Les stéréotypes liés aux femmes

Les stéréotypes liés aux femmes

Les stéréotypes liés aux femmes 

 

Introduction 

Lors de notre premier post sur les préjugés, nous avons abordé les préjugés comportementaux ainsi que physiques. Ce deuxième article sera dédiée aux stéréotypes liés aux femmes racisées. 

Les femmes issues des minorités subissent une double disrimination à cause de leur genre et de leur soi-disante race. Il est donc important, dans un premier temps, de se focaliser sur les différentes discriminations qu’elles subissent; et puis dans un second temps, d’introduire celle-ci dans le concept plus global d’intersectionnalité, que nous aborderons au courant du mois de mars.  Nous avons relevé et analysé un préjugé sur les femmes de la communauté asiatique, maghrébine ainsi que de la communauté noire.

La femme asiatique fétichisée

Les préjugés de soumission et de docilité qui entourent les femmes asiatiques nous viennent de la colonisation. A cette époque, les femmes sont mises en parallèle avec les colonies vulnérables qu’il faut conquérir et soumettre tandis que  l’homme blanc est perçu comme l’Occident conquérant. En effet, l’Orient était représenté comme un territoire sexuel, mystique et exotique [1]

Poster de Madame Butterfly par Daniel Fromman

 A l’heure actuelle, la femme asiatique est encore vue comme une “ femme-enfant”, androgyne, impassible et  insondable [2].

«C’est la façon dont le corps est formé, la couleur de la peau… C’est tellement différent ” ~extrait de la série de court métrage “ They’re all so beautiful”.

Dans l’imaginaire générale, on pense que derrière leur côté intelligent et discret ( préjugés analysés  lors de notre premier article), les femmes asiatiques sont en réalité des prédatrices sexuelles qui cachent bien leur jeu. Tous ces clichés sont tels qu’aux Etats-Unis on appelle ça la “yellow fever”. Concrètement, ce concept désigne un “fétichisme raciste” qui instaure une impression d’homogénéité entre les femmes asiatiques, mais aussi une différenciation par rapport à la femme blanche occidentale [3]. 

“C’est marrant, tu cries comme une Asiatique au lit.”  ~Témoignage de Lucy Lam

S’ajoutent à cela les images péjoratives découlant des vidéos pornographiques mais aussi de la représentation de ces dernières à la télévision ou dans le monde du cinéma où elles sont souvent associées à des rôles de masseuses ou de prostituées. De plus, plusieurs films sur les geïshas du Japon ou sur la guerre du Vietnam, ou encore des mangas reléguent la femme asiatique au rang d’objet sexuel [3] [4].

C’est pour lutter contre ces préjugés et d’autres encore que des magazines tel que KOÏ ou encore des comptes instagram tel que Sororasie ont vu le jour et se battent pour mettre en avant les cultures asiatiques (qui sont, rappelons-le, différentes les unes des autres)  ainsi que la vision de la femme asiatique comme personne individuelle et loin des clichés dégradants que nous transportons depuis des siècles.

 

La femme voilée soumise

Les femmes voilées sont souvent le sujet de nombreuses critiques, qui émergent à la suite d’un manque d’intérêt, une peur de l’inconnu et une influence des  schémas de pensée et jugements que les pays occidentaux projettent sur la religion islamique.

 La critique majeure à l’encontre du voile est la suivante : une femme voilée n’est pas libre de son choix. Elle est forcée de porter le foulard et soumise à son mari ou à sa famille [5]. Le port du voile est perçu comme un refus d’intégration [6]. Ce préjugé permet aux personnes racistes et xénophobes de critiquer ouvertement les personnes étrangères en instiguant, au sein de la société, une crainte à l’égard de l’Islam. Pour ces derniers, le port du voile est le premier pas vers une islamisation globale. 

Or,  «pour qu’une pratique persiste voire se répande, il faut de façon générale qu’elle trouve appui d’équipe la socialisation de la population concernée. […] Il n’est dès lors pas étonnant que les cas de port véritablement contraint du voile soient relativement rares, et souvent dénoncés par celles qui, voilées et pratiquantes, entendent faire du port du hijab un acte volontaire, conscient, réfléchi, pieux», Julien Beaugé [7]

Avec l’évolution des sociétés, il y a également eu un développement de la conception du port du voile.  Aujourd’hui, le port du voile est souvent un choix délibéré de la femme et non un ordre qu’elle doit exécuter. Les cas de coercition au port du voile sont une réalité que nous ne pouvons pas nier mais, contrairement à l’image perpétuée dans les réseaux médiatiques, ces cas restent particulièrement minimes [7]. 

