William Henry Sheppard

William Henry Sheppard

William Henry Sheppard 

William Sheppard apparaît rarement dans les annales de l’exploration, car il ne correspond pas à l’image conventionnelle de l’explorateur Blanc en Afrique. Pour commencer, il n’était pas blanc (1). A. Hoschild

Born in the USA

Le révérend William Henry Sheppard, né d’une union métisse en Virginie en 1865, il est l’un des premiers Afro-Américains à devenir missionnaire pour l’Église presbytérienne, une forme de protestantisme aux États-Unis.

À l’époque, l’idée d’envoyer des missionnaires Noirs en Afrique est plutôt controversée. Certains au sein de l’église presbytérienne blanche voient cela comme un atout, mais d’autres refusent catégoriquement de les envoyer sans supervision blanche. C’est le cas de Sheppard qui attend depuis 1880 d’être envoyé comme missionnaire au Congo. 

Paradoxalement, ce qui lui permet de partir est en partie l’oeuvre du sénateur John Tyler Morgan, un suprémaciste Blanc de l’Alabama, qui a contribué à la reconnaissance du Congo de Léopold II et espère que les Noirs américains émigreront sur le continent. Reste la question de l’accompagnant Blanc, c’est finalement grâce aux encouragements du sénateur Morgan lui-même que le révérend Samuel Lapsley se porte volontaire pour voyager avec William Sheppard au Congo (3). 

Le duo

En 1890, Sheppard et Lapsley arrivent sur le territoire de Léopold II. Rapidement, ils s’associent avec d’autres missionnaires à Stanley Pool et établissent leur première mission presbytérienne au sud de la rivière Kasaï (4). 

Il s’avère que sur le terrain, Shepard est le plus doué et le plus à l’aise des deux. Il était censé être le partenaire “junior” de la mission, mais c’est finalement l’inverse qui se passe. Des lettres que Lapsley envoie à sa famille en attestent et démontre également l’admiration qu’il témoigne pour Sheppard. Il dit de lui qu’il est un commerçant né et qu’il lui laisse faire toutes les transactions, qu’il est bon chasseur, qu’il apprend la langue des autochtones et qu’il est souvent d’humeur joyeuse. 

Il est finalement le seul des deux qui survit à cette mission d’évangélisation car Lapsley décède de la fièvre en 1892 lors d’un déplacement à Boma. En apprenant la nouvelle, les presbytériens sudistes (pro-escalavage) ne se font pas prier pour envoyer des nouveaux missionnaires blancs au Congo pour commander la mission. Lorsque ceux-ci arrivent Sheppard a déjà plusieurs années d’expérience sur le terrain. Il connaît bien la région du Kasaï et a déjà lancé son expédition au royaume de Kuba. Il est d’ailleurs très populaire auprès de ses citoyens et parle correctement leur langue, qu’il est le seul à connaître parmi les Européens et Américains. Mais de manière plus générale, aux yeux des Congolais, Sheppard est est un ‘Mundéle Ndom’, un homme Blanc Noir, un Noir mais étranger ou Noir mais avec des vêtements (5). 

L’anthropologue et explorateur

En plus d’être un missionnaire, Sheppard est un anthropologue et un explorateur. Il est le premier étranger à atteindre la ville d’Ifuca, siège du peuple des Kubas qui ne souhaitait pas être découvert. Le roi avait d’ailleurs menacé quiconque s’introduirait chez eux de le décapiter. Après trois mois de voyage, accompagné d’un petit groupe d’Africains, Sheppard est le premier à trouver la capitale de ce peuple reclus. En découvrant que son intrus a la peau noir et parle sa langue, le roi croit voir un ancêtre réincarné, Bope Mekabe, et l’épargne lui et ses collègues. 

Cette visite constitue une mine d’informations essentielles pour Sheppard qui reste à la cour des Kubas pendant quatre mois. Il prend des notes sur leur fonctionnement politique, considéré comme l’un des plus sophistiqué d’Afrique centrale. Il y observe également les cultures agricoles, les textiles et la musique. Les Kubas étaient satisfaits de leur mode de vie et, malgré leur amabilité envers Sheppard, ils n’ont jamais montré aucun intérêt pour le christianisme (6). 

Une fois quitté le Congo, Sheppard est devenu le premier homme noir membre de la Royal Geographic Society en Angleterre. Il a reçu cette distinction pour sa découverte d’un lac, qui porte dorénavant son nom, dans la région du Kasaï, mais surtout pour son exploration du peuple des Kubas en 1892 (7). 

