniformité de son interprétation sur le territoire de l’UE.
- Cour du travail : C’est la Cour qui traite, en appel, des affaires du tribunal du travail. Si un travailleur, un employeur ou un auditeur du travail (ou toute personne ayant été jugée par ce tribunal) fait appel d’une décision du tribunal du travail, elle se rend devant l’une des 5 Cours du travail de Belgique, dont l’une est située à Bruxelles. Au sein de ces Cours, il y a un juge professionnel et deux juges sociaux appartenant aux milieux patronal et syndical.
- Centre pour l’égalité des chances : C’est l’ancienne appellation de UNIA, le centre interfédéral pour l’égalité des chances et pour la lutte contre le racisme et les discriminations.
- Présomption : opinion ou projection fondée sur des apparences, ce qui équivaut à une supposition.
Sources :
* https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:62007CJ0054&from=FR (arrêt)
* https://www.unia.be/fr/articles/affaire-feryn-dire-que-lon-va-discriminer-cest-deja-discriminer-10-juillet-2008 (résumé intéressant)
* https://www.unia.be/fr/articles/affaire-feryn-le-role-du-monde-de-lentreprise (suite de l’arrêt devant les juridictions belges)
par racism-search | Juin 6, 2022 | Citations, Intersectionalité, Mini-Séries
« Il y a une grande agitation à propos des hommes de couleur qui obtiennent leurs droits , mais pas un mot sur les femmes de couleur ; et si les hommes de couleur obtiennent leurs droits, et non les femmes de couleur les leurs, vous voyez que les hommes de couleur seront maîtres des femmes, et il sera tout aussi mauvais qu’avant. »
Convention sur l’égalité des droits, New York, 1867
Sojourner Trhuth
Sojourner Truth (National Portrait Gallery/Wikimedia Commons/CC
Introduction
Dans l’article sur l’intersectionnalité du 21 mars, vous aurez probablement remarqué l’importance de Sojourner Truth dans les combats pour les droits civiques des femmes et des noirs en Amérique. Nous étions obligés de vous présenter aujourd’hui cette grande dame afin de clôturer en beauté le mois de mars qui honorait les Droits des Femmes.
Biographie
Née en 1797, Sojourner Truth est une pédagogue et oratrice. Il s’agit d’un personnage emblématique dans la lutte pour l’abolition de l’esclavage, pour le droit des femmes et les droits civils et contre le racisme[1] [2].
Noire américaine [a]durant la période esclavagiste, Isabella Baumfree naît esclave de parents capturés dans l’actuel Ghana et Guinée et est confrontée dès son plus jeune âge au racisme [1] [4]. A l’âge de 9 ans, elle est vendue au prix de 100$ à John Neely. [3] Elle subit des punitions violentes et est tenue d’effectuer des travaux pénibles [2]. Elle est revendue deux autres fois et finit à New York dans la famille Dumont.[3]
A ses 18 ans, elle tombe amoureuse de “John” un esclave de la ferme d’à côté. Étant impossible, à l’époque, de se marier avec un esclave d’un autre propriétaire, elle est forcée de se marier avec “celui” de Dumont, “Thomas”. [3] En 1815, elle a son premier enfant. Elle donne naissance à 5 enfants au total. [2] Son propriétaire Dumont lui promet de la libérer, mais change d’avis à la dernière minute. [3]
En 1826, elle s’enfuit avec sa fille afin d’être émancipée [b]et rejoint une famille abolitionniste qui a payé 20$ pour sa liberté. Cette famille va également l’aider à récupérer son fils, vendu à 5 ans comme esclave dans le sud du pays[2]. Elle poursuit en justice l’homme qui a vendu illégalement son enfant et obtient gain de cause. Il s’agit de l’une des premières fois qu’une femme noire obtient un jugement favorable contre un homme blanc devant les tribunaux des États-Unis. [4]
Un an plus tard, New York adopte une loi d’affranchissement des esclaves. L’année suivante, Truth s’y installe et travaille pour un pasteur [2].
