par racism-search | Juin 6, 2022 | Interviews
Aisha*
(28 Novembre 2021)
Le but de la série “from the other side” est de visibiliser les invisibles, les humains derrière les chiffres, les récits derrière les statistiques. Chaque épisode vous fera découvrir l’histoire d’une personne migrante ou souhaitant immigrer. Nous commençons aujourd’hui avec Aisha*.
* Nom d’emprunt. Pour sa sécurité nous ne dévoilerons pas d’informations supplémentaires sur son identité. Merci de respecter notre décision et son histoire.
Aujourd’hui, nous vous présentons l’histoire de Aisha, venue en Europe dans le cadre de son travail.
Venant d’un pays où les conditions de vie sont difficiles, économiquement et socialement, Aisha a réussi à s’échapper. Elle a pris le temps de répondre à nos questions, de nous raconter son expérience en Europe et sa vie dans son pays d’origine.
« – Aimes-tu ton pays ?
– Oui.
– Veux-tu quitter ton pays ?
– Oui. »
D’ou viens-tu ?
Je viens d’un pays qui a été sanctionné pour son programme nucléaire, et je suis une femme qui est obligée de porter le hijab.
Quels sont les éléments qui font de ton pays, TON pays ?
Être née ici est l’élément principal. Ma famille y est aussi, et on y parle ma langue maternelle. Mais je pense que ce qui fait de ce pays mon pays, est le fait que j’y sois née.
Quels sont les éléments que tu chéris le plus dans ton pays ?
La langue, la littérature et la culture. Chaque fois que je me plonge dans un de ses ouvrages, j’y prends du plaisir.
Quand tu es à l’étranger, qu’est ce qui te manque le plus ?
Pour être honnête, la nourriture et ma famille. Mais surtout la nourriture! C’est impossible de reproduire les saveurs de mon pays à l’étranger. Tout y est différent: les épices, les herbes, même le riz !

Mehdi Pezhvak, 2021, Aisha’s country, Unsplash, accessed 02.02.2024, https://unsplash.com/photos/grilled-meat-with-sliced-orange-and-green-vegetable-on-white-ceramic-plate-nKjBbzQOI60
Considères-tu la possibilité d’élever des enfants dans ton pays?
Jamais. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui me poussent à partir. Il n’y a actuellement aucun avenir économique pour notre population. Car lorsque je fonderai une « bonne famille », si ma fille part à l’université et trouve un travail, elle ne pourra s’acheter ni une maison, ni une voiture, même après avoir épargné pendant 20 ans.
Au-delà de la dimension économique, il y a aussi tous les problèmes liés aux droits humains. Quiconque a des pensées allant à l’encontre du gouvernement est en danger. Du jour au lendemain, ces personnes disparaissent, et plus personne ne sait où elles sont. Si elles sont chanceuses, on les retrouve en vie en prison. Si elles ne le sont pas, elles passent par la case exécution.
Pour ces deux raisons, ce n’est ni financièrement responsable, ni raisonnable de donner la vie dans ce pays.
Tu as mentionné le fait d’avoir une fille, pourrais-tu envisager d’élever un garçon dans ton pays?
Beaucoup de gens pensent que la vie est plus facile pour les hommes que pour les femmes. Personnellement, je n’en suis pas convaincue, car ils doivent faire leur service militaire, par exemple. Cependant, le problème des conditions économiques et des droits humains nous affecte tous.

Anadolu Agency, 2020, xxx Children (illustration for an article about xxx), anews, accessed 03.02.2024
Que doit changer ton pays pour que tu y restes?
J’ai beaucoup réfléchi à cette question. Ma première idée serait de remédier à la situation économique. Mais le problème le plus urgent, et qui me pousse à quitter le pays, est le non-respect des droits humains. Je suffoque ici. Je ne peux rien dire, je ne peux rien faire. Des gens meurent. C’est triste.
Grâce à ma famille, je ne souffre pas de la situation économique. Mais en ce qui concerne les droits humains, je ne sais pas quoi dire. Lire les nouvelles me rend toujours triste pendant un jour ou deux.
Penses-tu que ton pays pourrait changer de la façon dont tu le veux?
Mon pays n’a pas tourné comme ça du jour au lendemain. Cela peut prendre entre 40 et 50 ans pour changer et ma vie touchera déjà à sa fin. Je peux juste espérer que les choses s’amélioreront pour les générations suivantes, mais je ne sais pas comment faire. Je ne vois aucune solution aux problèmes actuels.
Est-ce plus sûr de quitter le pays plutôt que d’y rester pour changer les choses?
Quitter le pays n’est plus une chose sûre non plus. Il y a deux ans, un missile a été envoyé sur un avion. Tous les passagers étaient des gens du pays qui voyageaient vers le Canada et qui avaient la double nationalité. La plupart avait obtenu cette dernière après avoir fui le pays.
Malheureusement, rester et se battre n’est pas qu’un choix personnel non plus. Qu’on le veuille ou non, cela implique notre famille et nos proches. Il faut rester prudent.
Il y a-t-il un point en particulier qui te ferait rester au pays?
Je n’ai qu’une idée pour le moment : partir. Si ma famille tenait à ce que je reste, je le ferais, peu importe les conséquences. Sans ma famille, je ne serais rien, je n’aurais donc aucun autre choix que de rester. A part ça, je ne vois aucune raison de rester.
As-tu considéré ramener ta famille hors du pays aussi ?
Ce n’est pas possible de faire cela. Mais dans dix ans, si j’ai une stabilité financière, j’y penserai. Cependant, leur situation est déjà confortable, s’ils voulaient vraiment partir, ils le feraient eux-même.
Quelle est la plus grande difficulté que tu as rencontré à l’étranger ?
La partie la plus dure, en tant que ressortissante de mon pays, est le problème des comptes en banque. C’est impossible d’en ouvrir un sans être enregistré, et même quand c’est le cas, cela prend au moins 2 mois. J’ai des amis qui ont eu leur salaire/argent bloqué pendant 2 mois, juste parce qu’ils partagent la même nationalité que moi. Tout ce qui est relié à l’argent en général est compliqué. On doit porter de l’argent liquide partout, juste parce que l’on vient de là où on vient.
Quelle est la plus grosse difficulté que tu as rencontrée dans ton pays?
Aisha respire et prend son temps. Cette question est difficile pour elle.
J’ai rencontré beaucoup de difficultés dans ma vie, des plus éprouvantes et des plus faciles.