Le dévoilement des horreurs

Bien qu’en tant que missionnaire son objectif premier n’était pas l’activisme politique, c’est néanmoins dans ce cadre qu’il laisse une réelle empreinte. Dans le bulletin de l’American Presbyterian Congo Mission (APCM) publié en janvier 1908, William Sheppard dénonce les crimes coloniaux exercés par des hommes de Léopold II (8). Pillages des villages du Kasaï, tueries de civils et mise en esclavage des survivants afin de collecter du caoutchouc sauvage pour des concessionnaires européens sont autant d’atrocités révélées par Sheppard. Ainsi, cette explosion du secteur du caoutchouc a généré des gains considérables, non seulement pour Léopold II et pour ses partenaires commerciaux, mais il a également impulsé une révolution dans le transport dû à la production de masse de pneus, notamment dans le cadre de l’industrie automobile (9).

Sheppard et Morrison, un autre missionnaire, sont alors poursuivis en justice pour diffamation envers une importante entreprise belge de caoutchouc installée dans la région: la Compagnie de Kasaï. Les missionnaires sont acquittés au motif que l’éditorial n’avait pas cité le nom de l’entreprise. Le contexte politique international de l’époque joue sûrement en faveur de Sheppard. En effet, les États-Unis, soutenant socialement les missionnaires, mettent en doute la légitimité du roi Léopold II sur le Congo.

Les comptes-rendus de Sheppard dévoilent les atrocités de l’État belge, des actes de cruauté considérés comme enfreignant les conditions énoncées lors de la Conférence de Berlin. En 1885, la Belgique avait convenu de détenir le Congo en se souciant “de l’amélioration de leurs conditions de bien-être moral et matériel” et qu’elle aiderait à “supprimer l’esclavage”.

Enfin, Sheppard dénonce notamment les actes de mutilations: 81 mains coupées sont recensées dans un rapport présenté aux autorités coloniales. De retour aux États-Unis, il fait connaître ses découvertes et attire ainsi l’attention internationale. Ainsi, à la fin des années 1910, il est reconnu aux États-Unis et en Europe en tant que militant des droits de l’homme (10).

 

Sources

  1. Adam Hochschild, Les fantômes du Roi Léopold II: un holocauste oublié, Paris, Belfond, epub, 2005, p. 234.
  2. Austin Ramona, « An Extraordinary Generation : The Legacy of William Henry Sheppard, the “Black Livingstone” of Africa », Afrique & histoire, 2005/2 (vol. 4), pp. 73-101, URL : https://www.cairn.info/revue-afrique-et-histoire-2005-2-page-73.htm
  3. Adam Hochschild, pp. 234-235. 
  4. Adam Hochschild, p. 235.
  5. Adam Hochschild, pp. 237-239. 
  6. Encyclopedia of World Biography, “William Sheppard Biography”, URL : https://www.notablebiographies.com/supp/Supplement-Mi-So/Sheppard-William.html
  7. Adam Hochschild, p. 242. 
  8. Guide to the American Presbyterian Congo Mission Records, 1893 – 1980, URL : https://www.history.pcusa.org/collections/research-tools/guides-archival-collections/rg-432
  9. Cambridge University Press : From Hampton “(I)nto the heart of Africa” : How Faith in God and Folkore turned Congo Missionary William Sheppard into a Pioneering Ethnologist” , 09/05/2014.
  10. Thomas Cooley, The Ivory Leg in the Ebony Cabinet, University of Massachusetts Press, 2001. 
Albert Jacquard

Albert Jacquard

Albert Jacquard

Citation :” Ce qu’exprime le racisme est essentiellement mépris ; mépris envers telle personne justifié, non par ses caractéristiques, mais par son appartenance à un groupe : l’origine de ce mépris est une absence de confiance en soi ; son aboutissement est une destruction de soi-même.”

Son enfance

Né le 23 décembre 1925 à Lyon, Albert Jacquard est un scientifique et humaniste mondialement connu pour ses ouvrages scientifiques et philosophiques [1]. 