Dès 1830, Truth devient oratrice. En 1843, elle se convertit au christianisme et se rebaptise sous le nom de Sojourner Truth [2][3]. Elle se donne pour mission d’enseigner ses idées sur le droit des femmes, leurs conditions serviles et l’abolition de l’esclavage.
Elle devient une pédagogue et oratrice reconnue bien qu’elle n’ait jamais appris à lire ou écrire. Elle fait également des discours pour l’organisation anti-esclavagiste créée par l’abolitionniste William Lloyd Garrison.[2]. Elle rencontre Frederick Douglass qui est un abolitionniste réputé. Néanmoins, Truth finit par mettre fin à son combat avec Douglass notamment en raison des divergences d’opinions[c]. En effet, Truth revendique un suffrage universel alors que Douglass considère qu’il est nécessaire de s’occuper du suffrage des hommes avant de s’inquiéter de celui des femmes.
En 1850, Olive Gilbert aide Sojourner Truth à écrire son autobiographie, The narrative of Sojourner Truth. Un an plus tard, entame une tournée de conférences portant principalement sur la condition des femmes et sur les inégalités raciales.
C’est à la Convention des Droits des Femmes en Ohio en 1851 qu’elle prend la parole et appuie sa situation de femme noire. Elle aborde pour la première fois implicitement le concept d’intersectionnalité. (N’hésite pas à aller lire l’article sur l’intersectionnalité pour en savoir d’avantage!) [3]
Quelques années plus tard, la Guerre de Sécession éclate dans tout le pays. Elle incite les jeunes hommes noirs à rejoindre la cause de l’Union. Elle use de sa réputation pour apporter de l’aide et du réconfort aux soldats afro-américains [1].
Son combat reprend après la Guerre. Elle lutte contre la ségrégation raciale, les conditions de travail lourdes et discriminatoires pour les Afro-américains et revendique les droits civiques pour tous. Elle s’implique dans le Freedmen’s Bureau qui aide les esclaves libérés à trouver un emploi. Elle commence une pétition, fin 1860, pour donner des terres aux anciens esclaves. Bien qu’elle reçoive un nombre important de signatures, le Congrès ne fait pas suite à sa demande [4].
Sojourner Truth décède en 1883. Son nom nous rappelle le courage dont elle a fait preuve, mais également sa lutte pour les droits des femmes et pour l’abolitionnisme [5].
Elle a marqué les femmes de son époque, mais également les femmes d’aujourd’hui.
SOURCES
[1] UNESCO, “Sojourner Truth - Biographie”, disponible sur www.unesco.org.
[2] Michals, D., “Sojourner Truth”, National Women’s History Museum, disponible sur www.womenshistory.org, publiée en 2015.
[3]History, “Sojourner Truth”, disponible sur https://www.history.com, publié le 29 octobre 2009.
[4] “Sojourner Truth Biography”, disponible sur www.biography.com, publié le 2 avril 2014.
[5] Magnus Crawford, “Sojourner Truth Biography”, disponible sur https://fr.swashvillage.org, sd.
par racism-search | Juin 6, 2022 | Articles, Colonisation, Intersectionalité
La condition des femmes noires dans le Congo colonial
29 Mars 2021
Les hommes sont les principaux acteurs, observateurs et transmetteurs de la colonisation. Les colons hommes, en effet, souvent jeunes et célibataires, en quête d’aventure sont les acteurs principaux de la période allant de 1909 à 1960, les conditions de maternité au Congo étant perçues comme dangereuses pour la femme belge*. Ainsi, à l’exception des missionnaires, peu de femmes décidèrent de s’installer dans la colonie, on dénombrait 1 femme pour 3 hommes (3) . Les jeunes hommes en quête d’exotisme pouvaient ainsi laisser libre cours à leurs fantasmes sexuels. L’objectification des femmes congolaises se fait alors à travers un prisme raciste et sexiste, auxquel s’ajoute le biais de la domination coloniale.