Premièrement, en tant que femme. Il y a beaucoup de personnes qui ne comprennent pas pourquoi j’étudie l’ingénierie. La population de mon pays est très traditionnelle, la plupart des gens pensent encore que les femmes doivent devenir institutrices ou doctoresses. Iels pensent que les femmes sont trop stupides pour comprendre les maths. On me rappelle souvent que je vais devoir fonder une famille, et qu’il n’y a aucun intérêt à ce que j’étudie. C’est dur de l’entendre à répétition.
Même à l’université, où les gens sont un peu moins traditionnels, les profs nous demandent de nous grouper par genre. On [les filles] se sent isolées, particulièrement dans notre discipline. Juste parce qu’on est 25/30 par année sur 200. Dans les petites classes, cela ne nous donne pas beaucoup de possibilités de collaborer et ça nous retire de l’expérience. J’ai eu 4 cours en labo avant le COVID, et pour trois d’entre eux, j’ai dû faire des groupes avec des filles seulement. Un prof nous a laissé libre choix.
J’aimerais aussi ajouter quelques choses à propos des hommes. Dans la partie traditionnelle du pays, notre culture met beaucoup de pression sur les hommes aussi. On s’attend à ce qu’ils fassent tout: se marient, fondent une famille, travaillent et paient tout. Malheureusement, avec la situation économique actuelle, les hommes ne peuvent même plus penser à se marier. C’est un énorme problème dans une culture où l’on croit que se marier contribue fortement au bonheur. Ils sont juste face à des obligations qu’ils ne peuvent pas remplir.
Un autre problème pour eux est le service militaire obligatoire. Les hommes doivent étudier jusqu’à leur doctorat pour espérer y échapper. La situation dans ces camps est inhumaine. Ils sont sous-payés et perdent deux années de leur précieuse vie.
En tant que femme, et homme, nous devons nous soutenir les uns les autres. Sinon on s’isolera chacun encore plus. Mentionner les problèmes auxquels les femmes font face seulement, c’est laisser les hommes derrière.
Quelle est la place de la religion chez toi?
La religion remplit les points de ma vie sur lesquels je n’ai aucun contrôle. Elle m’aide à me calmer. Sans Dieu, dans ces situations, tu ne sais pas quoi faire. Mais cela est propre à chacun.
Que signifie le hijab pour toi ?
C’est très compliqué. Nous sommes obligés de porter le hijab à partir de nos 9 ans. C’est donc très dur de savoir si cela est mon choix, ou si c’est le régime qui nous a obligées à le porter.
Mon histoire est assez particulière. J’ai commencé à être très extrême dans la manière de le porter. À mes neuf ans, je le portais parfaitement. Il était très long, il couvrait tous mes cheveux, et je portais en plus de longs vêtements. J’étais l’exemple parfait de ce que les religieux voulaient nous faire porter. Puis, j’ai commencé à me poser des questions. Était-ce la bonne chose à faire ? Quelqu’un m’avait dit de le porter, je l’avais donc fait. Mais dans les autres parties du monde, les femmes s’en passaient et la vie continuait.
J’ai donc commencé à relâcher la perfection avec laquelle je portais le hijab. Dehors, les gens ont commencé à me dire qu’il fallait que je réarrange mon hijab. Si je voulais vivre tranquillement, il fallait que je le porte correctement. Je ne me sentais plus en sécurité lorsque je sortais. Les gens se moquaient de moi, et de mon physique. A cause de ça, j’ai cru devoir me couvrir encore plus. Mais les gens ont continué à me harceler, parce que j’étais trop extrême cette fois-ci.
Peu importe ce que je fais, les gens se plaignent. Que dois-je faire?
Après tous ces changements, j’ai fait la paix avec le fait que peu importe ce que je fais, les gens seront fâchés. J’ai donc commencé à lire plus sur le hijab. Je me suis rendue compte que le but premier était que les gens nous voient pour notre personnalité, pas nos corps ou la façon dont on parait. En tout cas, c’est pour cela que la plupart des gens ont commencé à porter le hijab. Et maintenant, j’ai décidé de le porter de la même manière. C’est à dire ni selon la façon dont les gens qui pensaient que je ne le portais pas assez bien le voulaient, ni de la façon dont les gens qui pensaient que je le portais trop le voulaient.
Le hijab que je porte maintenant est ma décision, pas celle des autres. J’ai même commencé à porter des hijabs colorés. En effet, la tradition dans mon pays veut que l’on porte des choses lumineuses. Je veux montrer qu’on peut porter le hijab, être jolie, et confortable.
Maintenant, quand je sors, les gens se plaignent toujours. Même si je me sens mal sur le moment, je me souviens de mon histoire, et cela passe. J’ai fait la paix avec mon hijab.
Si tu avais une dernière chose à partager, quelle serait-elle ?
Je veux demander aux gens de se rendre compte de la chance qu’ils ont de se réveiller le matin en se sentant en sécurité. Moi même parfois je l’oublie, mais tous les jours j’essaie d’être reconnaissante de ce que j’ai.
« – Aimes-tu ton pays ?
– Oui.
– Veux-tu quitter ton pays ?
– Oui. »

Hasan Almasi, 2018, Salt Lake, Unsplash
par racism-search | Juin 6, 2022 | Articles, Colonisation
Les espaces publics, qui constituent des lieux de passage et de rassemblement, ne sont pas neutres et représentent souvent les valeurs, les idées et convictions promues par la société et les politiques qui la régissent. Ainsi, elles ont souvent été des lieux de propagandes coloniales (parfois insidieuses) et, par conséquent, la représentation d’un racisme systémique.
Lorsque l’on parle de décolonisation, il s’agit de reconstituer des histoires, des langues et de se réapproprier les cultures niées par les colonisateurs [1] Quand on parle de décolonisation des espaces publics, on parle surtout de déconstruire des symboles présents dans ceux-ci, qu’il s’agisse de noms de rue, de bâtiments, de statues, etc.
Construire un espace public juste est le droit qui est proclamé. Ce questionnement a pris de l’ampleur avec la médiatisation des violences racistes vécues par les personnes racisées et aussi avec le “caractère cosmopolite des populations” qui “contraint […] de répondre à une exigence de justice mémorielle qui doit s’inscrire dans son esthétique, son iconographie, ses fonctionnalités et ses désignations” [2] Puisque l’espace public représente les valeurs collectives et la pensée partagée d’une communauté [2], des figures représentant un colonialisme ancré sont de plus en plus discréditées. Il faut ajouter à cela la nécessité de représenter les personnes racisées et leurs intérêts.
