Assa Traoré

Assa Traoré

« Nous avons des droits mais si l’on ne sait pas les utiliser, ça ne sert rien »

 

Assa Traoré

 

Assa Traoré. KENZO TRIBOUILLARD/AFP

Militante très connue en France mais aussi chez nous en Belgique, Assa Traoré ne cesse de se battre pour que la justice soit rendue pour la mort de son frère, Adama Traoré, victime de violences policières. Elle est même vue, à seulement 36 ans, comme un emblème vivant de la lutte contre le racisme et les violences policières en France. Née le  janvier 1985  dans le 9ème arrondissement de Paris, elle est issue d’une famille polygame orginaire du Mali. Elle considère les 4 femmes de son père comme ses mères et a 17 frères et sœurs. Assa et son frère Adama n’ont pas la même mère mais cette famille est si soudée que les deux épouses vivent ensemble à Beaumont-sur-Oise.

Dès le CM2 (qui équivaut à la dernière année primaire en Belgique), Assa Traoré voit naître en elle un intérêt pour le métier d’éducatrice, après la présentation des éducatrices de la protection judiciaire de la jeunesse, dans sa classe. Elle obtient son diplôme en 2007, et travaille à Sarcelles pour la fondation OPEJ- Baron Edmond de Rothschild (ancien réseau résistance pour la protection des enfants juifs) jusqu’en 2019.

A 23 ans, elle quitte le foyer familial mais reste la cheffe de sa famille depuis la mort de son père en 1999. C’est une des raisons pour lesquelles elle continue la lutte pour la mort de son frère. Une lutte contre un Etat français, sa police et sa justice qui, selon elle, sont profondément ancrés dans le racisme institutionnel et systémique. 

C’est en 2016 que le  combat commence pour cette mère de 3 enfants lorsque son frère, Adama Traoré, meurt à la suite d’une interpellation policière. En effet, certaines expertises médicales indiquent que l’asphyxie est la cause de la mort du jeune Traoré; tandis que la police, elle, appuie sur les antécédents médicaux  de ce dernier. Assa Traoré a rédigé deux ouvrages qui mettent en lumière cette lutte pour la justice. Elle a co-écrit “Lettre à Adama” avec Elsa Vigoureux qui traite de L’affaire Adama, aux éditions Le Seuil en 2017. Elle rédige également aux côtés de Geoffroy de Lagasnerie “Le combat Adama” sorti aux éditions Stock en 2019. 

 

Sources

[1] https://www.liberation.fr/france/2016/09/06/assa-traore-le-droit-de-savoir_1486795/
[2] https://www.nouvelobs.com/societe/20170517.OBS9529/10-choses-a-savoir-sur-assa-traore.html
[3] https://www.closermag.fr/politique/adama-traore-qui-est-sa-soeur-assa-1125944
[4] https://www.babelio.com/auteur/Assa-Traore/435176
[5] https://www.jeuneafrique.com/1116124/societe/assa-traore-les-noirs-et-les-arabes-ne-sont-pas-en-securite-en-france/
La Prison

La Prison

La Prison

 

Le reflet d’un racisme structurel.

Emiliano Bar, 2019, Alcatraz San Francisco USA, Unsplash, accessed 02.01.2024, https://unsplash.com/photos/empty-prisoner-cell-OeAWU9VSHzo

Introduction 

Les établissements pénitentiaires sont des lieux dans lesquels se retrouvent un mélange de cultures et d’origines. L’incarcération de masse des personnes racisées participe activement à renforcer les inégalités et les stéréotypes. Les faits de discriminations fondés sur la couleur de peau ou la religion sont courants et reflètent les problèmes rencontrés en dehors des murs des prisons. Dans cet article, nous allons aborder le problème du “racisme dans le milieu carcéral”.  Afin de définir au mieux les différents enjeux, il est important de contextualiser et de donner quelques chiffres. 

 

La Prison: le Reflet d’un Racisme Structurel

Nous nous concentrerons principalement sur les situations belges et françaises. Il est important de le préciser car le racisme en prison ne s’y manifeste pas de la même façon que dans d’autres pays, les États-Unis par exemple.  Aussi la Belgique compte 35 établissements pénitentiaires [1] dans lesquels sont enfermés 10’808 détenus [2] . Parmi ceux-ci, on estime que 44% de la population pénitentiaire est constituée de personnes n’ayant pas la nationalité belge [2]. Au -delà de ce premier fait, un deuxième constat est marquant : la surreprésentation des personnes racisées, souvent issues de classes populaires dans ce milieu.  Ces constats reflètent un racisme structurel qu’il est parfois difficile de déceler. 

Le problème du racisme est présent dans tous les aspects de la boucle pénale, et commence dès lors au sein même des institutions étatiques et plus précisément de la justice et des forces de l’ordre. Il s’agit du premier vecteur par lequel une différence de traitement est appliquée [3]. Ainsi, Jacques Toubon, défenseurs des droits, explique que des pratiques policières se traduisaient par un « profilage racial et social » lors des contrôles d’identité. À Paris, des ordres et consignes discriminatoires enjoignant de procéder à des contrôles d’identité de « bandes de Noirs et de Nord-Africains » et des évictions systématiques de « SDF et de Roms » ont été diffusés.”

Ces actes sont définis comme des contrôles de faciès et peuvent mener à des violences policières ainsi que des jugements de condamnations disproportionnés au détriment des personnes racisées [3]. En Belgique, de nombreuses associations et institutions dénoncent depuis longtemps les pratiques de profilages mais aussi les violences policières dont font particulièrement l’objet les personnes racisées [4][5]. 

 

Si vous faites l’objet ou si vous êtes témoins de violences policières, nous vous invitons à vous rendre sur le site “https://policewatch.be/” qui vous aiguillera vers différents services que cela soit pour porter plainte, témoigner et/ou se remettre de cet épisode traumatique. 

 

Le racisme se retrouve aussi au sein de notre système pénal, dans la mesure où lorsque l’on est étranger et/ou sans domicile fixe, il est plus courant de faire de la détention provisoire. En effet, la décision de placer un individu en détention provisoire, c’est-à-dire le fait de se faire enfermer en attente d’un procès,  se base sur différents critères et notamment le risque de se soustraire à la justice. Ce risque serait supposément plus facile si l’on est étranger (retour dans son pays) ou sans domicile fixe (pas de résidence où la personne peut être assignée). 

 


Réflexion : si en théorie on peut comprendre ce raisonnement, il participe à alimenter un système raciste et classiste. Il contribue aussi à alimenter la surpopulation et donc les conditions inhumaines dans les prisons belges, puisque ⅓ des détenus sont en détention provisoire.  De plus, on s’interroge sur la pertinence d’un tel critère, une personne poursuivie par exemple pour fraude fiscale n’a-t-elle pas plus de moyens pour quitter le territoire belge? 