Durant le Congo léopoldien (1885-1909), les rapports entre homme colonisateur et femme colonisée sont mus par la brutalité des Européens et “le droit de cuissage du vainqueur” (3), comprenez des viols de masse. Cependant, avec le passage au Congo belge, et la pérennisation de la présence du pouvoir d’occupation, une représentation de la femme africaine est construite par les colons pour légitimer la domination, et catégoriser cet Autre racial et sexué, la femme congolaise.
*pour rappel, l’objectif central de la femme européene était de reproduire sa race
(1) En dessous de cette photo est écrit : Ménagère. C’est à dire une maîtresse, qui s’apparente à une esclave sexuelle. Prise en photo au milieu de la Nature, comme pour l’exotiser, elle porte un accordéon . Lorsqu’on était une femme pour les coloniaux on ne pouvait être que ménagère, polygame (ce qui signifie traditionnelle, pas forcément polygame) ou chrétienne, autrement dit européanisée et travaillant dans les métiers considérés comme féminins (puéricultrice, …).
Le corps socialisé
Femme laborieuse → femme exploitée
L’image de la femme congolaise retranscrite dans les textes coloniaux est associée à celle de la “bête de somme” (3). Le corps féminin doit se plier à la culture et ne lui appartient pas.
La femme n’a aucun contrôle sur son être.
Au sein du village, la Congolaise lamba doit assurer les activités considérées comme des “besognes serviles” par les Européens, physiquement éprouvantes pour une femme, telles que l’agriculture, la maternité, l’éducation, ou encore le commerce (3). A l’opposé, en fonction des ethnies, les hommes sont chargés de tâches dites nobles et périodiques comme la chasse, la guerre, la cueillette et la politique. Avant la colonisation , de nombreuses sociétés étaient matriarcales. (2)
Femme dotée → femme objet
Le jugement des colons des traditions matrimoniales congolaises influence négativement leur perception de la femme congolaise. Celle-ci deviendra à la fois monnaie et marchandise.
Dans les traditions congolaises, c’est le mari qui paie une dôt à la famille de sa femme. Le colon, habitué à ce que ce soit la femme qui soit donneuse de dot, voit cette dot masculine comme un achat, et le compare à la vente de bétail. Le statut de la femme africaine est réduit par le colon à celui d’objet marchand (3).
Or, il s’agit en réalité d’une compensation faite à la famille de sa femme qui perd une aide dans les travaux domestiques. De plus, par le mariage, le mari garantit sa lignée. (3)
La femme congolaise devient alors l’actrice centrale de la famille et la garante des moyens de subsistance du foyer (1;3). Cette structuration familiale dans le monde occidental, où l’homme doit apporter de quoi vivre à la femme, n’est pas comprise. Elle est interprétée comme une forme d’exploitation de la femme par les colons.
Bien que le système soit bien pensé, il peut y avoir des dérives. Ainsi, les filles de familles avides peuvent être mariées dès leur enfance à celui offrant la plus grosse somme. Aussi, ce qui était considéré, en Europe, comme détournement de mineur avait cours dans les colonies. Cet écart à la loi métropolitaine convenait très bien au colon. Le corps de la femme congolaise est en effet perçu comme étant mis à la disposition de l’homme, et cela peu imoporte son âge.
Femme nue → femme exhibée
Les différences vestimentaires entre les pays africains et occidentaux entraînent un choc psychologique chez les colons. L’accès au corps féminin en Occident est extrêmement codifié, tandis qu’en Afrique la nudité n’est pas perçue comme dégradante ou pornographique. Les parures “vestimentaires” et les ornements traditionnels des colonisées sont très codifiés. Suivant les ethnies, si un détail n’est pas arboré, cela est jugé comme un attentat à la pudeur. (3)
A cette époque, en Europe, la simple vue du mollet représente de la sexualité. Or l’Européen en colonie se retrouve là face à une nudité, quelque fois intégrale. Cette nudité apparente va devenir un facteur de l’objectification et de la stéréotypisation du corps de la femme noire par l’homme blanc (3). Le colon rencontre une nudité nouvelle sur ce lieu de fantasme, ce lieu tabou.