La décolonisation de l’espace public se fait soit en recontextualisant les bâtis, objets et statues – ce qui permettrait d’obéir à un certain devoir de mémoire – soit, en contre-signifiant avec des symboles de luttes décoloniales [3]. La deuxième solution semble privilégiée par certains activistes qui voient à travers ce geste une réelle réinterprétation de l’histoire ; qui permettrait d’éviter d’assigner à l’oubli un phénomène mondial en le “retirant” simplement de l’espace public ou en ajoutant un texte explicatif qui nuirait ou affaiblirait la cause. User de cette deuxième solution permettrait davantage d’appuyer sur le processus de lutte et “de prendre au sérieux les luttes activistes à l’œuvre » [1].
La décolonisation de l’espace public ne veut pas effacer l’histoire coloniale; au contraire, elle veut le rendre visible. Malgré tout, cette quête pose des questions sur les “bonnes manières” de décoloniser l’espace public. Et bien qu’aucune réponse absolue n’existe, la nécessité d’ajouter des symboles de résistance pour répondre à un devoir de mémoire interroge. Devons-nous représenter toutes les luttes et toutes les communautés? Cela ne risquerait-il pas de faire de l’espace public un champ de bataille iconique? [2] Et, à l’inverse, ne pas représenter et tenter de neutraliser l’espace public est-il possible et juste? Quoi qu’il en soit, la décolonisation de l’espace public n’est pas une problématique à laquelle répondre est simple, mais qui est pourtant nécessaire.
L’origine de la décolonisation
La décolonisation de l’espace public est loin d’être un nouveau débat. Les 21es siècles sont marqués par divers mouvements protestant les diverses statues qui glorifient l’époque coloniale. En effet, nous pouvons par exemple citer les mouvements comme “Rhodes must fall” débuté en 2015 dans les universités de Cape Town et Oxford afin de déboulonner les statues de Cecil Rhodes, colonialiste anglais [4]. Le mouvement “Faidherbe doit tomber” a également été entamé en 2017-2018 à Lilles afin d’enlever les statues de Faidherbe car ce dernier était renommé notamment pour sa participation à la conquête et la colonisation du Sénégal. [5]
Toutefois, bien que poursuivant un objectif similaire, ces mouvements étaient jusqu’alors indépendants les uns des autres. L’effort de réflexion et de protestation qui a suivi le tragique meurtre de George Floyd a permis de mettre en avant, au niveau international, la manière dont l’espace public glorifie une époque qui, pour les personnes racisées, est parsemée de douleur. Ainsi, avec le mouvement Black lives matter, la décolonisation de l’espace public est devenue une initiative poursuivie à plus grande échelle dans un grand nombre de pays.
Le mouvement BLM a mené une critique des structures institutionnelles et des systèmes politiques. La critique majeure opposée à ceux-ci est le peu de considération allouée aux personnes racisées. Or, le racisme et la colonisation sont deux faces d’une même pièce. Les structures racistes sont une conséquence directe de la haine raciale répandue notamment durant la colonisation. Ainsi, “le maintien [des statues, ndlr] revient sans doute à reconnaître tacitement l’existence d’un lien entre ce passé colonial et l’état actuel des choses. Il implique d’envisager la possibilité même d’un décalage entre les valeurs démocratiques et de droits humains que nous proclamons, et la réalité politique et sociale d’une société inégalitaire.” [6]
La réaction citoyenne
Il est indéniable que la naissance de ce mouvement a aussi entraîné la naissance d’un contre-mouvement au niveau citoyen [8], mais nous avons fait le choix de nous attarder sur les actions positives.
Ainsi, à partir de juin 2020, “à Bruxelles, le buste de Léopold II, situé au square du Souverain, a été renversé et maculé de peinture rouge ; des plaques de rue signalant l’avenue Léopold II ont été dégradées aussi à la peinture rouge ; un buste du roi Baudouin a également subi le même sort, sans parler de la statue équestre de Léopold II sur la place du Trône qui essuie de manière régulière la colère de militants fustigeant la colonisation”[8].
Une pétition lancée le 7 juillet 2020 récolte plus de 80.000 signatures pour l’enlèvement de toutes les statues de Léopold II présentes sur le territoire de la ville de Bruxelles. Dans d’autres villes, des citoyens et citoyennes ont obtenu le déboulonnement effectif de certaines statues suite à leurs pétitions et à leur mobilisation. C’est le cas de Marie-Fidèle Dusingize, étudiante à l’UMons, qui a obtenu “le retrait définitif de la statue de Léopold II qui séjournait dans les locaux de Warocqué à côté de la Salle académique” de l’Université de Mons [9].
Comme déjà abordée dans notre introduction, la question de la décolonisation de l’espace public ne se limite pas au déboulonnement/à la dégradation de certaines statues. Ainsi, plusieurs artistes ont fait résonner leurs œuvres avec leur engagement pour la décolonisation de l’espace public. Cette volonté transparaît dans tout le travail de l’activiste Laura Nsengiyumva qui a par exemple reproduit la statue de Léopold II dans un bloc de glace, statue qui a donc progressivement fondu [10].
Des collectifs citoyens* organisent aussi des balades décoloniales dans différents lieux pour alerter sur la dimension coloniale et/ou raciste de ces endroits et monuments, dimension qui reste sinon généralement inaperçue. C’est le cas des bâtiments dont nous avons déjà fait mention précédemment, mais aussi d’autres plus méconnus tels que le “Monument du Congo” au sein du Parc du Cinquantenaire ou la fresque de B.D. Odilon Verjus qui met en scène un homme blanc “sauvant” Joséphine Baker très sexualisée et exotisée [11].
La liste des actions menées à l’heure actuelle est encore longue, comme le travail de certaines associations pour décoloniser les éléments coloniaux et racistes des carnavals belges, mais il est indéniable qu’une partie des citoyens et citoyennes veulent voir un changement s’opérer et qu’une réaction des politiques se fait attendre.
La position belge au niveau politique
A Anvers, Mons ou encore Louvain, les statues et bustes du roi colonisateur ont été enlevées par les universités ou par les communes elles-mêmes [12]. Mais quel est l’avis du gouvernement belge sur la question ?
En juillet 2020, une majorité des députés bruxellois de la commission des affaires générales s’était prononcé en faveur d’une résolution ayant pour but de débuter une décolonisation de l’espace public [13]. Cette tâche, afin de représenter un travail commun, est liée au travail d’un groupe de pilotage composé d’académiques mais aussi d’agents du secteur associatif lié à la diversité [13]. Leur but est donc d’examiner et de trouver la meilleure approche pour chaque situation. Leur rapport devrait sortir à la fin de cette année[14].