Michael Starkie, 2021, An Egyptian girl poses in a veil for a photo, Unsplash, accessed on 02.02.2024, https://unsplash.com/photos/a-black-and-white-photo-of-a-woman-with-long-hair-_DKBBl7oYy0

 “de nombreuses études qualitatives de chercheurs, portant sur des dizaines ou des centaines de femmes, dessinent  une réponse bien plus nuancée que ce que laissent sous-entendre les discours politiques: […] s’il y a bien des cas de femmes sur lesquelles on a exercé des pressions verbales ou physiques très fortes, ils sont tout à fait minoritaires.” [7] 

 «Toutes les femmes que j’ai rencontrées n’avaient pas été forcées, je n’ai jamais rencontré de ma vie une femme forcée à porter le voile.» ~ témoignage d’Agnès De Feo, chercheuse en sciences sociales qui a interviewé 300 femmes (portant le voile, le niqab ou le djilbeb) [7]

 

La femme noire agressive

Sujette au racisme et au sexisme, la femme noire (étant femme ET noire) est assignée à plusieurs stéréotypes dont celui d’être agressive, dominante et forte. Le “angry black woman” associe la femme noire à une personne mal élevée, en colère, hostile. D’où vient cette image véhiculée? 

1) Le terme de “femmes agressives” renvoie directement à l’image des pays colonisateurs sur l’Afrique. Cette “race” (terme utilisé à l’époque) découverte était considérée comme plus proche du singe, de l’animal que de l’humain . Cette conception, bien que disparue officiellement, persiste et continue à  catégoriser les “Noirs” comme dangereux et violents

2) Cette représentation collective populaire a émergé depuis plus de 50 ans et est alimentée par différents médias. Dès les années 30’, une émission radio populaire américaine nommée Amos ’n’ Andy semble avoir été un départ au stéréotype “angry black woman”. Sapphire est LE personnage féminin important de cette comédie. C’est une femme noire têtue, hystérique et dominant son mari[8] [9]. Suite à cette série qui a duré un peu plus de 30 ans, la “femme noire” a endossé ce rôle de femme colérique et effrontée. La diffusion de ce récit raciste a incité les auditeurs à dégrader l’image qu’ils se faisaient de la femme noire sous couvert d’un comique de situation. Aujourd’hui encore, cette représentation se perpétue et reste dans l’ imaginaire collectif.

My personality, emotions and experiences will always be my own and I refuse to live shackled by a persona created by people who never took the time to ask themselves why.” ~ Delta B.Mackenzie [10]

Un stéréotype, qui peut paraître “anodin” et lointain, est pourtant perceptible au quotidien et, en plus d’être blessant, cause des effets collatéraux. En effet, pour échapper à cette représentation faussée, les femmes noires et racisées ont tendance à réprimer leurs expressions et émotions. Le silence s’installant, cette attitude nocive peut avoir des conséquences lourdes sur la santé psychique. N’est-ce pas “dépouiller ces femmes de sentiments et d’humanité” ? (Asare, 2019) [11].

 

Sources

[1] C.Joubert,  “Les femmes chinoises aux Etats-unis au XXème siècle: entre racisme et sexisme, la création d’un stéréotype orientaliste érotisé”, diponible sur www.lesoursesàplumes.info, consulté le 5 février 2021
[2] L.Rezzoug, “ la femme asiatique, fantasme et cliché sexiste”,  disponnible sur www.lexpress.fr, publié le 09/02/2019. 
[3] C.Pouré, “La Yellow Fever n’est rien d’autre qu’un fétichisme raciste”, disponnible sur www.vice.com, publié le 05/07/2018.
[4] P. Verduzier, “Le problème avec les hommes qui n’aiment que les femmes asiatiques”, disponible sur www.slate.fr, publié le 17 janvier 2019. 
[5] E. Jovelin, « Sociologie de la femme voilée. Du voile hérité au voile révélé », Pensée plurielle, 2009/2 (n°21), p. 114.
[6] F. Gaspard, F. Khosrakhavar, Le foulard et la République, La Découverte, Paris, 1995, p. 34
[7] A. Lorriaux, "Les femmes voilées sont-elles forcées à porter le voile, comme on l’entend dire ?”, disponible sur www.slate.fr, 30 septembre 2016.
[8] “3 stéréotypes raciaux sur les femmes noires qui doivent cesser”, disponible sur  https://topafro.com/, publié en mars 2020.
[9] C. Robert-Motta, “Entre clichés et invisibilité les femmes noires toujours mal représentées dans les médias”, disponible sur 
https://www.lesinrocks.com, publié le 19/4/2019
[10] D. Mackenzie, “The Angry Blakc Woman and the trauma the stereotype has caused”, disponible sur https://medium.com/, publié le 7/2/2020
[11]  J.G. Assre, “ Overcoming the Angry Black Woman stereotype”, disponible sur https://www.forbes.com, publié le 31/5/2019