 

Au sein des établissements carcéraux, tant les détenus que les gardiens évoquent un nombre important de comportements racistes. Lors d’une étude sur le racisme dans le milieu carcéral, plusieurs détenus ont témoigné des inégalités auxquelles ils faisaient face : 

« Les détenus et, dans certains cas, les surveillants ont des préjugés. Il y a de bons surveillants ici mais, c’est un fait, il existe du racisme. Ça se perçoit dans la façon dont on est traité, dans l’attitude et le comportement. Vous pouvez le sentir. Pourquoi est-ce que l’on vous traite différemment ? Vous, vous attendez certaines choses depuis trois mois et, en fin de compte, c’est un autre qui parvient à obtenir les mêmes choses plus rapidement que vous. Bien entendu, vous vous posez la question : « elle est où, la différence ? ». La seule différence, c’est la religion et la couleur de peau » [6]

Le dernier numéro du journal “La Brèche” met également en lumière d’autres éléments qui contribuent au racisme au sein de nos établissements, notamment dans différents aspects de la lutte contre la radicalisation en prison et dans la criminalisation des drogues. Nous vous renvoyons dès lors vers ce numéro [7]. 

Enfin, lors de la sortie de prison, un énorme stigmate pèse sur les personnes détenues ce qui rend plus complexe leur réinsertion: accès au logement, à l’emploi, rupture des liens familiaux et amicaux, poids du casier judiciaire…[8] Pour les personnes racisées, il s’agit une nouvelle fois d’une double “peine” puisque l’accès au logement ou à l’emploi par exemple sont des situations où le racisme systémique se manifeste une fois de plus. 

 

Situation Réelle des Personnes Incarcées

La situation réelle des personnes incarcérées est souvent bien loin de ce qui est promu par les textes législatifs internationaux et propres à l’institution. La population (ou “sur”population) présente derrière les barreaux est très hétérogène ; la prison recense un grand nombre de “cultures” différentes. Souvent causes de multiples soucis, les barrières linguistiques et culturelles sont représentatives d’un racisme systémique présent. 

 

Barrière linguistique 

“La discrimination fondée sur […] la langue […] est interdite par tous les instruments mondiaux et régionaux des droits de l’homme” (Nations Unies, 2004) [9].

 

Pour rappel, en Belgique, il y a trois langues nationales: le français, le néerlandais et l’allemand. Beaucoup de personnes incarcérées ne parlent pas la langue du pays dans lequel elles se trouvent au moment de cette incarcération. En France, certains chiffres de l’Education nationale affirment que 6% des personnes incarcérées ne parlent pas le français et 8% éprouvent beaucoup de difficulté [11].  Dès lors, sans moyen de communication, le nombre de freins à l’intégration augmente encore d’avantage.  D’ailleurs, en Belgique, en 2017, 44% des personnes incarcérées sont d’origine étrangère [12]. Cela pose souvent des soucis pour la compréhension de la situation et ne permet pas une bonne communication entre les membres représentants l’institution carcérale (comme les agents pénitentiaires) et les détenus. Pourtant, tout prisonnier, qu’importe le pays où il se trouve, doit recevoir les informations utiles concernant sa situation dans une langue qu’il comprend.  C’est pour cette raison que plusieurs formations existent au sein de la prison. Plusieurs d’entre elles ont comme objectif d’apprendre la langue “nationale” (de la prison). Néanmoins, la prison referme rapidement les portes de son château fort. Le manque de personnel, les grèves ou les pandémies empêchent souvent les services extérieurs à la prison (et donc les formations) d’entrer. 

Chomel Javotte, formatrice en français et langues étrangères en maison d’arrêt, a pu repérer plusieurs raisons pour lesquelles ne pas savoir communiquer dans une langue connue stigmatise, empêche l’individu d’avancer et rend le quotidien compliqué. 

  • Connaître les règles internes à la détention
  • Circuler en détention et en avoir la permission
  • Accéder aux premiers soins 
  • Gérer sa situation pénale
  • Accéder à des activités et formations
  • Participer aux échanges collectifs [10] 

Il n’y a bien évidemment pas que les soucis propres aux contacts avec l’institution. Comme elle le souligne : le langage est davantage une fonction qu’un outil. Il permet de rentrer en relation avec autrui et avec soi-même. La barrière linguistique empêche rapidement la personne en détention à se reconstruire grâce aux “peu” d’outils proposés par l’institution. En plus de cela, cela empêche les contacts et enferme la personne dans une position “faible”. Les barrières linguistiques ont un impact réel sur les conditions de vie des personnes détenues. 

 

Barrière Culturelle 

Au-delà de la différence de la langue, il existe une diversité culturelle qui peut poser des problèmes. Pourquoi parlons-nous de barrière ? Car il existe une quasi négation de la culture des détenus au sein de leur prison belge. En effet, bien que le droit à la culture soit reconnu par la constitution belge, il n’est jamais réellement considéré pour les personnes détenues. Ce droit se retrouve associé à d’autres activités dites “formation et de loisirs” au lieu d’avoir ses propres modes d’action et de développement [13]. En mettant la culture  sous la coupole de “formation et de le loisirs”, elle se retrouve limitée à des activités culturelles de type artistiques au lieu de viser le maintien des relations des détenues avec leur culture étrangère. 

Puisque La culture détermine plusieurs aspects de la personnalité d’un individu, il est important de la prendre en compte dans l’analyse des rapports en  prison. Les personnes dites  étrangères se retrouvent dans un fonctionnement (judiciaire comme pénitencier)  différent  et cela peut avoir un impact négatif sur leur mental. 

Par culture, on entend aussi la religion. Chaque religion à ses codes et ses chefs religieux. Malheureusement, il est à constater que certaines de ses personnes de contact et/ ou chef religieux ont dû/ doivent  se déplacer bénévolement en prison, ce qui, de facto,  diminue  leur présence [14]. Cela a par exemple été le cas des imams jusqu’à l’arrêté royal du 17/05/2019 qui leur octroie officiellement une rémunération comme tout autre représentant de culte. Dans le but de lutter contre la radicalisation, l’arrêté royal de 2016 avait déjà fait une avancée en augmentant le nombre de conseillers islamique à 26 au lieu de 17. 

 


Réflexion:   En ayant connaissance des stéréotypes existant autour de la religion musulmane ainsi que les raisons qui ont poussé à cette élargissement du nombre de conseillers musulmans, plusieurs questions se posent. Nous pouvons nous demander si ces avancées légales ont un réel lien avec la volonté d’assurer un accès à leur religion aux détenues, ou si, elles ont été mises en place dans le but de participer aux  préjugés que subissent les personnes de confession musulmane. 