En parallèle, le secrétaire d’Etat bruxellois en charge du patrimoine et de l’Urbanisme, Pascal Smet, avait annoncé la création d’un groupe de travail sur la décolonisation de l’espace public à Bruxelles [13]. C’est un total de 16 personnes originaires de toute la Belgique qui constituent ce groupe de travail et qui ont pour mission de rendre un rapport final en fin 2021 concernant un plan d’action concret ainsi que des recommandations pour la décolonisation de l’espace public bruxellois [15].
Enfin, toujours en juillet 2020, le Parlement fédéral a lancé une « Commission spéciale chargée d’examiner l’État indépendant du Congo (1885-1908) et le passé colonial de la Belgique au Congo (1908-1960), au Rwanda et au Burundi (1919-1962), ses conséquences et les suites qu’il convient d’y réserver» et a invité un groupe de plusieurs experts à se positionner sur la question du passé colonial belge afin d’aider la Commission [16]. Le groupe d’experts a rendu un rapport accablant le 27 octobre 2021 [16]. Ce qui ressort entre autres de ce rapport est le lien qu’il existe entre le passé colonial belge et le racisme persistant dans notre pays. En effet, les répercussions de ce passé ont un effet à long terme sur les générations futures [16].
En conclusion, plusieurs historiens mettent en avant les relations entre la représentation de l’espace public et le racisme structurel. La politique belge se penche donc sur la décolonisation de l’espace public, mais aucun consensus n’a encore été trouvé pour le moment.
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Sources
[1]Vergès Françoise, « Mémoires fragmentées, Histoires croisées. Esclavage colonial et processus de décolonisation », NAQD, 2013/1 (N° 30), p. 117-136. DOI : 10.3917/naqd.030.0117. URL : https://www.cairn.info/revue-naqd-2013-1-page-117.htm
[2] T, Amougou. “Décoloniser l’espace public: une guerre des mémoires?” disponible sur https://www.jeuneafrique.com, publié le 18 juin 2020
[3] “ Conditions minimales pour une décolonisation de l’espace public” disponible sur https://blogs.mediapart.fr/, publié le 24 juin 2020
[4] S. John, “Statues, Politics and The past”, disponible sur www.historytoday.com, publié le 9 septembre 2019.
[5] voir le site www.faidherbedoittomber.org
[6] A.Hajji et R. Maes, “Symboles coloniaux dans l’espace public: la statue qui cache la forêt”, disponible sur www.revuenouvelle.be, consulté le 6 novembre 2021.
[7] V. CLETTE-GAKUBA et M. VANDER ELST, “Une tentative de décolonisation de la statue de Léopold II”, I.E.B., 02 avril 2020, disponible sur https://www.ieb.be/Une-tentative-de-decolonisation-de-la-statue-de-Leopold-II
[8] A. HAJJI et R. MAES, “Symboles coloniaux dans l’espace public: la statue qui cache la forêt”, Revue Nouvelle, 2020/5, p. 7 et s.
[9] I. PALMITESSA, “L’UMons retire un buste de Léopold II suite à une pétition”, RTBF, 09 juin 2020, disponible sur https://www.rtbf.be/info/regions/detail_l-umons-retire-un-buste-de-leopold-ii-suite-a-une-petition?id=10518654.
[10] Pour voir l’oeuvre en question : https://www.youtube.com/watch?v=kmFHM0RUAWY&ab_channel=LauraNsengiyumva.
[11] V. CURTO, “Le “Monument du Congo” à Bruxelles. Un patrimoine difficile”, Bamko-Cran asbl, 2018, disponible sur: https://fr.calameo.com/read/0067233537d6844032fb1.
[12] L. Kihl, “ Statues de Léopold II : “ On vandalise pour essayer de faire cesser l'emprise de ces monuments ”, disponible sur www.lesoir.be, publié le 11 avril 2020.
[13] Belga, “ Décolonisation de l’espace public à Bruxelles: le parlement régional créera un groupe de travail”, disponible sur www.rtbf.be, publié le 13 juillet 2020.
[14] Belga, “ Décolonisation de l’espace public : les Verts demandent d'accélérer le tempo; Smet soutient que l’on est dans les temps”, disponible sur www.lalibre.be, publié le 14 avril 2021.
[15] M. Dehont “ Le groupe de travail Bruxellois sur la décolonisation se met en place”, disponible sur www.pascalsmet.presly.com, publié le 4 novembre 2020.
[16] R. Okeseleke “ Belgique : une expertise accablante sur le passé colonial du pays déposée au parlement belge ” disponible sur www.digitalcongo.net , publié le 01 novembre 2021.
par racism-search | Juin 6, 2022 | Articles, Colonisation, History, Personnages
Joseph Conrad

East News, Joseph Conrad, 1923
Józef Teodor Konrad Korzeniowski, de son vrai nom, naît le 3 décembre 1857 dans la ville alors russe, de Bredychiv. Issu de la noblesse terrienne polonaise, son père est un fervent nationaliste qui luttera toute sa vie pour l’indépendance de la Pologne, face à l’Empire russe [3]. Le jeune Józef, fils unique, connaît de ce fait, dès l’âge de 4 ans l’exil en Russie. Il sera confronté à deux traits qui apparaîtront dans ses œuvres : la “solitude de l’héroïsme” et la “vanité du sacrifice pour une cause perdue”. Dès l’enfance, son père l’expose aux œuvres des grands romantiques polonais; ainsi qu’à Shakespeare, Dickens, Byron; Hugo, Flaubert et Maupassant. Tout cet apport de littérature occidentale servira de matrice à son écriture, et influencera son exil prochain [1].
Dès 1874, Conrad orphelin, s’exile pour éviter la conscription dans l’armée russe. Il part à Marseille pour devenir marin. Il aura des soucis de dettes, et après quelques rocambolesques événements décide, à partir de 1878, d’entrer dans la Merchant Navy. Il y gravit tous les échelons pour devenir capitaine dix années plus tard. Entre-temps, il apprend l’anglais et prend la nationalité britannique. Grâce à son métier, il passe par l’Inde, Singapour, les îles indonésiennes, l’Australie et est pétri d’un exotisme qui se retrouve dans ces premiers romans. En 1890, il embarque pour le Congo, une expérience dont il ne sortira pas indemne [2].