Les Préjugés Physiques et Comportementaux

Les Préjugés Physiques et Comportementaux

Les Préjugés Physiques et Comportementaux

Au cours de leur vie, les personnes racisées sont confrontées à un nombre étonnamment important de préjugés, tant dans leur vie privée que dans leur vie professionnelle. Les expériences semblables que ces communautés vivent nous ont amenées à nous intéresser à ces diverses conceptions et à essayer de déconstruire certaines idées préconçues et fausses.

Ces réactions primaires sont souvent le reflet d’un manque de connaissance des choses de l’autre, d’une peur et d’une volonté de trouver des réponses simplistes à leurs angoisses (A.S. travailleuse sociale [1]) 

Dans notre premier article consacré à ce sujet, nous abordons les préjugés physiques et comportementaux. Ces préjugés qui reviennent à cette fameuse phrase “ils sont tous les mêmes”.

1. LES NOIRS SONT BÊTES, PARESSEUX ET MOINS CIVILISÉS

Quand on parle d’une personne noire, les stéréotypes qui reviennent le plus souvent sur la table tiennent au fait que l’Homme Noir serait   “plus bête”, “plus paresseux“ et  “moins civilisé” [2].

La raison historique d’une telle conception de l’Homme noir remonte à la colonisation, période durant laquelle les colons justifiaient leur arrivée en Afrique comme un moyen de diffuser leur savoir et leur développement sociétal  à des Africains qui, selon eux, manquaient de connaissances et de techniques alors qu’ils vivaient sur des ressources importantes (comme l’or, le pétrole, les minéraux, etc.) [3]. Nous avons d’ailleurs déjà tous entendus des “blagues” comparant les personnes noires à des singes, rabaissant ainsi inconsciemment ou consciemment les capacités intellectuelles de l’Homme noir à celles d’un animal et renforçant ce préjugé selon lequel le Noir est moins civilisé [4]. 

Ce préjugé a notamment un impact direct sur l’emploi et le logement. En effet, une personne noire se trouvera confrontée à davantage de difficultés pour trouver du travail, et ce malgré ses qualifications [5]. Même une fois embauchée, elle peut continuer à subir un traitement plus sévère que ses collègues [6]. Dans la quête d’un logement, de nombreux témoignages démontrent que les noirs sont confrontés à des refus car ils sont considérés comme trop bruyants ou inappropriés [7].

2. LES ARABES SONT DES TERRORISTES

Concernant la communauté maghrébine, les mêmes types de préjugés reviennent. Ils sont décrits comme étant des “ menaces”, voulant uniquement vivre avec leur communauté, ils ne s’intégreraient pas et seraient fainéants [8]. 

En plus d’être très souvent considérés commes des voleurs [9], les personnes maghrébines sont largement assimilés à des “poseurs de bombes” dès qu’elles ont de la barbe ou pratiquent la religion musulmane. Davantage encore depuis les derniers attentats, non seulement Islam et arabes sont automatiquement assimilés mais Islam et terrorisme le sont également. On ne différencie plus l’ethnie, la culture, et la religion [10].

On assimile  aussi la femme voilée au danger. Sous couvert de l’excuse selon laquelle le port du voile serait synonyme d’oppression et ne serait pas le fruit du choix de la femme, le voile devient une réprésentation de la religion musulmane extrémiste et du terrorisme [10] (Nous ferons un prochain post sur le sujet du port du voile).

3. LES ASIATIQUES SONT PLUS INTELLIGENTS  

La communauté asiatique souffre de certains préjugés qui, si d’un premier abord, ne semblent pas péjoratifs, invalident, en réalité, les expériences personnelles des individus dans cette communauté. 