 

De plus, le personnel pénitentiaire n’a aucune formation sur les règles et coutumes propres à chaque communauté [15]. Les prisons belge ayant  beaucoup de profils étrangers  des formations devraient être fournies au personnel sur l’ouverture culturelle afin de déconstruire certains stéréotypes. Enfin,  comme cela a été le cas lors la création des “ghetto”,  les differents nationalités se retrouvent généralement regrouper par cellule ou par bloc [15]. 

 


Réflexion:  Bien qu’on puisse voir cela comme une envie de réunir les personnes partageant la même culture,  cette pratique pourrait avoir un aspect négatif selon nous. En effet, nous trouvons que ce communautarisme forcé est une barrière à la diversité et à la  déconstruction des stéréotypes.


Les différents éléments expliqués tout au long de cet article nous amène donc à considérer que les barrières linguistiques et culturelles font partie intégrante du racisme systémique. 

 

 
Sources

[1] DG EPI, Rapport annuel 2017, 2017, p.8. 
[2] Ces chiffres datent du 31 janvier 2020. Voy. M. F. AEBI et M. M. TIAGO – SPACE (Council of Europe Annual Penal Statistics), Prison Populations. SPACE 1 -2020, Conseil de l’Europe, Strasbourg, mis à jour le 11 avril 2021, p. 62
[3] GENEPI, “Pour un Genepi antiraciste”, disponible sur www.genepi.fr, consulté le 8 mars 2021, p. 2.
[4] Unia, Identifier et affronter des problèmes et abus dans la sélectivité policière. Une recherche-action sur les pratiques et/ou mécanismes problématiques de sélectivité policière au sein de la zone de police Schaerbeek-Evere-St-Josse (PolBruNo), 2020. 
[5] N. Kumba, “Répertoire des violences policières”, disponible sur zintv.org, consulté le 15 mars 2021. 
[6] Les musulmans en prison en Grande-Bretagne et en France, James A. Beckford, Danièle Joly, Farhad Khosrokhavar,   Presses Universitaires de Louvain, 2005, p. 208.
[7] Genepi Belgique,“Racisme et criminalisation: des populations dans le viseur”, La Brèche, n° 4, 2022. 
[8] B. Liaras et S. Dindo, “Le poids du stigmate”, disponible sur oip.org, consulté le 15 mars 2021. 
[9] Nations Unies.”Les droits de l’homme et les prisons. Manuel de formation aux droits de l’homme à l’intention du personnel pénitentiaire”, 2004
[10] Chomel, J. “Intervenir en dispositif de formation linguistique en milieu carcéral. VST - Vie sociale et traitements”. 2014, 124, 62-68. https://doi.org/10.3917/vst.124.0062
[11] OIP. “Quand la prison redouble la barrière de la langue”. Disponible sur https://oip.org/analyse/ Publié le 2 février 202.
[12] Prison Insider. “Belgique: les prisons en 2021. Populations spécifiques.” Disponible sur https://www.prison-insider.com/fichepays/belgique-2021
[13]Bibiana Vila Giménez “Su l’action culturelle en milieu carcéral “ dans « Neuf essentiels pour » Des outils pour vivre ensemble” culture & democratie 2015 p22.
[14] S. Snacken,“ Etranger  dans les prisons Belges : problème et solutions possible - rapport d’étude”, Vrij universiteit Brussel  p.55
[15] S. Snacken,“ Etranger  dans les prisons Belges : problème et solutions possible - rapport d’étude”, Vrij universiteit Brussel  p.56

				
					
L’avidité de Léopold II

L’avidité de Léopold II

L’avidité de Léopold II 

Lors de la Conférence de Berlin Léopold II a raflé la plus grosse mise sans même être présent

26 avril 2021

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François Maréchal – Le Frondeur (Liège, Belgique), 20 Décembre 1884

Début d’année 1884, le chancelier allemand Otto von Bismarck organise la Conférence de Berlin. D’une part, afin d’apaiser les tensions géopolitiques qui règnent en Europe, et d’autre part, afin de se faire une place dans le jeu de chaises musicales sur le continent africain. Le 15 novembre 1884, les représentants des 14 grandes puissances mondiales se réunissent à Berlin pour discuter du sort de l’Afrique. Les pays présents sont les suivants: l’Angleterre, le Portugal, la France, l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, les USA, l’Espagne, l’Autriche-Hongrie, la Suède-Norvège, le Danemark, l’Italie, l’Empire Ottoman et la Russie. Nulle trace d’un pays africain à cette conférence donc.

Durant 3 mois, les représentants abordent les questions de la liberté de commercer dans le bassin du Congo; la liberté de navigation dans le bassin du Congo et du Niger; les règles à observer lorsque les côtes seront occupées; l’abolition de l’esclavage en Afrique centrale et le rôle des missions religieuses. Tout cela ayant, bien évidemment, une visée humaniste que Bismarck ne manque pas de rappeler au début de la Conférence. Le but de cette réunion de puissances mondiales est d’ouvrir l’Afrique aux bienfaits de l’économie et du commerce, ainsi qu’à la « civilisation »(2). 

Qui de mieux concerné par le Congo que ce très cher Léopold II de Belgique ? Pourtant grand absent de la Conférence. Cela ne l’a pas empêché de resserrer son emprise sur le Congo, d’en tirer profit et de créer l’histoire que nous connaissons aujourd’hui. Des sources affirment  que les télégrammes se faisaient très fréquents entre Berlin et Bruxelles, et qu’il connaissait la situation comme s’il y était.

Contextualisation

Suite à l’appropriation des territoires dits de Brazza par la France, Léopold II prend peur et propose à la France un pacte risqué : si la France cède le territoire à la Belgique en cas d’échec de gestion du territoire, toutes les terres que la Belgique possède en Afrique iront à la France. En parallèle, des tensions montent entre le Portugal et l’Angleterre qui se disputent les emplacements sur la côte, tandis qu’à l’est les commerçants arabes gagnent du terrain.

Pour  remédier à ces tensions, Bismarck organise la conférence de Berlin. Cette réunion marquera un tournant pour le continent africain. Celui-ci sera découpé et partagé entre les puissances européennes comme on le fait avec un gâteau. C’est en profitant du contexte géopolitique que Léopold II parvient à tirer son épingle du jeu.

En effet, les puissances de l’époque craignaient la France et ne la voulaient surtout pas comme voisine en Afrique de peur qu’elle ne s’approprie les territoires des autres pays. C’est le cas du Congo où tout autour se trouvaient des colonies portugaises. Le Portugal préfère un voisin comme la Belgique qui n’est pas apte à se lancer dans une nouvelle conquête (3).                    

Mais alors pourquoi l’Allemagne et l’Angleterre acceptent que ce soit la Belgique qui occupe le territoire alors qu’ils ne se sentent pas particulièrement menacés par la France ?