Albert Jacquard est issu d’une famille catholique venant d’un milieu bourgeois. Sa vie paisible est marquée par un événement tragique lorsqu’il est victime d’un accident de voiture avec son jeune frère de 5 ans. Ce dernier décède et Albert se retrouve défiguré à seulement 9 ans.[2][5] 

Son éducation

Élève brillant, Albert obtient plusieurs diplômes. Après un double baccalauréat en mathématiques et en philosophie en 1943, il obtient un diplôme d’ingénieur spécialisé dans les manufactures de l’État trois ans plus tard et un diplôme d’ingénieur d’organisation et de méthodes en 1948.[2][3] 

Par la suite, il axe ses recherches sur la génétique et obtient son diplôme aux États-Unis en 1970 et son doctorat en 1973.[2] Entre 1983 et 1988, il est nommé membre du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé. [2]

Ses combats

À côté de sa passion pour les sciences, Albert Jacquard s’engage dans la lutte contre le sans-abrisme et le racisme[4]. Il devient président d’honneur de l’association Droit au Logement dans les années 90 et participe à l’occupation de l’Église Saint-Bernard en 1996 [1].

Sa lutte contre le racisme est notamment marquée par son travail d’expert à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), où  il ne cesse de démontrer que les arguments prétendument scientifiques sur la théorie de la race ne sont pas fondés. Il est aussi témoin du procès du nazi Klaus Barbie pour crimes contre l’humanité en 1987 [4].

Il a, par ailleurs, signé de nombreuses études et participé à de nombreuses conférences dédiées aux thèmes de la science pour le développement durable, à la lutte contre le racisme et les inégalités organisés par l’UNESCO [6]. 

« Éloge de la différence. La génétique des hommes. »

Dans son livre “Eloge de la différence. La génétique et les hommes”, Albert Jacquard témoigne encore de son intention de démonter le mythe de la race [6]. En effet, il était d’usage pour les scientifiques des siècles précédents de classer les hommes en les catégorisant par leur taux de mélanine. Ce classement était uniquement fondé sur l’apparence extérieure de l’humain et via un seul outil : les yeux. La génétique a montré que le plus important à étudier était la transmission entre les hommes : les gènes. Néanmoins, après observation, faire un classement génétique entre les “races” (groupes ethniques) relève de l’impossible [7]. 

Albert Jacquard meurt d’une leucémie en 2013, à l’âge de 87 ans. [2]

 

Sources : 

[1]  France info, “Le généticien Albert Jacquard est mort à l’âge de 87 ans”, disponible sur www.francetvinfo.fr, publié 12 septembre 2013.

[2]  Futura Santé, “Albert Jacquard-généticien”, disponible sur www.futura-science.com , consulté le 6 avril 2021.

[3]  La Rédaction, “Albert Jacquard : biographie courte, ses livres et ses citations”, disponible sur www.linternaute.fr, publié le 23 octobre 2020.

[4] Challenge.fr, “Le généticien Albert Jacquard est mort à l’âge de 87 ans”, disponible sur www.challenge.fr, publié le 12 septembre 2019.

[5] Lemoine, L., “Albert Jacquard : “Le surhomme, c’est nous””, disponible sur www.psychologies.com , publié le 24 décembre 2013. 

[6] UNESCO, “La Directrice générale de l’UNESCO rend hommage au grand généticien Albert Jacquard”, disponible sur www.fr.unesco.org, consulté le 6 avril 2021.

[7] “Albert Jacquard, les races”, disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=0nsiHwtNvpw&t=301s 

 

Edmund Dene Morel

Edmund Dene Morel

Edmund Dene Morel

“Il ne s’agit donc pas de commerce. Le caoutchouc et l’ivoire sont échangés contre rien.” [1a]

LSE Library, c1905, Edmund Dene Morel (1873-1924) politician, IMAGELibrary, Flickr, accessed 01.01.2024 https://www.flickr.com/photos/lselibrary/6950307678

Edmond Morel, sous le nom complet de Georges Edmond Pierre Achille Morel Deville, naît le 10 Juillet 1873 à Paris d’une mère anglais et d’un père français, mort peu après [3]. En 1890, il part vivre à Liverpool. Il se lance dans le journalisme et rédige des articles sur le commerce avec l’Afrique. En 1897-98, son bilinguisme et sa connaissance du commerce avec l’Afrique lui valent d’être embauché par la compagnie maritime Elder Dempster (Liverpool) dont la filiale possède un monopole sur le commerce avec l’Etat indépendant du Congo. Il est alors un père de famille aux opinions conventionnelles, mais aussi un jeune homme d’affaires de 25 ans [1].