.Vous n’êtes pas sans savoir qu’il est souvent fait référence aux asiatiques comme étant des gens intelligents, surdoués ou encore comme des génies comparés au reste de la population. Ce stéréotype est d’ailleurs constamment représenté à la télévision; Les asiatiques sont en effet souvent repris dans des rôles de premiers de classe, de docteurs, d’informaticiens, etc. [11]. 

4. LES FEMMES ASIATIQUES SONT PETITES ET MINCES

Un stéréotype redondant à notre époque demeure celui du physique de la femme asiatique. La communauté asiatique semble souvent être considérée comme une homogénéité : ils sont tous Chinois, ils seraient censés avoir des traits de visage, un style vestimentaire ou un physique similaires. Or, en réalité, comme dans toute communauté, les individus sont caractérisés par des attributs différents et singuliers. Il est très réducteur de sous-entendre que toutes les femmes asiatiques doivent avoir un certain physique car cela revient à ostraciser la majorité des femmes asiatiques. La représentation de la femme asiatique est d’ailleurs un combat poursuivi aujourd’hui à travers les réseaux sociaux [12]. 

Cet article t’as plu ? Suis nos prochains posts sur les Préjugés pour en apprendre plus!

Bibliographie 

[1] Hamel Puissant, Résurgence d’un racisme invisibilisé : le racisme anti-asiatique n’a pas été fabriqué à Wuhan”, disponible sur https://www.gaucheanticapitaliste.org, 16 avril 2020. 

[2] Unia, “ discrimination envers les personnes d’origine subaharienne : un passé colonial qui laisse des traces”, disponnible sur www.unia.be, mai 201,  p.7.

[3] A. Billat, T.Baffou, C. Rey, S. Naanani  et  L.Chaudier,  “ les préjugés sur les noirs et les arabes révèlent ils de la science?”,  disponible sur www.cortecs.org,  consulté le 28 novembre 2020, p. 9.

[4] Des exemples dans ces articles : https://www.franceinter.fr/emissions/l-edito-m/l-edito-m-29-aout-2019, https://www.francetvinfo.fr/culture/mode/le-singe-le-plus-cool-de-la-jungle-hm-retire-une-publicite-jugee-raciste_2551373.html

[5] A. Billat, T.Baffou, C. Rey, S. Naanani  et  L.Chaudier,  “ les préjugés sur les noirs et les arabes révèlent ils de la science?”,  disponible sur www.cortecs.org,  consulté le 28 novembre 2020, p.5.

[6] Ibidem.

[7] Unia, op.cit, p. 9.

[8] Ibidem, p.7.

[9] Des exemples dans ces articles : 

https://www.europe1.fr/societe/idir-31-ans-victime-de-prejuges-racistes-en-general-je-ne-dis-rien-mais-parfois-je-perds-patience-3914402

https://www.lesinrocks.com/2015/03/31/cinema/actualite/rachid-le-voleur-et-mamadou-le-comique-une-annonce-pour-reveler-les-cliches-raciaux-du-cinema-francais/

[10] M. Damge, W. Audureau, S. Laurent et M. Zerrouky, “ cinq idées reçues sur l’islam et le terrorisme”,  disponnible sur www.lemonde.fr,  publié le  24 novembre 2015.

[11] A . Billat, T. Baffou, C. Rey, S. Naanani et L. Chaudier, op.cit, p.7. 

[12] X, “Stéréotype basé sur la nationalité; Asiatique, disponible sur https://strotypesetprjugs.wordpress.com, consulté le 29 novembre 2020.

 

 

Stanley,  Les Prémices de la Colonisation

Stanley, Les Prémices de la Colonisation

Stanley, Les Prémices de la Colonisation

POUR COMMENCER …

La  colonisation du Congo commence en 1867. La prise de possession par le Roi Léopold II ne se fait qu’en 1885 (Année où il se proclame roi de l’Etat indépendant du Congo). Avant cette annexion du Congo à la Belgique, la colonisation commence sous les pas de Henry Morton Stanley.  Personnage ambivalent, il est le premier européen explorateur à avoir traversé le fleuve Congo. Il pose les bases de la colonisation belge au Congo et est responsable de plusieurs crimes de masse [2].