Ils  acceptent parce que la Belgique ne fait pas peur et promet des accords de libre-échange importants. Ce qui permettra aux européens d’avoir accès aux ressources à bas coût. Contrairement à la Belgique, la France était une grande puissance. Elle pouvait donc imposer sa propre volonté, ne pas céder aux accords de libre-échange et donc imposer de fortes taxes.

Les 14 pays finiront par accepter. Àla fin de la conférence, l’État indépendant du Congo (EIC) est créé. C’est le début de l’officialisation de la colonisation belge.

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Pour décider des frontières du nouvel Etat, une carte de l’Afrique dans laquelle Stanley avait rapidement tracé au crayon les frontières du Congo sans suivre de logique particulière. Pourtant cette carte fut acceptée par Bismarck (4).

Trois mois et demi après le début de la conférence, son Acte Général définit des zones de libre-échange dans le bassin du Congo. On y trouve une volonté de liberté de navigation pour les Européens sur les grands fleuves africains, à savoir le Niger et le Congo. Bien que l’on puisse y trouver quelques principes contre l’esclavage et la traite musulmane, ainsi que le commerce de l’alcool et une opposition aux armes à feu, cet acte reconnaît sutout au roi des Belges, Léopold II, la possession à titre privé d’un vaste territoire au coeur de l’Afrique australe, baptisé “État indépendant du Congo” (EIC). 

Pour ce faire, avant même le début de la conférence, Léopold II obtient la reconnaissance de l’Allemagne, puis celle de la France qui, pourtant réticente au départ, cède après un accord sur le tracé de la frontière du Congo français, et de la promesse d’une “option” sur l’Association Internationale du Congo (AIC) de Léopold II dans l’éventuel cas d’une dissolution. Léopold II parvient aussi à signer un traité avec le Portugal le 15 février 1885 (5).

Les revendications de Léopold II sont évoquées le 23 février 1885,  à la fin de la conférence. Cependant, le tracé des frontières du futur Etat Indépendant du Congo (EIC) ne figure pas dans l’Acte Général. Léopold II réussit donc à se constituer un territoire immense situé au cœur de l’Afrique. L’AIC devient l’État Indépendant du Congo et Léopold II en devient le «roi-souverain». Le nom du pays est équivoque. En effet, l’État n’est pas gouverné par un chef d’État autochtone, mais par un souverain étranger qui le considère comme sa propriété privée. En rupture avec l’ordre habituel des choses, l’EIC se dote d’un gouvernement, seulement après avoir été reconnu comme un État. Léopold II envoie alors ses mercenaires qui installent un régime militaire(6). 

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Enfin Léopold II en profite pour fonder trois sociétés très puissantes pour exploiter les ressources des sous-sols de son nouveau territoire :

  • L’Union Minière du Haut-Katanga qui a pour objectif “d’assurer la mise en valeur des richesses des sous-sols katangais ».
  • La compagnie des Chemins de Fer du Bas-Congo au Katanga (BCK)
  • La Société Forestière et minière du Congo qui exploite principalement le diamant, les mines d’or et les mines d’argent (7).

En outre, le grand gagnant de la conférence est l’homme qui pourtant en était absent : le roi Léopold II. Il obtient le port maritime de Matadi, sur la partie inférieure du fleuve, et les terres dont il avait besoin pour construire une voie ferrée à Stanley Pool en contournant les rapides. 

Dans son discours de clôture aux délégués, le chancelier Bismarck déclare : 

Le nouvel Etat congolais est destiné à être l’un des exécuteurs les plus importants du travail que nous avons l’intention de faire, et je vous exprime les meilleurs vœux pour son développement rapide et pour la réalisation des nobles aspirations de son illustre créateur” (8).

Sources

  1.  J.M. Daniel, “15 novembre 1884 : la conférence de Berlin partage l’Afrique”, Le Nouvel Economiste, 15/11/2017.
  2.  J.J. Alcandre, « La Conférence de Berlin 15 novembre 1884 – 26 février 1885 », Allemagne d’aujourd’hui, vol.  217, no. 3, 2016, pp. 90-97, p.94.; A. Hochschild, Les fantômes du Roi Léopold II: un holocauste oublié, Paris, Belfond, epub, 2005, p. 124.
  3.  D. Van Reybrouck, Congo: Une histoire, Arles, Actes Sud, 2012 (Lettres néerlandaises), pp. 72-74.
  4.  D. Van Reybrouck, pp. 72-74.
  5.  Hérodote.net, “26 février 1885, La conférence de Berlin livre le Congo au roi des Belges”, 01/01/2019.
  6.  Académie de Paris, “La conférence de Berlin et le partage de l’Afrique”, 29/05/2019.
  7. T. GASTON-BRETON, “L’union minière du Haut-Katanga, creuset de l’atome”, Les Echos, 30/07/2008.
  8. A.Hochschild, p.125.
Lors de la conférence de Berlin, Leopold II a raflé la plus grosse mise sans meme etre présent

Lors de la conférence de Berlin, Leopold II a raflé la plus grosse mise sans meme etre présent

Début d’année 1884, le chancelier allemand Otto von Bismarck organise la Conférence de Berlin. D’une part, afin d’apaiser les tensions géopolitiques qui règnent en Europe, et d’autre part, afin de se faire une place dans le jeu de chaises musicales sur le continent africain. Le 15 novembre 1884, les représentants des 14 grandes puissances mondiales se réunissent à Berlin pour discuter du sort de l’Afrique. Les pays présents sont les suivants: l’Angleterre, le Portugal, la France, l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, les USA, l’Espagne, l’Autriche-Hongrie, la Suède-Norvège, le Danemark, l’Italie, l’Empire Ottoman et la Russie. Nulle trace d’un pays africain à cette conférence donc.

Caricature de 1885 titrée « Découpage de l’Afrique à la conférence de Berlin – À chacun sa part, si l’on est bien sage. » Journal L’Illustration. ©Getty

Durant 3 mois, les représentants abordent les questions de la liberté de commercer dans le bassin du Congo; la liberté de navigation dans le bassin du Congo et du Niger; les règles à observer lorsque les côtes seront occupées; l’abolition de l’esclavage en Afrique centrale et le rôle des missions religieuses. Tout cela ayant, bien évidemment, une visée humaniste que Bismarck ne manque pas de rappeler au début de la Conférence. Le but de cette réunion de puissances mondiales est d’ouvrir l’Afrique aux bienfaits de l’économie et du commerce, ainsi qu’à la « civilisation »(2).

Qui de mieux concerné par le Congo que ce très cher Léopold II de Belgique ? Pourtant grand absent de la Conférence. Cela ne l’a pas empêché de resserrer son emprise sur le Congo, d’en tirer profit et de créer l’histoire que nous connaissons aujourd’hui. Des sources affirment que les télégrammes se faisaient très fréquents entre Berlin et Bruxelles, et qu’il connaissait la situation comme s’il y était.