Cette passion pour l’inconnu est présente chez lui depuis ses 9 ans. Le mystère que représentaient les espaces peu cartographiés le fascinait. Lorsqu’il apprend que Stanley rentre d’Afrique, son fantasme d’enfant le mène à postuler dans la nouvelle colonie du Congo. Il se rend donc à Bruxelles pour passer un entretien d’embauche dans lequel, comme tout le monde ou presque, il se montre crédule à propos des intentions “civilisatrices” de Léopold II [2]. Il passe 6 mois au Congo, au cours desquels il rejoint les Stanley Falls (au cœur du Nord congolais) dans des conditions difficiles. Si bien qu’il tombe malade et décide, une fois rétabli, de prendre la route du retour. Durant ce court séjour, la cupidité et la brutalité des hommes blancs sur place l’ont horrifié de sorte que sa vision de la nature humaine en est restée marquée à jamais (2).
De retour en Europe, il publie ses premiers livres, en anglais : Almayer’s Folly (1894), An Outcast of the Islands (1896), The Nigger of the “Narcissus” (1897); des romans d’aventures dans des cadres exotiques. Conrad met en lumière le côté obscur des hommes dans An Outpost of Progress, publié en 1896. Il y décrit les péripéties de deux jeunes européens attirés par le commerce de l’ivoire dans le nouvel État Indépendant du Congo. A mesure que le temps passe, les protagonistes sont isolés et finissent par vouloir échanger de l’ivoire contre des esclaves. L’histoire des deux hommes se termine tragiquement [1]. Son expérience dans la colonie belge lui a aussi inspiré son ouvrage The Heart of Darkness, en français : Au Coeur des Ténèbres (1899). Un chef d’œuvre qu’il a mis près de huit ans à rédiger.
Dans le livre, il raconte à travers son alter-ego, Charles Marlow, l’expérience d’un jeune homme engagé par une compagnie maritime pour transporter l’ivoire sur le fleuve Congo. Lors de son périple, Marlow donne à voir les “hommes-cordes”, ces êtres enchaînés, affalés qui construisent le chemin de fer Congo-Océan. Leur état de mort, encore vivant, comparé par Conrad à des “ombres noires de maladie et d’inanition gisant”. Des ombres qui, quand elles ont la possibilité de se reposer, le font en rampant tellement elles sont épuisées. Il raconte aussi les villages abandonnés par peur d’être raflés et endurer le même sort [2, 6].
Au cours du récit, Marlow rencontre l’ambitieux M. Kurtz, qui a amassé de “légendaires quantités d’ivoire” tout en s’enfonçant dans la sauvagerie absolue [2]. Une des première image significative du livre est la description de la maison de Kurtz. Celle-ci est entourée de têtes de cadavres d’hommes noirs montées sur des piques. En outre, Kurtz est autant un meurtrier, qu’un peintre et un poète vibrant d’éloquence. Il écrit des pages et des pages pour la Société internationale pour la suppression des coutumes sauvages et appelle à « Exterminer toutes les brutes !” [2]. Le profond paradoxe de l’ambition coloniale est montré sans abat-jour.
Pour écrire le personnage de Kurtz, Joseph Conrad s’est probablement inspiré du chef de station de Stanley Falls, le montois Léon Rom. Tout comme Kurtz, il entourait son parterre de fleurs de têtes coupées et s’adonnait également à la peinture. Comme Kurz, il a écrit un texte sur le Congo, rempli de clichés racistes pour justifier la colonisation [2].
Conrad n’échappe toutefois pas à la vision lyrique de la colonisation de son pays d’adoption, et au “racisme victorien” qui en découle. Bien qu’ils mettent en exergue la faillite du “projet civilisateur” au Congo, il mentionne par exemple le plaisir de voir la carte des possessions britanniques “car on sait qu’un vrai travail y est accompli” (5). De plus, les personnages noirs n’ont droit dans le livre qu’à quelques mots, le reste de leur expression est interprété de manière grotesque et biaisée [2]. Cette critique est portée par l’auteur Chinua Achebe en 1975. Ce dernier donne un cours intitulé “Une Image de l’Afrique : le Racisme dans Au Coeur des Ténèbres”, une perception du roman qui fait date [8].
Sa lucidité sur la réalité du système colonial et la description de ses acteurs disent tout du gouffre moral et humain qu’est la colonisation. Au Cœur des Ténèbres est aujourd’hui l’un des grands classiques de la littérature anglaise toute époque confondue. Son roman et ses personnages ont inspiré jusqu’à aujourd’hui nombre de philosophes, écrivains et films, allant de “Apocalypse Now” (1979) où le drame colonial du Congo est transposé au Viêt Nam, à “La légende de Tarzan” dernièrement (2016)[6]. Joseph Conrad continue à publier après et publie Nostromo (1904) qui se passe dans une mine d’argent en Amérique du Sud, il reste lui aussi comme un des grands livres de la littérature anglaise [1].
Il décède à l’âge de 66 ans, probablement d’un arrêt cardiaque dans sa maison du Kent en Angleterre
Sources
[1] André TOPIA, « CONRAD JOSEPH - (1857-1924) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le19/10/21 https://www.universalis.fr/encyclopedie/joseph-conrad/
[2] A. Hochschild, Les Fantômes du roi Léopold, La terreur coloniale dans l’Etat du Congo, 1884-1908, Texto semi-poche, Tallandier.
[3] Article Joseph Conrad, https://en.m.wikipedia.org/wiki/Joseph_Conrad, consulté le 19/10/21
[4] J. Conrad, A Personal Record p.13
[5] J. Conrad, Heart of Darkness : An Authoritative Text, Backgrounds, Sources, Critcism p.13
[6] Idem, p.50-51
[7] France Inter, “Ça peut pas faire de mal, « Au cœur des ténèbres par Conrad ” émission du 17 février 2018, disponible sur www.franceinter.fr
[8] Société française de littérature générale et comparée, https://sflgc.org/agregation/maisonnat-claude-au-coeur-des-tenebres-de-conrad-presentation/
par racism-search | Juin 6, 2022 | Articles, Discrimination, Général
Le racisme dans le milieu sportif
Récemment au cœur de l’actualité, le racisme dans le domaine sportif connaît un essor particulièrement inquiétant.
En effet, nous sommes témoins d’un nombre impressionnant de comportements racistes et discriminatoires spécifiquement dirigés à l’encontre des personnes racisées au sein de divers domaines sportifs. Tant les supporters que certaines organisations sportives perpètrent un environnement toxique et dangereux à la fois mentalement et physiquement pour les personnes racisé.e.s.
Des objets, des aliments tels que des bananes ou des injures sont par exemple lancés aux personnes noires, elles sont huées par les foules et victimes de harcèlement sur les réseaux sociaux [1] [2]. Il peut être étonnant que le sport, domaine censé rassembler le peuple et créer une certaine cohésion nationale, soit le vecteur de tant de racisme. Ainsi, “les actes racistes révèlent les contradictions du sport, car ses valeurs sont celles d’un langage universel qui promeut le respect et l’ouverture aux autres” [1].