Le journaliste et explorateur britannique, Henry Morton Stanley, a joué un rôle essentiel dans les débuts de la colonisation du Congo. Vers la moitié du XIXe siècle, les intellectuels européens s’intéressent à la cartographie d’un continent vu comme mystérieux : l’Afrique.  L’explorateur mène deux voyages. Le premier en 1873 à la demande du journal le New York Herald, où il part  à la recherche d’un explorateur anglais porté disparu, Mr.Livingstone (6). Cette première expérience du continent le mène à être financé par deux journaux : le Daily Telegraph et le New York Herald, afin de cartographier les grandes rivières et lacs d’Afrique équatoriale. Ses écrits suscitent un grand enthousiasme, en Europe ils seront traduit en huit langues (Danois, Suédois, Italien, Français, Portugais  et Espagnol) .

LEOPOLD II

Léopold est lui aussi un fidèle lecteur des fameux périples de Stanley. Il imaginait que ce vaste territoire à peine exploré pouvait devenir un jour la colonie dont il avait toujours rêvé. Pour cela, il envoie deux délégués, le baron Jules Greindl et le général Henry Shelton Sanford, requérir ses services. Stanley refuse d’abord, espérant travailler pour l’Angleterre ou les États-Unis, mais ni l’un ni l’autre ne souhaitent s’engager étant trop préoccupés par leur crises intérieures. Il accepte finalement la proposition de Léopold II, et les deux hommes se rencontrent pour la première fois en juin 1878. Un accord est alors signé. En cinq ans, Stanley doit acquérir le Congo en créant diverses implantations dans le bas Congo (région proche de la côte Atlantique)  et ensuite dans le Pool (lac Pool Malebo actuel près de Kinshasa). Il doit aussi faire reconnaître aux chefs du territoire congolais la souveraineté belge. Léopold lui fournira des financements et s’occupera de la stratégie [1]. 

Colonisation Et Implantations

Pour fonder ces implantations, il passe des traités avec de nombreux chefs congolais autorisant la location de leurs parcelles de terres en contrepartie de marchandises telles que du gin, des étoffes ou des couteaux notamment. Au début, ces négociations pouvaient durer des journées entières, pour aboutir à un accord plus ou moins juste. Quand les manœuvres ne fonctionnaient pas, il tuait le chef et négociait avec son successeur. Si l’opposition se fait plus générale, il n’hésite pas à recourir à la violence extrême, en faisant l’utilisation d’armes industrielles contre les villageois voire même brûler des villages entiers. Il écrira« nous avons attaqué et détruit vingt-huit grandes villes et trois ou quatre villages »Une autre de ces méthodes consistait à  provoquer des guerres pour affaiblir les États et pouvoir négocier à son avantage.

En 1882, quand Léopold voit que d’autres puissances européennes comme le Portugal ou l’Allemagne se lancent dans cette même quête d’achat de parcelles, il se lasse et presse Stanley.  À présent, son envoyé doit obtenir des régions entières plus rapidement. Le roi déclare “la lecture des traités conclus par Stanley avec les chefs ne me satisfait pas. Il faut y ajouter au moins un article portant qu’ils nous délèguent leur droits souverains sur le territoire (…) Il faut que dans un article ou deux ils nous accordent tout” (5). En moins de 4 ans, 400 traités furent signés, bien entendu ceux-ci étaient rédigés en anglais ou en français, des langues incompréhensibles pour les chefs. La signature de ces traités se résume pour les indigènes à dessiner une croix au bas d’une feuille pleine de symboles qui leur étaient inconnus. A chaque fois qu’un traité sera signé, un drapeau bleu foncé orné d’une étoile jaune sur le milieu flottera par dessus le village (le bleu représentant l’obscurité dans la quels ils se trouvaient et le jaune la lumière de la civisation) [1].

Il est difficile d’évaluer l’étendue des violences perpétrées par Stanley car elles n’ont pas été répertoriées précisément. En effet, il était le seul à établir la documentation pendant ses expéditions. Il avouera quand même à plusieurs reprises ses actes d’extrême violence. .  De plus, de nombreuses sources l’accusent de massacres impunément sur des villages entiers [5]. En tant qu’anglais, ses objectifs sont plus marchands que nationalistes. Son but premier est de favoriser le libre-échange pour les puissances européennes, plus que de garantir la souveraineté du roi belge. Pour vanter les possibilités de la colonisation, il présente  les habitants du bassin comme un nouveau marché “de 40 millions de personnes nues à vêtir avec du coton de Manchester”, ce qui est fauxConformément à son pacte avec le roi, il “sécurise” et balise l’accès à l’intérieur des terres congolaises pour y favoriser le commerce, non sans brutalité. Il fait construire des comptoirs commerciaux pour faciliter les voyages en bateau à vapeur. Le fleuve Congo n’étant pas praticable en raison d’immenses chutes d’eau; il exploite des “porteurs” enrôlés de force pour acheminer le matériel de Boma sur la côte Atlantique à Stanley Pool, (actuel Kinshasa). Ces porteurs mourront par centaines [3].