Le tatouage, contrairement à la coutume occidentale, est placé au centre de l’élégance noire. Plutôt qu’un tatouage tel qu’il est pratiqué en Europe, c’est en fait un art ornemental basé sur la cicatrisation, parfois accompagné d’une mise en relief (boursouflure de la peau). Pour la plupart des femmes congolaises, l’art de la parure (colliers, bracelets de poignet et de cheville en laiton, ceintures cache-sexe) n’est supplanté que par l’influence du vêtement européen.
La majorité des coloniaux belges associent l’absence de vêtements à une absence de pudeur de la femme noire. Cela devient, pour eux, une preuve de proximité avec le monde animal. Et cela vient donc justifier leur idéologie de civilisation des sociétés « retardées » africaines.
Pour les hommes africains, le nu n’éveillait aucune idée malséante. Au contact des Européens, les femmes congolaises s’habillent pour éviter les regards et les agressions de ces derniers. Cela modifiera, jusqu’à aujourd’hui, la perception de la nudité au Congo. Ainsi, le pagne-robe se popularise dans les zones de forte présence européenne.
Le corps sexualisé
Corps conquis
La réduction des femmes noires est un moyen supplémentaire pour le discours du colonial, d’insinuer la supériorité de l’homme blanc et la sujétion des Africain·e·s (5).
Elle s’est en premier lieu faite par des viols, des kidnappings et des humiliations qui permettent de détruire la structure sociale des familles congolaises basées sur les liens de sang (2). Aussi, le corps, le ventre des femmes noires symbolisent le « butin de guerre » dont s’emparent, comme la terre, les colons. Les colonisateurs belges envoient ainsi un message de domination masculiniste aux hommes congolais (1;2).
Ce rapport colonial à la femme est resté, notamment par la pratique du viol et des mutilations génitales par les milices sévissant dans l’Est de la RDC, comme arme de guerre (2). Le travail mené par le Prix Nobel de la Paix, Denis Mukwege, gynécologue, appelé “réparateur de femmes”, n’est que la part émergée de cet héritage.(5)
Ainsi, les concubinages entre colons et femmes congolaises s’inscrivent davantage dans une idée de prise de possession. Par conséquent, ces corps conquis ont pour première vocation le plaisir sexuel du colonisateur. La femme noire renvoyant à une métaphore de la colonisation du continent africain (3). Dans ce rapport, les femmes symbolisent une forme de soumission, ou à l’inverse, une résistance à la “virilité du conquérant” que l’on retrouve encore aujourd’hui dans les récits représentant les femmes noires.
En l’absence de femmes blanches, la femme noire devient un choix par défaut. E.Picard, bourgeois belge, illustre cette perception raciste et normée du colonial (1909) : ”Dans les premiers mois, paraît-il, la répugnance est vive. L’odeur, la teinte, la physionomie indéchiffrable sous les ténèbres du derme, l’aspect vulvaire et sanguinolent de la bouche malgré la splendeur de la denture, apaisent les velléités masculines. Mais peu à peu on s’accoutume, comme à un bal masqué, à ne plus demander le décisif attrait au visage, miroir souvent menteur de l’âme, ici dissimulé sous la suie.” (3)
La sexualité “entre races” devient d’ailleurs pour les coloniaux une sorte de rite de passage, séparant le statut de métropolitain influencé par la propagande officielle, de celui du colonial libertin. Ainsi, dans une fiction de Robert Norjen (1922), un nouvel arrivant entend d’un colon plus âgé s’exclamer “Qui n’a pas déjà goûté de la n*******”.(3)

Sexe, race et colonies (4)
Toutefois, on remarque une oscillation entre dégoût et fascination pour les femmes noires. Leur cheveux en est un exemple. Les cheveux des femmes burundaises, congolaises et rwandaises sont décrits par la propagande à la fois comme sale, et comme des merveilles de la création humaines, en comparaison des coiffures strictes et peu expressive des Européennes. (1)
Le regard déformant du Blanc
Les Belges placent le corps des femmes congolaises au centre de leurs fantasmes et plaisirs sexuels. A leurs yeux, leurs corps, leurs rites féminins destinés à la procréation, constituent une invitation sexuelle.