Ce qu’il est important de noter c’est que ces actes restent souvent impunis [1] et ce, même s’il existe des organisations telles que la LICRA qui lutte et aide les victimes de racisme dans les mouvements sportifs. C’est pourquoi certains mouvements de protestation commencent à s’organiser pour pointer du doigt le problème. Ainsi, à titre illustratif, un boycott des réseaux sociaux avait été aménagé du 30 avril au 3 mai 2021 par les clubs de football anglais (qui a par la suite motivé d’autres équipes du monde à faire de même) [2].
En effet, les réseaux sociaux n’ont fait qu’accentuer le racisme dans le sport. La possibilité de commenter les prestations des athlètes en direct a permis de démontrer que les personnes racisées ne possèdent pas la même marge d’erreur et qu’elles provoquent une sympathie limitée du public. Une simple défaite est suffisante pour passer d’héros à ennemi de la société. De plus, nous remarquons que les aptitudes et capacités des personnes racisées sont constamment remises en cause, les obligeant à passer davantage de tests et à se prouver régulièrement.
Exemple de cas concrets de racisme dans le milieu sportif
1. Le racisme au sein du football
Les exemples de racisme dans le milieu du football sont malheureusement nombreux. Vous vous en souvenez sûrement tous car cela s’est passé il y a seulement quelques mois, mais un exemple marquant est la déferlante de haine qu’ont subi trois joueurs anglais après la défaite de l’Angleterre face à l’Italie lors la finale de l’Euro 2020 [3]. En effet, après avoir manqué leur tir au but, Marcus Rashford, Jadon Sancho et Bukayo Saka ont été victimes d’insultes racistes sur les réseaux sociaux. Loin d’être un événement anodin, le ministre de la culture et des sports, Olivier Dowden, a demandé à ce que les plateformes de réseaux sociaux s’attaquent et punissent davantage le racisme en ligne [4]. Par ailleurs, comme nous l’avons déjà évoqué plus haut, la FA, les clubs de la Premier League, de la deuxième division et de la Super Ligue féminine ainsi que des organisations représentants les principaux acteurs du football ont décidé de ne rien publier sur leur réseaux entre le 30 avril et le 3 mai pour mettre l’accent sur la situation alarmante du racisme dans le milieu du football [4]. D’autres cas, tels que les insultes qu’ont reçu les joueurs roumains du Dinamo Bucarest par les supporters de la Lazio Rome durant leur match à Rome, démontrent encore une fois que le racisme dans le monde du football est autant présent en ligne que sur le terrain [5].
Cependant, il est à noter que ce ne sont pas seulement les supporters qui adoptent des comportements racistes mais aussi les corporations sportives en tant que telles. Par exemple, en 2010, Médiapart a révélé que la Direction technique nationale “ aurait émis la volonté de limiter, voire d’« éradiquer » les joueurs binationaux évoluant dans des équipes africaines et nord‐africaines, et les joueurs dits « costauds » – les « Blacks »” lors de leurs sélection de jeunes joueurs [6].

Etienne Bonamy, « Racisme dans le football: on arrêtera autant de matchs qu’il le faudra », L’Humanité, publié le 30 octobre 2023, disponible sur https://www.humanite.fr/sports/football/racisme-dans-le-football-on-arretera-autant-de-matchs-quil-le-faudra
Le combat pour éradiquer le racisme dans le monde du football est encore long et doit se faire tant sur le terrain que sur les réseaux sociaux, mais aussi au sein des institutions sportives.
2. Mysogynoir* dans l’athlétisme
Un exemple marquant du racisme dans le sport est celui de Caster Semenya. Cette athlète est double championne olympique et triple championne du monde sur 800m mais, en 2020, elle est contrainte d’arrêter sa pratique sportive. En effet, la fédération internationale d’athlétisme lui a imposé de prendre des traitements pour diminuer son taux de testostérone car son hyperandrogénie** l’avantagerait trop face à ses concurrentes. Caster Semenya a refusé de se plier à cette exigence, il lui a été, dès lors, interdit de participer aux différentes compétitions.
Outre les questions qui se posent vis-à-vis de la place des personnes intersexes dans le sport et, de manière plus générale, vis-à-vis du sexe comme construction sociale, il est particulièrement important de relever ici le racisme qui sous-tend le contrôle et les pressions subis par Caster Semenya. Bien qu’elle dispose d’un palmarès impressionnant, elle n’est pas l’athlète féminine la plus rapide du monde sur 800m, mais les athlètes se trouvant au-dessus d’elle dans les rankings sont blanches et/ou correspondent aux standards de la « féminité » occidentale et n’ont donc jamais dû se soumettre à des tests hormonaux[7].
Le cas de Caster Semenya n’est pas isolé, puisque la majorité des athlètes qui ont subis des pressions de la part de la fédération internationale d’athlétisme pour prendre des traitements et donc modifier leurs corps, pourtant en bonne santé, sont des athlètes racisées comme Santhi Soundarajan, Dutee Chand, Nancy Navalta et le plus souvent noires telles que Francine Niyonsaba, Margaret Wambui, Aminatou Seyni…[8]
Malheureusement, les athlètes ne sont pas les seules sportives racisées à être stigmatisées pour leur prétendu manque de féminité, c’est également le cas des joueuses de tennis Serena et Vénus Williams, de la judokate Edinanci Silva ou encore de la patineuse Surya Bonaly [8].
3. Insultes anti-asiatiques
Dans le domaine sportif, le racisme anti-asiatique surgit également sous différentes formes. Que ce soit par communication orale ou virtuellement, beaucoup de sportif.ve.s professionnel.le.s d’origine asiatique sont sujets à des insultes racistes. Depuis l’épidémie de la covid, ce phénomène s’est amplifié aux Etats-Unis. [9] Donald Trump, ancien Président des USA, qualifiait d’ailleur le virus de “peste chinoise” à l’époque de son apparition. [9]
Chloe Kim, championne olympique de snowboard, en a fait les frais via les réseaux sociaux. Née en Californie de parents coréens, elle reçoit chaque jour des insultes anti-asiatiques depuis 2014, année au cours de laquelle elle gagne une médaille d’argent au X Games à Aspen (Colorado). Aujourd’hui, ce sont des centaines d’injures par mois qu’elle reçoit. [10] Elle affirme d’ailleurs, dans un entretien sur la chaîne ESPN, ne plus oser sortir de chez elle sans moyen de défense.[10]
Sakura Kokumai, karatéka américaine d’origine asiatique, a subi des injures lorsqu’elle s’entraînait dans un parc (Caroline du Sud). En effet, un homme lui a lancé des propos racistes et discriminants pendant sa session de sport. Elle se dit particulièrement étonnée par la violence de l’homme et la passivité des passants qui ont vu et observé la scène ; ils n’ont rien dit. [11] Cette passivité ne signifie pas nécessairement l’accord du “public”, mais prouve qu’un travail de dénonciation est nécessaire pour faire passer ce genre d’attitude dans l’ordre de l’impensable et l’inacceptable. Le racisme banalisé se trouve aussi là, dans le non-dit.