POUR CONCLURE…

Les Congolais l’appelleront “Bula Matari”, en français : le casseur de pierres. Cela rappelle l’usage de la dynamite qu’il utilisait et sa brutalité envers  la population locale. Ce nom lui viendrait aussi du chemin de fer qu’il avait fait construire pour remplacer les trajets qui étaient  jusque-là effectués par des porteurs. Cette construction  se révélera extrêmement meurtrière.  Certains estiment le nombre de morts à un par traverse (pièce de bois placée en travers de la voie pour maintenir l’écartement des rails) [4].

Stanley n’était pas un exécutant fiable pour Léopold II. Il décide alors de ne pas renouveler son contrat avec ce dernier qui s’attendait pourtant à être nommé gouverneur du nouvel État indépendant du Congo en 1885. Ce sera un autre anglais, Francis de Winton qui sera nommé à sa place.(6)

Les excès de violence de Stanley et de ses hommes de main marqueront durablement la région. Un héritage sanglant qui marquera la nouvelle colonie au fer rouge.

BIBLIOGRAPHIE

[1] Congo, une histoire – David Van Reybrouck

[2] Les fantômes du roi Léopold – Adam Hochschild

[3] https://comptoir.org/2014/10/08/le-congo-belge-de-leopold-ii-les-origines-du-massacre/ 

[4] https://curieuseshistoires-belgique.be/henry-morton-stanley-le-conquistador-deprave/ 

[5] https://www.latimes.com/archives/la-xpm-1990-11-11-bk-5978-story.html 

     https://en.wikipedia.org/wiki/Henry_Morton_Stanley

[6] Henry Morton Stanley, cinq années au Congo, 1000 879 984. Voyage, exploration, fondation de l’État libre du Congo, Bruxelles, Institut national de géographie, 1885

[7] Building Congo, Writing Empire: The Literary Labours of Henry Morton Stanley

 

 

 

 

Pourquoi le Père Fouettard est-il Problématique?

Pourquoi le Père Fouettard est-il Problématique?

Lorsqu’il est fait référence à la connotation raciste qui ressort de la représentation du Père fouettard (grimé tout en noir avec des grosses lèvres rouges, les cheveux afro), beaucoup défendent que l’image du Père fouettard n’est pas péjorative.  En effet, il est défendu, par exemple, que le Père fouettard a la peau noire car il est censé descendre de la cheminée. Nous allons tenter de vous expliquer en quelques points pourquoi la vision actuelle du père fouettard, en Belgique, est problématique. 

 

Origine et histoire du père fouettard en Belgique 

Tout d’abord, précisons que St-Nicolas a historiquement plusieurs compagnons, et ces derniers ont une déclinaison différente dans chaque coin du globe. Cependant, ce compagnon garde les mêmes caractéristiques : méchant, menaçant et laid [1]. Lors de l’apparition du Folklore de Saint-Nicolas au 16ème siècle en Europe, il était accompagné du diable. Ce dernier avait  pour but de punir les mortels qui agissaient mal et surtout les enfants qui n’étaient pas sages. A cette époque il n’y avait pas beaucoup de différences entre le diable et un maure ( population noire d’Afrique du Nord ) et l’amalgame a commencé à voir le jour [2] . En effet, selon des légendes, Saint-Nicolas, ainsi que son serviteur, venaient de l’Espagne Maure [3].

En Belgique et  au Pays-Bas, nous avions une représentation similaire : le Zwarte piet, appelé “Père fouettard” dans la partie francophone belge.  Ce personnage a vu le jour pour  la première fois dans l’œuvre de Jan Schenkman intitulé ‘ St Nikolaas en zijn Knecht “( St Nicolas et son serviteur ) en 1850. A cette époque, le Père fouettard est représenté comme le serviteur de Saint-Nicolas. Son apparence était déjà une référence directe aux esclaves, notamment en raison de leurs habits de Maure originaires d’Afrique du Nord. Cependant, ce n’est qu’à la fin du 19e que le Père fouettard commence à avoir des traits physiques utilisés pour caricaturer l’Homme africain (les lèvres rouges et volumineuses, les cheveux afros, la peau très foncée) [4].  