Morel commence toutefois à être troublé par les navires à vapeur de sa compagnie dans le port d’Anvers. D’une part, les navires en provenance du Congo arrivent plein à ras bord de caoutchouc et d’ivoire de grande valeur. D’autre part, lorsque ces navires retournent au Congo, ils n’ont pratiquement à bord que des officiers, des munitions et des armes à feu [1].
Peu à peu, il comprend avec horreur que cette iniquité ne peut que reposer sur l’exploitation des Congolais.

C’est ainsi que Morel lance le plus grand mouvement international pour les droits humains du XXe siècle [1].

En 1901, face aux tentatives de corruption et de censure de son patron, qui est par ailleurs consul honoraire de l’Etat indépendant du Congo, Morel décide de démissionner pour se consacrer à l’écriture afin de “faire de son mieux pour révéler et détruire (…) cette infamie généralisée”[2]. En 1903, il crée le journal West African Mail, principalement consacré à la question congolaise. Morel y écrit régulièrement des rapports précis sur la situation du Congo, si bien qu’il devient en peu de temps le plus grand journaliste d’investigation britannique de son temps. Il écrit dans le même temps dans les plus grands journaux anglais, français et belges. Il est reconnu pour ses écrits qui “allient une fureur contenue à une exactitude scrupuleuse” [1].

En mars 1904, il fonde avec Henry Grattan Guinness et Roger Casement la Congo Reform Association. Elle a pour but de défendre les intérêts et les droits des travailleurs de l’Etat indépendant du Congo. L’association veut dévoiler les abus et les actions des fonctionnaires blancs [4]. Au fur et à mesure, l’association prend de l’ampleur et a un impact non négligeable. De nombreuses personnalités se rallient à la cause, les grands écrivains Joseph Conrad, Mark Twain ou encore Arthur Conan Doyle par exemple [1]. En 1904, il publie “King’s Léopold Rule in Africa”, qui, ajouté aux autres enquêtes et pamphlets contre l’exploitation et la brutalité coloniale, font vivre à eux seuls la cause du Congo et accroissent la pression sur Léopold II. En 1905, tentant de les prendre de cours, Léopold demande un rapport sur la situation au Congo. Celui-ci, remis en 1905, confirme les dires de E.D. Morel et de ses associés de la Congo Reform Association. En 1907, il présente la situation au président américain Théodore Roosevelt. Des centaines de marches s’organisent alors aux Etats-Unis et encore davantage en Angleterre [1].

En 1908, après de longs mois de débat au Parlement, l’État belge accepte la proposition d’annexion du Congo faite par Léopold II. Entre 1909 et 1913, Morel essaye de réunir ses troupes pour que la propriété de leurs terres et de ses produits soient rendus aux Africains colonisés. C’est en fervent soutien du libre-échange qu’il poursuit dans cette voie en considérant que le commerce est impossible sans échange équitable. Son combat mettant trop en cause le système colonial, ses relais s’essoufflent peu à peu. En juin 1913, la dernière réunion de la Congo Reform Association prend place au Westminster Palace Hotel de Londres en présence de l’archevêque de Canterbury, d’explorateurs, missionnaires, rédacteurs en chef et membres du Parlement. “Je ne voudrais pas peindre le présent en rose. Il faudrait des générations pour guérir les blessures du Congo. Néanmoins […] les atrocités ont disparu […] Les revenus ne sont plus tiré du travail forcé ou de l’esclavage.” ~E.D. Morel

En effet, même si certains actes criminels tels que les kidnappings cessent, le taux de mortalité terrifiant existant sous Léopold II se maintiendra pendant une décennie encore [3]. De nombreux historiens estiment que la population congolaise a été divisée par deux au cours de ce processus.

Caricature de Leopold II de Belgique, enchevêtrant un extracteur de caoutchouc congolais (28.11.1906) – Linley Sambourne (1844-1910), « The Rubber Coils. Scene – The Congo ‘Free’ State » – Wikimedia Commons

Dès 1919, Morel joue un rôle majeur dans la campagne Black Shame. Cette campagne lutte contre l’envoi de troupes noires par l’armée française en Rhénanie durant l’après-guerre [4, 5].
Morel se présente comme un combattant pour les droits des Africains. Cependant, il pense que les Africains sont beaucoup plus primaires que les Européens. Dans sa vision rousseauiste du “Noble sauvage”, il considère que les Noirs sont dotés d’une sexualité incontrôlable [6]. Selon lui, les Africains n’atteindront jamais l’autodiscipline des Blancs et ils leur seront inférieurs.
Lorsque la France lance son opération de ‘civilisation’, mission permettant aux Africains de devenir techniquement français, Morel se révolte. Cette opération va à l’encontre de toutes ses croyances. Il accuse alors les troupes noires des viols qui ont lieu contre les femmes en Rhénanie. [7]
En décembre 1924, Morel meurt à 49 ans d’une crise cardiaque à Londres.