Contextualisation

Suite à l’appropriation des territoires dits de Brazza par la France, Léopold II prend peur et propose à la France un pacte risqué : si la France cède le territoire à la Belgique en cas d’échec de gestion du territoire, toutes les terres que la Belgique possède en Afrique iront à la France. En parallèle, des tensions montent entre le Portugal et l’Angleterre qui se disputent les emplacements sur la côte, tandis qu’à l’est les commerçants arabes gagnent du terrain.

Pour remédier à ces tensions, Bismarck organise la conférence de Berlin. Cette réunion marquera un tournant pour le continent africain. Celui-ci sera découpé et partagé entre les puissances européennes comme on le fait avec un gâteau. C’est en profitant du contexte géopolitique que Léopold II parvient à tirer son épingle du jeu.

En effet, les puissances de l’époque craignaient la France et ne la voulaient surtout pas comme voisine en Afrique de peur qu’elle ne s’approprie les territoires des autres pays. C’est le cas du Congo où tout autour se trouvaient des colonies portugaises. Le Portugal préfère un voisin comme la Belgique qui n’est pas apte à se lancer dans une nouvelle conquête(3).

Mais alors pourquoi l’Allemagne et l’Angleterre acceptent que ce soit la Belgique qui occupe le territoire alors qu’ils ne se sentent pas particulièrement menacés par la France ?
Ils acceptent parce que la Belgique ne fait pas peur et promet des accords de libre-échange importants. Ce qui permettra aux européens d’avoir accès aux ressources à bas coût. Contrairement à la Belgique, la France était une grande puissance. Elle pouvait donc imposer sa propre volonté, ne pas céder aux accords de libre-échange et donc imposer de fortes taxes.

Les 14 pays finiront par accepter. Àla fin de la conférence, l’État indépendant du Congo (EIC) est créé. C’est le début de l’officialisation de la colonisation belge.
Pour décider des frontières du nouvel Etat, une carte de l’Afrique dans laquelle Stanley avait rapidement tracé au crayon les frontières du Congo sans suivre de logique particulière. Pourtant cette carte fut acceptée par Bismarck (4).

Trois mois et demi après le début de la conférence, son Acte Général définit des zones de libre-échange dans le bassin du Congo. On y trouve une volonté de liberté de navigation pour les Européens sur les grands fleuves africains, à savoir le Niger et le Congo. Bien que l’on puisse y trouver quelques principes contre l’esclavage et la traite musulmane, ainsi que le commerce de l’alcool et une opposition aux armes à feu, cet acte reconnaît sutout au roi des Belges, Léopold II, la possession à titre privé d’un vaste territoire au coeur de l’Afrique australe, baptisé “État indépendant du Congo” (EIC).

Pour ce faire, avant même le début de la conférence, Léopold II obtient la reconnaissance de l’Allemagne, puis celle de la France qui, pourtant réticente au départ, cède après un accord sur le tracé de la frontière du Congo français, et de la promesse d’une “option” sur l’Association Internationale du Congo (AIC) de Léopold II dans l’éventuel cas d’une dissolution. Léopold II parvient aussi à signer un traité avec le Portugal le 15 février 1885 (5).

Les revendications de Léopold II sont évoquées le 23 février 1885, à la fin de la conférence. Cependant, le tracé des frontières du futur Etat Indépendant du Congo (EIC) ne figure pas dans l’Acte Général. Léopold II réussit donc à se constituer un territoire immense situé au cœur de l’Afrique. L’AIC devient l’État Indépendant du Congo et Léopold II en devient le «roi-souverain». Le nom du pays est équivoque. En effet, l’État n’est pas gouverné par un chef d’État autochtone, mais par un souverain étranger qui le considère comme sa propriété privée. En rupture avec l’ordre habituel des choses, l’EIC se dote d’un gouvernement, seulement après avoir été reconnu comme un État. Léopold II envoie alors ses mercenaires qui installent un régime militaire(6).

Enfin Léopold II en profite pour fonder trois sociétés très puissantes pour exploiter les ressources des sous-sols de son nouveau territoire :
* L’Union Minière du Haut-Katanga qui a pour objectif “d’assurer la mise en valeur des richesses des sous-sols katangais ».
* La compagnie des Chemins de Fer du Bas-Congo au Katanga (BCK)
* La Société Forestière et minière du Congo qui exploite principalement le diamant, les mines d’or et les mines d’argent (7).

En outre, le grand gagnant de la conférence est l’homme qui pourtant en était absent : le roi Léopold II. Il obtient le port maritime de Matadi, sur la partie inférieure du fleuve, et les terres dont il avait besoin pour construire une voie ferrée à Stanley Pool en contournant les rapides.

Dans son discours de clôture aux délégués, le chancelier Bismarck déclare :
“Le nouvel Etat congolais est destiné à être l’un des exécuteurs les plus importants du travail que nous avons l’intention de faire, et je vous exprime les meilleurs vœux pour son développement rapide et pour la réalisation des nobles aspirations de son illustre créateur” (8).

Sources

 

1. J.M. Daniel, “15 novembre 1884 : la conférence de Berlin partage l’Afrique”, Le Nouvel Economiste, 15/11/2017.
2. J.J. Alcandre, « La Conférence de Berlin 15 novembre 1884 - 26 février 1885 », Allemagne d'aujourd'hui, vol. 217, no. 3, 2016, pp. 90-97, p.94.; A. Hochschild, Les fantômes du Roi Léopold II: un holocauste oublié, Paris, Belfond, epub, 2005, p. 124.
3. D. Van Reybrouck, Congo: Une histoire, Arles, Actes Sud, 2012 (Lettres néerlandaises), pp. 72-74.
4. D. Van Reybrouck, pp. 72-74.
5. Hérodote.net, “26 février 1885, La conférence de Berlin livre le Congo au roi des Belges”, 01/01/2019.
6. Académie de Paris, “La conférence de Berlin et le partage de l’Afrique”, 29/05/2019.
7. T. GASTON-BRETON, “L’union minière du Haut-Katanga, creuset de l’atome”, Les Echos, 30/07/2008.
8. A.Hochschild, p.125.