 

 

Père fouettard, Educol.net

Cette caricature du Père fouettard qui subsiste depuis le 19ème siècle a un impact direct et négatif sur les enfants afro descendants. En effet en se grimant en noir et en ayant tous les trait de la caricature de la personne noire, le père fouettard  incarne la pratique  de la blackface. Vu par certain.e.s comme un déguisement, cette pratique  est humiliante et raciste pour les personnes pour qui “ être noir “ n’est pas un déguisement [5].

 

 

 

 

 

Comme nous l’avons déjà vu avec vous, le racisme se décline en plusieurs branches et il est composé de plusieurs aspects  tels que  les préjugés. Et bien qu’elle ne soit pas reconnue  légalement comme étant une forme de discrimination raciale punissable, cette représentation du serviteur noir et méchant accompagnant St-Nicolas dans le but de punir les enfants renforcent les stérotypes sur la dangerosité de l’Homme noir  [6]. D’ailleurs, une étude  faites en 2015 démontre que lorsqu’on demande à des enfants afro descendants  ce que représente le Père fouettard, la plus grande partie ( 63,5%) disent que c’est un homme noir. En effet, seulement une minorité est consciente que le Père fouettard est un homme blanc, ramoneur, sali par la suie de la cheminée.  Cette même étude démontre que 76,6% des enfants s’identifient à ce dernier, notamment parce qu’ils partagent une même couleur de peau [7]. 

Benoit de Freine, November 2022, Een Roetpiet in Antwerpen, DeMorgen

Une représentation d’un homme blanc avec de la suie sur le visage comme le roetpiet serait  une  réprésentation plus  juste qui, au final, satisferait tout le monde. Dès le plus jeune âge, ces enfants sont dès lors confrontés à une image péjorative qui leur vaut des remarques et des piques racistes de leur entourage:

« Dans l’école communale, on était les seuls Noirs, à chaque fois qu’il y avait la Saint-Nicolas et que Zwarte Piet venait, on avait droit à : “Oh, mais c’est ton père qui est là !” » Julien, 20 ans

 

« Des fois, le prof me disait : “Eh, hein, tu fais le malin, hein ? Zwarte Piet !” C’était très péjoratif, voire même insultant. » Baseya, 21 ans

 

« On me disait : “Ouais, Zwarte Piet, c’est vous, c’est comme ça que vous êtes !” Nous qui ? Nous les Noirs ! En fait, Zwarte Piet c’est censé être nous. » Henri, 27 ans

 

Sources 

[1] K. Lemmens, “ The dark side of ‘Zwarte Piet’: A misunderstood tradition or racism in disguise? A legal analysis”. The International Journal of Human Rights  21 (2),p .
[2] E. Boer-Dirks, “ Nieuw licht op zwarte piet. Eeen kunsthistorisch antwoord op de vraag naar de herkomst “, Volskundig Bulletin, 19 ( 19933), pp.1-8.
[3] M.S,  “ Qui sont les trois terrifiants compagnons de Saint-Nicolas à travers l’Europe ? ”, disponible sur www.20minutes.fr, publié le 30 décembre 2019.
[4] Caroline Lallemand , “La Véritable histoire du père fouettard”, disponible sur www.levif.be, le  21 novembre  2019.
[5] X, “ père fouettard : ne pas laisser à la portée des enfants”,  disponible sur www.lalibre.be, le 06 décembre 2018.
[6] Unia, “ père fouettard : la position d’Unia “,  disponible sur www.unia.be , le 14 novembre 2016.
[7] M-T. Robert, “ blackface :  au chevet du privilège blanc”,  Tumultes, 2020/I ( n°54), pp 143-144.
[8] ibidem p.141.

 

Kimberlé Crenshaw

Kimberlé Crenshaw

“ When feminism does not explicitly oppose racism, and when antiracism does not incorporate opposition to patriarchy, race and gender politics often end up being antagonistic to each other and both interests lose ”

Traduction : Lorsque le féminisme ne s’oppose pas explicitement au racisme, et lorsque l’antiracisme n’intègre pas l’opposition au patriarcat, les politiques de race et de genre finissent souvent par être antagonistes l’une de l’autre et les deux intérêts perdent

Kimberlé Crenshaw

The Ethics Centre, « Big Thinker: Kimberlé Crenshaw », The Ethics Centre, disponible 19 octobre 2022, https://ethics.org.au/big-thinker-kimberle-crenshaw/

Femme féministe, avocate, professeure d’université et militante pour les droits humains.