Les deux cas présentés ci-dessus ne sont que des exemples, parmi tant d’autres. Un Centre d’étude à l’Université de San Bernadino en Californie affirme que les violences envers les américains asiatiques ont très fortement augmenté en 2020 [9]. Ces insultes racistes sont particulièrement alarmantes. Actes de violence et de haine, ils déferlent dans le monde sportif et ont un impact considérable. Néanmoins, des gestes de protestations diffusés en direct ou via les réseaux sociaux par les sportifs professionnels permettent de transmettre des messages politiques et leur engagement dans la cause anti-raciste. [12]
Lexique
*Mysogynoir: Ce terme, inventé Moya Bailey, une académique queer noire et féministe, désigne une forme de misogynie envers les femmes noires dans laquelle la race et le genre jouent un rôle concomitant.
** Hyperandrogénie: Cela désigne une surproduction de testostérone.
Sources
[1] V. Sassoon, “Sport et discrimination : le regard des media”, Séminaire organisé par le secrétariat de la Campagne Dites Non à la discrimination du Conseil de l’Europe, disponible sur www.coe.int, consulté le 24 septembre 2021.
[2] T. Delaunay, “ Contre le racisme, le monde du sport va boycotter les réseaux sociaux ce week-end”, disponible sur www.huffingtonpost.fr, publié le 30 avril 2021.
[3] Le Figaro, “Euro: après la finale perdue, flot d'insultes racistes sur trois joueurs anglais”, disponible sur www.lefigaro.fr , publié le 17 juillet 2021.
[4] Le Monde, “ Euro 2021 : Boris Johnson dénonce les insultes racistes visant des joueurs anglais après leur défaite en finale”, disponible sur www.lemonde.fr, publié le 12 Juillet 2021.
[5] K. Wachter, “Le racisme dans le football –le football contre le racisme L'expérience de fare”, disponible sur www.un.org, consulté le 25 septembre 2021.
[6] A. Oualhaci, “ Etre sportif et racisé, entre essentialisation et émancipation”, in Omar Slaouti et al., Racismes de France, La Découverte, Paris, 2020, p. 311.
[7] Tout va bien, “Caster Semenya ou comment le sexe est une construction sociale”, disponible sur www.toutvabien.tv, publiée le 19 avril 2021.
[8]A. Oualhaci, “Être sportif et racisé, entre essentialisation et émancipation”, in Omar Slaouti et al., Racismes de France, La Découverte, Paris, 2020, p. 318.
[9] E. Degbe, “Contre le racisme anti-asiatique aux Etats-Unis, les prises de paroles se multiplient” disponible sur https://www.huffingtonpost.fr, publié le 25 avril 2021
[10] Ouest-France, “Racisme. La championne olympique de snowboard Chloe Kim bombardée d’insultes anti-asiatiques” disponible sur https://www.ouest-france.fr, publié le 2 avril 2021
[11] J. Harvey “ U.S. Olympic Athlete Sakura Kokumai Targeted in Racist Attach”, disponible sur https://www.huffpost.com, publié le 4 septembre 2021
[12] E-Tvsport, “Des gestes de protestation restés mémorables dans le monde su sport”, disponible sur https://www.sports.fr, publié le 25 septembre 2017
par racism-search | Juin 6, 2022 | Mini-Séries, Personnages
George Washington Williams (1849-1891)
Débuts dans l’armée
Georges Washington Williams est un Afro-Américain, né en 1849 de parents affranchis, dans l’État de Pennsylvanie. Il quitte tôt les bancs de l’école pour s’engager en 1864, alors qu’il est encore mineur, dans la 41ème troupe américaine de couleur de l’armée de l’Union. La guerre de Sécession fait rage ; les États esclavagistes et sécessionnistes du Sud font face aux États abolitionnistes et unionistes du Nord. Williams participe ainsi à plusieurs batailles.
Comme de nombreux autres vétérans de cette guerre, il s’engagera ensuite dans l’armée de la République du Mexique pour démettre l’Empereur Maximilien, mis au pouvoir suite à une expédition française. N’ayant qu’une expérience militaire, à son retour du Mexique en 1867, il s’enrôle dans un régiment de cavalerie qui combat les Amérindiens des Plaines (1)
Études et expériences
Il étudie brièvement à l’université noire de Howard puis se dirige vers des études théologiques à la Newton Theological Institution, il parvient à faire sa licence en 2 ans et acquiert une belle plume alors qu’il était quasiment illettré au sortir de l’armée. Il est le premier afro-américain à être diplômé de cet établissement. (3)
Les années suivantes, il enchaînera entre l’exercice de son métier de pasteur et son inclinaison pour le journalisme en créant ses propres titres.[b][c] Et ce, dans plusieurs villes du pays de Boston, Massachusetts à Cincinnati, Ohio. (1)
En 1879, alors qu’il n’ a que 30 ans, il décide de se représenter aux législatives de cet État. Il est élu à l’assemblée d’Ohio, le premier afro-américain à l’être, et se bat pour obtenir l’abrogation de la loi interdisant les mariages dits ”interraciaux”. Au même moment, il étudie le droit auprès du père du Président américain Williams Howard Taft.