________________

QUIZZ

Qui a organisé la conférence de Berlin?
* Otto von Bismarck
* Léopold II
* Louis XIV

Combien de pays se sont réunis lors de la conférence?
* 14
* 20
* 13

Les grandes puissances ne voulaient pas de qui comme voisin en Afrique?
* Le Portugal
* La France
* L’Allemagne

Pourquoi la conférence a-t-elle eu lieu?
* pour se partager l’Afrique entre états
* pour créer la colonie du Congo

Quand la conférence de Berlin a-t-elle eu lieu?
* 1818-1820
* 1884-1885
* 1895

Parmi ces choix, qu’est ce qui ne figure pas dans l’Acte Général?
* des zones de libre-échange dans le bassin du Congo
* la possession de l’Etat Indépendant du Congo (EIC)
* le tracé des frontières de l’EIC

Les résistances à la conquete coloniale dans l’état indépendant du Congo

Les résistances à la conquete coloniale dans l’état indépendant du Congo

Les Résistances à la conquête coloniale dans l’Etat indépendant du Congo

Mwami Msiri Ngelengwa Shitambi (msiri veut dire “la terre, le sol”), Roi du Garaganza (1850-20 Décembre 1891), disponible sur https://kingmsiri.com/fr/rois/

Introduction

Bien que les tracés du Congrès de Berlin, et la reconnaissance de l’Allemagne et des États Unis donnent le feu vert à Léopold II, les nombreuses nations congolaises n’ont jamais donné leur accord.

Les troupes coloniales sont constituées d’officiers blancs et de soldats d’Afrique de l’Ouest. Elles sont appelées les Forces publiques et conquièrent le territoire par la force entre 1880 et 1899. Et ce, non sans faire face à la résistance farouche des rois et chefs déterminés à défendre leurs territoires et leurs compatriotes.

Malgré l’occupation coloniale, certaines régions n’ont cessé de mener des résistances qu’à l’indépendance du Congo. L’histoire coloniale étant écrite majoritairement par des Occidentaux, ces révoltes et combats sont ignorés, quand ils ne sont pas criminalisés. Cette perspective nouvelle offre ainsi un nouveau regard sur l’histoire de la colonisation belge, celui d’un vaste espace peuplé par des peuples hétérogènes, des guerriers et des commerçants. Voici donc quelques-unes des nombreuses guerres et révoltes qui ont marqué la conquête coloniale des agents de Léopold II [6].

Rois et chefs congolais en résistance

Yekes

Suite à la conférence de Berlin, Léopold II et autres puissances africaines prennent l’Etat indépendant du Congo (EIC) pour acquis. Pourtant, aucune population de la région du Congo n’a participé à la conférence, Léopold II doit donc faire face à de nombreuses résistances. L’exemple du Royaume Yeke, situé dans le Katanga, était un royaume basé sur le commerce, et d’une superficie comparable à celle de la France. Il était dirigé par le roi M’siri, sa capitale était Bunkeya. Le peuple Yeke contrôlait les stocks de sel, l’exploitation des mines de cuivre et l’ivoire. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les Européens n’ont pas découvert ces ressources puisqu’elles étaient déjà exploitées et échangées sur tout le continent et en dehors bien avant leur arrivée [1]. Très vite, Léopold II comprend qu’il devra faire face à des résistances. Pendant six ans, il envoie plusieurs hommes négocier avec M’siri, le roi du Royaume Yeke. Cependant celui-ci reste catégorique et refuse de céder un quelconque territoire afin d’éviter l’implantation de postes coloniaux. Afin de ne pas braquer Léopold, il accorde stratégiquement aux Belges le droit de s’installer à Lofoie, une ville infestée par les moustiques de la malaria, et qui subit des inondations fréquentes. Les agents de l’EIC demandent alors à ce que la capitale du royaume soit déplacée pour faciliter le commerce des européens, M’siri les laisse croire qu’il accepte. On remarque qu’il trompe les agents de l’EIC à plusieurs reprises, pour éviter de dire “non” car cela aurait poussé le roi belge à commencer une guerre [1]. Face à cette résistance, Léopold II envoie une armée de 300 hommes pour faire pression sur M’siri. Aujourd’hui, les descendants du roi racontent ce qu’il s’est passé. M’siri aurait demandé du temps supplémentaire pour pouvoir répondre aux nouvelles demandes. Mais les émissaires coloniaux impatients tirent sur M’siri à trois reprises alors qu’il est chez lui, désarmé et le dos tourné. Les femmes décident d’en finir avec le conflit car elles considèrent que même s’ils gagnent cette bataille, ils ne pourront jamais vivre en paix. Léopold n’aurait jamais dû envoyer ses hommes. Les stocks d’ivoire, de cuivre et d’or, d’armes et de sel sont pillés, et les colons prennent le contrôle des exploitations. Le drapeau de l’EIC est alors dressé à Bunkeya [1].

 Sanga

Cette résistance est présente dans tout le Congo et dure tout le long de la colonisation belge. En effet, les populations africaines n’étaient pas des victimes passives face à la colonisation. Dans l’extrême sud du Katanga, des guerriers du peuple Sanga, menés par le chef Mulume Niama, prennent les armes face à l’arrivée des armées de la Force publique. Bien que ces troupes soient dotées d’artillerie, Mulume Niama et ses hommes se sont battus avec témérité et parviennent même à tuer un officier. Ils ont toutefois dû se réfugier dans une caverne appelée “Tshamakele” [6]. Le commandant de la Force publique donne alors l’ordre d’allumer des feux aux entrées de la grotte pour obliger les guerriers sangéens à se rendre, sans succès. Malgré l’envoi d’émissaires, Mulume Niama refuse la capitulation. Trois mois plus tard, 178 corps sont retrouvés. De peur que cette résistance fasse de ces guerriers des martyrs, les soldats de la Force publique provoquent des éboulements aux entrées de la grotte, empêchant ainsi la découverte des corps sans vie [8].

 Kasi

Dans le Bas Congo, Nzansu de Kasi, un chef de la région, mène une embuscade contre la station Baka Baka, qui signifie “Capture, capture”. Elle est nommée ainsi par Eugène Rommel, en référence aux nombreux rapts de travailleurs forcés que l’agent belge exploitait odieusement [8]. Le 5 décembre 1893, Nzansu tue Rommel et incendie la station. Il épargne cependant une mission protestante suédoise. Les rebelles brûlent ensuite deux stations d’États voisins. Ils entraînent ainsi l’arrêt de la circulation sur la route, “d’importance cruciale”, menant à Stanley Pool (lac à proximité de Kinshasa). Ils se battent alors durant huit mois contre les troupes coloniales, puis cinq ans sporadiquement, et ce en dépit de la technique de la terre brûlée appliquée par la Force publique [6].

C.N. Börrisson, missionnaire de la mission suédoise dit au sujet des colons : “Il est étrange que des gens qui se prétendent civilisés imagine qu’ils peuvent traiter n’importe comment leurs frères humains — quand bien même ils sont d’une couleur différente.” Il présente ensuite les exactions commises par Rommel sur les travailleurs forcés et les populations locales pour honorer la rébellion menée par Nzansu de Kasi [6].