Elle commence ses études universitaires en 1981 avec un bachelier en gouvernement et études africaines à Cornell. Elle poursuit avec l’équivalent d’un master en droit à Harvard en 1984 et à la Wisconsin Law School en 1985. En 1986 elle devient professeure à la faculté de droit de l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) et à la Columbia Law School. C’est dans cette même université que 9 ans plus tard elle fonde le Centre d’Etude pour l’Intersectionnalité et les Politiques Sociales (Center for Intersectionnality and Social Policy Studies)(1).

  • 1989: Elle crée le concept d’intersectionnalité et la théorie critique de la race (Critical race theory).

Elle définit l’intersectionnalité dans « Demarginalizing the intersection of Race and Sex ». Elle critique les lois anti-discriminations des USA qui ne couvrent que le sexisme ou le racisme. Selon son analyse, les femmes noires subissent dans le monde professionnel une double discrimination — raciale et sexiste — qui est souvent non reconnue par les tribunaux (2).

Selon Kimberle Crenshaw, la théorie critique de la race vise le fait que la loi et les institutions juridiques sont racistes. De même que la race est un concept socialement construit utilisé par les blancs pour promouvoir leurs intérêts économiques et politiques aux dépens des personnes racisées (ceci s’appelle le racisme scientifique).[a][b] En bref, l’inégalité raciale provient des différences sociales, économiques et juridiques que les blancs ont créées pour maintenir leurs intérêts sur le marché du travail et dans la politique, ce qui donne lieu à la pauvreté et à la criminalité (3).

  • 1996 : elle co-fonde le think tank African American Policy Forum qui soutient la recherche sur les violences perpétrées contre les femmes racisées aux USA. Le but est de faire bouger les questions de justice ethnique et genrée (4).
  • 2001 : Conférence des Nations Unies contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée. Elle rédige le document de référence sur la discrimination raciale et sexuelle pour la Conférence mondiale (5).
  • 2014 : elle créée la campagne #SayHerName sur Twitter. Ces tweets rassemblent des témoignages de violences policières contre des femmes. Ce mouvement se considère comme faisant partie du mouvement Black Lives Matter (6).
  • 2015: African American Policy Forum poursuit ses actions avec #BlackGirlsMatter : Pushed Out, Overpoliced, Underprotected. La campagne indique une série de recommandations aux politiques sociales des USA pour que les besoins spécifiques des petites filles noires soient pris en considération.
    La même année le magazine féministe américain Ms. Magazine la nomme la « féministe la plus inspirante » (7).

 

Sources

(1) Bertille G., « Kimberlé Crenshaw : la mère de l’intersectionnalité », Feminists in the City, disponible sur https://www.feministsinthecity.com/blog/kimberle-crenshaw-intersectionnalite, 24 septembre 2019.; Laugier S., « Kimberlé Crenshaw, la juriste qui a inventé "l’intersectionnalité" », BiblioOBS, disponible sur https://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20190109.OBS8245/kimberle-crenshaw-la-juriste-qui-a-invente-l-intersectionnalite.html, 09 janvier 2019.
(2) Janssen B., “ Intersectionnalité : de la théorie à la pratique”, disponible sur www.cepag.be, novembre 2017, pp. 2-3.
(3) Curry T., "Critical race theory", Encyclopedia Britannica, disponible sur https://www.britannica.com/topic/critical-race-theory, 28 Mai 2020.
(4) Bertille G. & Laugier S.
(5) « Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée », disponible sur https://www.un.org/french/WCAR/, 2001.
(6) Blanchard D. et Mehta J., “Say Her Name: How The Fight For Racial Justice Can Be More Inclusive Of Black Women”, NPR, disponible sur npr.org/sections/live-updates-protests-for-racial-justice/2020/07/07/888498009/say-her-name-how-the-fight-for-racial-justice-can-be-more-inclusive-of-black-wom?t=1614688821873, Juillet 2020.
(7) Bertille G.

[a]Source après ce statement, plusieurs seraient idéales étant donné que c'est une assomption forte, et beaucoup risquent de se sentir attaqués par cette phrase
[b]ça s'appelle le "scientific racism" et ça remonte au 19e siècle... Que les fragiles se pointent, je les attends !