Historien conséquent
En 1882 et 1883, George W. Williams publie un ouvrage conséquent en 2 volumes : “ Histoire de la race noire en Amérique de 1619 à 1880. Les Noirs comme esclaves, comme soldats et comme citoyens, avec une considération préliminaire sur l’unité de la famille humaine, un résumé historique de l’Afrique et un rapport sur les gouvernements noirs de la Sierra Leone et du Libéria[d][e][f]” dans lequel il traite des premiers royaumes africains jusqu’aux lendemains de la guerre de Sécession. Il est reconnu comme un pionnier par ses pairs car il utilise de nombreuses sources non-traditionnelles pour étayer son propos. (1)
Il fait alors de très nombreuses conférences dans tout le pays. Il rencontre de nombreuses personnalités américaines phares de l’époque : le poète Wadsworth Longfellow, les présidents Hayes et Cleveland…
Pris dans cet élan, il démultiplie les initiatives en faveur des vétérans de l’Union, de la mémoire de l’esclavage, travaille comme avocat, et continue à envoyer de nombreux articles aux journaux. (1)
Les prémices du Congo
Lors d’une réunion avec le Président Arthur, il est présenté à Henry S. Sanford, ancien ambassadeur américain en Belgique, devenu l’envoyé de Léopold II pour faire reconnaître le Congo par les Etats-Unis. Williams voit rapidement dans ce nouvel État, l’opportunité pour les Afro-américains à laquelle il aspirait dans son discours de fin d’étude; une possibilité pour eux de faire cesser l’asservissement des Africains et de progresser dans la société africaine, qui ne les limiterait pas.
Il devient alors un avocat énergique de la reconnaissance du Congo, en ajoutant le sujet à ces conférences, en écrivant à la commission compétente du Sénat, et aussi en proposant aux services de Léopold de recruter des Afro-américains au Congo. (1)
En 1889, il se rend à la conférence contre l’esclavage de Bruxelles. A cette occasion il s’entretient avec Léopold II, qui lui fait forte impression en disant : « Mon œuvre Là-bas est accomplie comme un devoir chrétien à l’égard du pauvre Africain ; je ne souhaite pas récupérer un centime de tout l’argent que j’ai dépensé.». Leopold II, très intéressé par le projet de Wiliams de faire travailler des Afro-américains au Congo, ne dit pas ces mensonges sans arrière-pensée. (1)
Lorsqu’il retourne aux Etats-Unis, et vente ce nouveau projet à un collège noir de l’Etat de Virginie, qui l’acceuillle avec scepticisme. Il met dès lors ce projet en pause et décide de se rendre au Congo pour rassembler la documentation nécessaire pour un nouveau livre. Méfiant quant aux intentions de Williams, Léopold II met tout en œuvre pour le décourager d’entreprendre ce voyage et lui demande de reporter son voyage de 5 ans en stipulant que tous les renseignements nécessaires me seraient fournis à Bruxelles” (6). Mais George W. Williams ne flanche pas, il ira au Congo.
L’enfer de l’Etat indépendant du Congo
Seulement en arrivant au Congo, il se rend compte que le Congo n’est pas la colonie gouvernée avec bienveillance que décrivait l’explorateur Stanley (voy. à ce sujet l’article « Stanley, les prémices de la colonisation »).Arrivé à Stanley Falls (capitale de l’époque), il écrit une Lettre ouverte au roi sur ce qu’il décrit comme “la Sibérie du continent africain” (7).
Williams fixe rapidement le cadre en commençant ainsi : “Toutes les accusations que je suis en train de porter contre le gouvernement personnel de votre majesté au Congo a fait l’objet d’une enquête minutieuse ; une liste de témoins compétents et crédibles, de documents, de lettres, de rapports et de données officielles, a été préparé avec exactitude minutieuse.”
Il rédige ensuite les accusations graves qui seront portées, plus de dix ans plus tard, par le mouvement international de protestation contre la situation au Congo.
Le combat d’une vie
Trois mois après, George Washington Williams écrit Un Rapport sur l’État et le Pays du Congo au Président de la République des États-Unis d’Amérique dans lequel il réitère ses accusations. Il affirme dedans que les États-unis avaient une responsabilité particulière sur le sort du Congo pour avoir reconnu et ainsi donné une réalité à cet État complètement artificiel. À la manière de sa première Lettre ouverte, il utilise des exemples personnels pour illustrer ses accusations : “On m’a offert des esclaves en plein jour; et la nuit, j’ai découvert des pirogues pleines d’esclaves liés solidement les uns aux autres”. Il conclut en demandant au président que ce gouvernement oppressif soit remplacé par un régime “local, et non européen; international et non national, juste et non cruel” (9).
Dans une nouvelle lettre au Secrétaire d’Etat américain (équivalent du/de la Ministre des Affaires étrangères), il estime que Léopold II est coupable de “crime contre l’humanité”; un terme encore jamais utilisé à cette époque et qu’on retrouvera plus de 50 années plus tard dans le procès des dignitaires nazis à Nuremberg. (10)
Déflagration internationale et fin prématurée
Dès la publication de sa Lettre ouverte à son retour d’Afrique, distribuée en Europe et aux États-Unis, le New York Herald lui consacra une colonne (11), la presse parisienne parle “d’un vrai scandale”. En Belgique, La Réforme et le Courrier de Bruxelles soutiennent le propos de Williams, malgré la campagne de Léopold II contre lui. (1)
Il finit son tour de l’Afrique et rencontre sa femme anglaise, sur la route du retour. Seulement la tuberculose qu’il a contracté au Caire (12) s’aggrave. Il meurt le 2 août 1981 à Blackpool en Angleterre, sans avoir pu entamer son projet de livre sur le Congo de Léopold II.
L’œuvre de George W. Williams constitue un jalon marquant de la littérature des droits de l’homme. Il restera comme l’homme audacieux, qui s’est dressé contre le roi et le racisme de l’époque. (1)
Sources:
(1) Adam Hochschild, Les Fantômes du roi Léopold, Chapitre VII : Le premier hérétique, p.176-196 (édition Tallandier)
(2) J.H. Franklin, George Washington Williams…, p. 10-11
(3) Blight, David (2001). Race and Reunion: The Civil War in American Memory. Cambridge: Belknap Press of Harvard University Press. p. 169
(4) Berlin, Ira (August 15, 1999), « Soldier, Scholar, Statesman, Trickster » (review of new edition of John Hope Franklin’s biography of George Washington Williams), The New York Times. Retrieved October 26, 2018.
(5) F. Bontick, Aux origines de l’Etat…, p.221 et 442
(6) George Washington Williams, Report on the Congress states and the Country to the President of the Republic of United States of America, p.265
(7) Wiliams à Huntington, 14 avril 1890, cité dans J.H Franklin, George Washington Wiliams…, p.191
(8) G.W Williams, An Open Letter to His Serene Majesty Leopold II, King of The Belgians and Sovereign of the Independent State of Congo, p. 243 254
(9) G.W Williams, A Report on Congo State …, p.277-279
(10) Wiliams à Blaine, 15 septembre 1890, cité dans F.Bontinck, Aux origines de l’Etat…, p.449
(11) New York Herald, 14 avril 1891
(12) Jr, Henry Louis Gates; Higginbotham, Evelyn Brooks (2004-04-29). African American Lives. Oxford University Press. pp. 890–892.