Les standards de la beauté, calqués sur le modèle des femmes européennes, restent dominants dans l’inconscient des hommes blancs. Par conséquent, les regards des ces derniers sont fortement influencés par l’ethnie. Les femmes des ethnies aux tatouages les plus discrets, comme les Mangbetu par exemple, sont ainsi comparées à des “reines de Saba” et des grandes courtisanes par les colons. Ceux-ci construisent de cette façon une esthétique africaine, fétichisée par le regard européen (1;3).
À l’inverse, la pratique du tatouage intégral apparaît comme monstrueuse, car elles s’éloigne trop de l’image de la beauté qu’ontt les colons. Cette répulsion est retranscrite dans les écrits coloniaux, dans lesquels les termes associés au corps de la femme congolaise ont en majorité une connotation animalière.
Conclusion
“Il y a eu une culture de l’impunité face aux violences sexuelles durant la colonisation. Les territoires coloniaux sont des territoires d’opportunisme sexuel pour les colonisateurs” – Pascal Blanchard. (6)
Cette interprétation limitative de la féminité noire, construite par la colonisation, a fortement influencé ses représentations, et la manière dont elle est vécue.
Considérées comme des femmes “ sauvages ”, “dociles” et “ exotiques “, les femmes africaines et afro-descendantes souffrent toujours du fétichisme et de l’hypersexualisation.
Il est donc essentiel, en creusant cet héritage pervers, de comprendre les stéréotypes hérités pour les déconstruire. Il est primordial de permettre aux femmes afro-descendantes d’exprimer leur féminité dans toute leur diversité, leur historicité, dans toutes leurs complexités.
Sources
(1) Truddau, J. (2020) Les Femmes, La Colonisation, et ce qu’il en reste…, RTBF. Available at: https://www.rtbf.be/info/dossier/les-grenades/detail_les-femmes-la-colonisation-et-ce-qu-il-en-reste-une-chronique-de-julien-truddaiu?id=10527346.
(2) République Democratique Du Congo: les femmes comme arme de guerre, Le Journal International, available at: http://www.lejournalinternational.info/republique-democratique-du-congo-les-femmes-comme-arme-de-guerre
(3) Colonisation au masculin et mise en corps de la féminité noire : le cas de l’ancien Congo Belge, Lissia Jeurissen, 2003
(4) Parent, S. (2019) Images de la domination sexuelle à l’époque de la colonisation, RCI. Available at: https://www.rcinet.ca/fr/2019/02/14/sexe-race-et-colonies-la-colonisation-des-noirs-et-leur-domination-sexuelle-par-des-blancs/.
(5) Woestyne, F.V. de (2018) Dr Denis Mukwege: ‘La guerre du congo est une guerre économique qui se fait contre le corps des femmes’, La Libre.be. Available at: https://www.lalibre.be/debats/opinions/dr-denis-mukwege-la-guerre-du-congo-est-une-guerre-economique-qui-se-fait-contre-le-corps-des-femmes-5ba51f9dcd70a16d80f7c64a.
(6) Wernaers. C., “ Colonisation: aux origines de l’hypersexualisation des femmes noires”,disponible sur www.rtbf.be, publié le 04 juillet 2020
(7) SARR, Fatou. Féminismes en Afrique occidentale ? Prise de conscience et luttes politiques et sociales In : Vents d’Est, vents d’Ouest : Mouvements de femmes et féminismes anticoloniaux [en ligne]. Genève : Graduate Institute Publications, 2009 (généré le 09 janvier 2024). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/iheid/6308>. ISBN : 978-2-940503-82-7. DOI : https://doi.org/10.4000/books.iheid.6308.