Mutineries

Brigarde Piron, 16 février 2014, based on a watercolour postcard by James Thiriar ( 1899).

L’une des actions anticoloniales les plus importantes dans l’histoire du Congo est la Révolte des Batetela (1895-1908). Il s’agit de trois révoltes consécutives.

La première révolte : La Révolte des Batetela du Luluabourg

La première révolte a lieu en 1895 au Luluabourg (aujourd’hui appelée Kananga). Elle est connue sous le nom de Révolte des Batetela du Luluabourg. La cause principale de cette rébellion était l’exécution de Ngongo Lutete en 1993, accusé de trahison envers l’Etat indépendant du Congo. Il était un ancien esclave qui avait gagné son indépendance, et un homme politique puissant, très respecté du peuple Tetela. La Révolte des Batetelas de Luluabourg est une révolte contre l’Etat indépendant du Congo de Léopold II. Elle est menée par les troupes Tetela, peuple Congolais, enrôlées de force dans la Force Publique, qui était le bras armé du régime de Léopold II. Les rebelles tuèrent leurs officiers blancs et attaquèrent les diverses stations. La dernière bataille majeure de cette révolte a lieu en 1896 [2].

La seconde révolte: La Révolte de l’avant-garde de l’expédition du Nil

La Révolte des Batetela du Luluabourg a inspiré d’autres garnisons et d’autres soldats Tetelas à se révolter à leur tour. La seconde révolte majeure est connue sous le nom de la Révolte de l’avant-garde de l’expédition du Nil. Elle se déroule entre 1897 et 1898 dans le Nil Supérieur. A l’époque, le gouvernement belge est plus déterminé que jamais à envoyer des explorateurs belges au Congo. Une de ces exploration est assignée à Francis Dhanis, Vice-Gouverneur général de l’Etat indépendant du Congo [3]. A ce moment-là, une grande partie des soldats sont occupés à maintenir l’ordre après la révolte de Luluabourg et ne sont donc pas disponibles pour l’expédition. Malgré tout, Bruxelles pousse le départ. Francis Dhanis réunit donc à la hâte un nombre d’hommes suffisants pour partir. Parmi les soldats enrôlés, une grande partie sont des hommes qui s’étaient révoltés quelques années plus tôt. Les Tetelas présents sont armés et ont appris à maîtriser les armes à feu auprès des Belges. Très vite, l’expédition va prendre une sombre tournure. Les conditions sont insoutenables: les soldats doivent se déplacer à un rythme soutenu dans la forêt tropicale, sous une chaleur accablante, sous la crainte et sous l’hostilité des différentes populations. C’est la discipline et le traitement imposé qui vont conduire les soldats à se mutiner. Ils vont se ruer sur leurs supérieurs et les massacrer [4].

La troisième révolte : la révolte du fort Shinkakasa

X, vers 1900, fort de shinkakasa en RDC, disponible sur http://www.congoforum.be/upldocs/Shinkakasa%201900.pdf

La troisième a lieu en 1900 au fort de Shinkakasa. Ce fort a été construit par l’Etat indépendant du Congo pour défendre le fleuve et surtout empêcher les portugais d’avancer plus loin sur le territoire. 200 soldats et ouvriers de la Force Publique occupaient le fort tous les jours. Les soldats Congolais présents avaient été sélectionnés de manière à ce qu’il n’y ait pas de majorité ethnique afin d’éviter des révoltes comme les deux évoquées précédemment. Malgré ces précautions, les relations entre les colonisateurs et les Congolais se détériorent au sein du fort. La présence d’armes et de poudre ne fait qu’encourager la révolte qui grondait jusque là. La garnison présente se révolte sous l’impulsion des Tetelas et prend le contrôle du fort en menaçant par la même occasion la sécurité de Boma, ancienne capitale de l’Etat indépendant du Congo Batetela [3]. “Cette révolte et les autres rébellions de la Force publique étaient davantage que des mutineries de soldats mécontents ; elles annonçaient les guerres de guérilla anticoloniales qui allaient secouer l’Afrique centrale et méridionale à partir des années 1960” -Hochschild

Sources

[1] “Les Yekes et l’Etat indépendant du Congo entre confrontation et collaboration”, site Africa Museum, URL : https://www.africamuseum.be/fr/discover/history_articles/the_yeke_and_the_congo_free_state, Consulté le 09/05/2021. 

[2] M. Douglas, La Révolte des Batetela en 1895: textes inédits, par Auguste Verbeken, Bruxelles: Académie royale des Sciences coloniales, dasse Sciences morales et politiques, Mém. in-8°, 7, 4 (Histoire), 1958. 

[3] M.-L. Comeliau, « DHANIS (Francis-Ernest-Joseph-Marie, baron) », Biographie Coloniale Belge, Institut Colonial Belge, Bruxelles, (T.1), 1948, pp. 311-326.

[4] “Révolte des Batetela”, site Allmixo, URL : https://f.allmixo.com/detail40760032.html, Consulté le 09/05/2021. 

[5] Kongo Network, “Kongo: Révolte des BATETELA (1895-1908) - ANTICOLONIALISME”, Youtube, 0:00:08:01, 26 juin 2018, URL : https://www.youtube.com/watch?v=XGtXojbtnOU, Consulté le 09/05/2021.

[6] A. Hochschild, Les fantômes du Roi Léopold II: un holocauste oublié, Paris, Belfond, pp. 210-221. 

[7] E. Ngodi, Résistances à la pénétration et la conquête coloniale au Congo (XIXe-XXe siècles), Saint-Denis, Connaissances et savoirs, 2016 (Sciences humaines et sociales, Histoire). 

[8] Rédaction, « La lutte pour la liberté dans le Congo de Léopold II », Iwacu, les voix du Burundi, 05/05/2013, URL : https://www.iwacu-burundi.org/la-lutte-pour-la-libert-dans-le-congo-de-lopold-ii/, consulté le 09/05/2021. [9] Patrick Kalenga Munongo, “Mwami Mwenda Bantu Kaneranera of the Bayeke Kingdom - Garaganza”,
Stanley,  Les Prémices de la Colonisation

Stanley, Les Prémices de la Colonisation

Stanley, Les Prémices de la Colonisation

POUR COMMENCER …

La  colonisation du Congo commence en 1867. La prise de possession par le Roi Léopold II ne se fait qu’en 1885 (Année où il se proclame roi de l’Etat indépendant du Congo). Avant cette annexion du Congo à la Belgique, la colonisation commence sous les pas de Henry Morton Stanley.  Personnage ambivalent, il est le premier européen explorateur à avoir traversé le fleuve Congo. Il pose les bases de la colonisation belge au Congo et est responsable de plusieurs crimes de masse [2].

Le journaliste et explorateur britannique, Henry Morton Stanley, a joué un rôle essentiel dans les débuts de la colonisation du Congo. Vers la moitié du XIXe siècle, les intellectuels européens s’intéressent à la cartographie d’un continent vu comme mystérieux : l’Afrique.  L’explorateur mène deux voyages. Le premier en 1873 à la demande du journal le New York Herald, où il part  à la recherche d’un explorateur anglais porté disparu, Mr.Livingstone (6). Cette première expérience du continent le mène à être financé par deux journaux : le Daily Telegraph et le New York Herald, afin de cartographier les grandes rivières et lacs d’Afrique équatoriale. Ses écrits suscitent un grand enthousiasme, en Europe ils seront traduit en huit langues (Danois, Suédois, Italien, Français, Portugais  et Espagnol) .

LEOPOLD II

Léopold est lui aussi un fidèle lecteur des fameux périples de Stanley. Il imaginait que ce vaste territoire à peine exploré pouvait devenir un jour la colonie dont il avait toujours rêvé. Pour cela, il envoie deux délégués, le baron Jules Greindl et le général Henry Shelton Sanford, requérir ses services. Stanley refuse d’abord, espérant travailler pour l’Angleterre ou les États-Unis, mais ni l’un ni l’autre ne souhaitent s’engager étant trop préoccupés par leur crises intérieures. Il accepte finalement la proposition de Léopold II, et les deux hommes se rencontrent pour la première fois en juin 1878. Un accord est alors signé. En cinq ans, Stanley doit acquérir le Congo en créant diverses implantations dans le bas Congo (région proche de la côte Atlantique)  et ensuite dans le Pool (lac Pool Malebo actuel près de Kinshasa). Il doit aussi faire reconnaître aux chefs du territoire congolais la souveraineté belge. Léopold lui fournira des financements et s’occupera de la stratégie [1]. 

Colonisation Et Implantations

Pour fonder ces implantations, il passe des traités avec de nombreux chefs congolais autorisant la location de leurs parcelles de terres en contrepartie de marchandises telles que du gin, des étoffes ou des couteaux notamment. Au début, ces négociations pouvaient durer des journées entières, pour aboutir à un accord plus ou moins juste. Quand les manœuvres ne fonctionnaient pas, il tuait le chef et négociait avec son successeur. Si l’opposition se fait plus générale, il n’hésite pas à recourir à la violence extrême, en faisant l’utilisation d’armes industrielles contre les villageois voire même brûler des villages entiers. Il écrira« nous avons attaqué et détruit vingt-huit grandes villes et trois ou quatre villages »Une autre de ces méthodes consistait à  provoquer des guerres pour affaiblir les États et pouvoir négocier à son avantage.

En 1882, quand Léopold voit que d’autres puissances européennes comme le Portugal ou l’Allemagne se lancent dans cette même quête d’achat de parcelles, il se lasse et presse Stanley.  À présent, son envoyé doit obtenir des régions entières plus rapidement. Le roi déclare “la lecture des traités conclus par Stanley avec les chefs ne me satisfait pas. Il faut y ajouter au moins un article portant qu’ils nous délèguent leur droits souverains sur le territoire (…) Il faut que dans un article ou deux ils nous accordent tout” (5). En moins de 4 ans, 400 traités furent signés, bien entendu ceux-ci étaient rédigés en anglais ou en français, des langues incompréhensibles pour les chefs. La signature de ces traités se résume pour les indigènes à dessiner une croix au bas d’une feuille pleine de symboles qui leur étaient inconnus. A chaque fois qu’un traité sera signé, un drapeau bleu foncé orné d’une étoile jaune sur le milieu flottera par dessus le village (le bleu représentant l’obscurité dans la quels ils se trouvaient et le jaune la lumière de la civisation) [1].

Il est difficile d’évaluer l’étendue des violences perpétrées par Stanley car elles n’ont pas été répertoriées précisément. En effet, il était le seul à établir la documentation pendant ses expéditions. Il avouera quand même à plusieurs reprises ses actes d’extrême violence. .  De plus, de nombreuses sources l’accusent de massacres impunément sur des villages entiers [5]. En tant qu’anglais, ses objectifs sont plus marchands que nationalistes. Son but premier est de favoriser le libre-échange pour les puissances européennes, plus que de garantir la souveraineté du roi belge. Pour vanter les possibilités de la colonisation, il présente  les habitants du bassin comme un nouveau marché “de 40 millions de personnes nues à vêtir avec du coton de Manchester”, ce qui est fauxConformément à son pacte avec le roi, il “sécurise” et balise l’accès à l’intérieur des terres congolaises pour y favoriser le commerce, non sans brutalité. Il fait construire des comptoirs commerciaux pour faciliter les voyages en bateau à vapeur. Le fleuve Congo n’étant pas praticable en raison d’immenses chutes d’eau; il exploite des “porteurs” enrôlés de force pour acheminer le matériel de Boma sur la côte Atlantique à Stanley Pool, (actuel Kinshasa). Ces porteurs mourront par centaines [3].

POUR CONCLURE…

Les Congolais l’appelleront “Bula Matari”, en français : le casseur de pierres. Cela rappelle l’usage de la dynamite qu’il utilisait et sa brutalité envers  la population locale. Ce nom lui viendrait aussi du chemin de fer qu’il avait fait construire pour remplacer les trajets qui étaient  jusque-là effectués par des porteurs. Cette construction  se révélera extrêmement meurtrière.  Certains estiment le nombre de morts à un par traverse (pièce de bois placée en travers de la voie pour maintenir l’écartement des rails) [4].

Stanley n’était pas un exécutant fiable pour Léopold II. Il décide alors de ne pas renouveler son contrat avec ce dernier qui s’attendait pourtant à être nommé gouverneur du nouvel État indépendant du Congo en 1885. Ce sera un autre anglais, Francis de Winton qui sera nommé à sa place.(6)

Les excès de violence de Stanley et de ses hommes de main marqueront durablement la région. Un héritage sanglant qui marquera la nouvelle colonie au fer rouge.

BIBLIOGRAPHIE

[1] Congo, une histoire – David Van Reybrouck

[2] Les fantômes du roi Léopold – Adam Hochschild

[3] https://comptoir.org/2014/10/08/le-congo-belge-de-leopold-ii-les-origines-du-massacre/ 

[4] https://curieuseshistoires-belgique.be/henry-morton-stanley-le-conquistador-deprave/ 

[5] https://www.latimes.com/archives/la-xpm-1990-11-11-bk-5978-story.html 

     https://en.wikipedia.org/wiki/Henry_Morton_Stanley

[6] Henry Morton Stanley, cinq années au Congo, 1000 879 984. Voyage, exploration, fondation de l’État libre du Congo, Bruxelles, Institut national de géographie, 1885

[7] Building Congo, Writing Empire: The Literary Labours of Henry Morton Stanley