Sources

[1] Hochschild Adam, Les fantômes du Roi Léopold II: un holocauste oublié, Paris, Belfond, 2005.
[2] E.D., Morel, J, Stengers, W. R., Louis, E. D. Morel’s History of the Congo Reform Movement, Londres, Oxford University Press, 1969.
[3] Le Monde, “1904 : la Congo Reform Association stoppe le massacre”, Le Monde, Disponible en ligne: https://www.lemonde.fr/une-abonnes/article/2003/12/09/1904-la-congo-reform-association-stoppe-le-massacre_345247_3207.html, publié le 09/12/2003 (Consulté le 14/04/2021).
[4] ”Edmund Dene Morel”, Congo Forum, Disponible en ligne: https://www.congoforum.be/fr/2006/01/edmund-dene-morel/, publié le 23/01/2006 (Consulté le 14/04/2021).

[5] Peter Campbell, “Black Horror on the Rhine”: Idealism, Pacifism, and Racism in Feminism and the Left in the Aftermath of the First World War, Volume XLVII,, Disponible en ligne:
https://hssh.journals.yorku.ca/index.php/hssh/article/view/40354/36536, publié en 2014.
[6] Robert.C. Reinders, RACIALISM ON THE LEFT E.D. MOREL AND THE 'BLACK HORROR ON THE RHINE' , Disponible en ligne : https://www.cambridge.org/core/services/aop-cambridge-core/content/view/S0020859000000419 , consulé le 12/04/2021.
[7] Racialism on the Left E.D. Morel and the “Black Horror on the Rhine”, publié par Cambridge University Press , publié le 09 janvier 2013. Disponible en ligne:
https://www.cambridge.org/core/journals/international-review-of-social-history/article/racialism-on-the-left-ed-morel-and-the-black-horror-on-the-rhine/526496DF3C9361865EF88E197FB63656, consulté le 12/04/2021.

 

George Washington Williams

George Washington Williams

George Washington Williams (1849-1891)

 

Débuts dans l’armée

Georges Washington Williams est un Afro-Américain, né en 1849 de parents affranchis, dans l’État de Pennsylvanie. Il quitte tôt les bancs de l’école pour s’engager en 1864, alors qu’il est encore mineur, dans la 41ème troupe américaine de couleur de l’armée de l’Union. La guerre de Sécession fait rage ; les États esclavagistes et sécessionnistes du Sud font face aux États abolitionnistes et unionistes du Nord. Williams participe ainsi à plusieurs batailles.

Comme de nombreux autres vétérans de cette guerre, il s’engagera ensuite dans l’armée de la République du Mexique pour démettre l’Empereur Maximilien, mis au pouvoir suite à une expédition française. N’ayant qu’une expérience militaire, à son retour du Mexique en 1867, il s’enrôle dans un régiment de cavalerie qui combat les Amérindiens des Plaines (1)

 Études et expériences

Il étudie brièvement à l’université noire de Howard puis se dirige vers des études théologiques à la Newton Theological Institution, il parvient à faire sa licence en 2 ans et acquiert une belle plume alors qu’il était quasiment illettré au sortir de l’armée. Il est le premier afro-américain à être diplômé de cet établissement. (3)

Les années suivantes, il enchaînera entre l’exercice de son métier de pasteur et son inclinaison pour le journalisme en créant ses propres titres.[b][c] Et ce, dans plusieurs villes du pays de Boston, Massachusetts à Cincinnati, Ohio. (1)
En 1879, alors qu’il n’ a que 30 ans, il décide de se représenter aux législatives de cet État. Il est élu à l’assemblée d’Ohio, le premier afro-américain à l’être, et se bat pour obtenir l’abrogation de la loi interdisant les mariages dits ”interraciaux”. Au même moment, il étudie le droit auprès du père du Président américain Williams Howard Taft.

Historien conséquent

En 1882 et 1883, George W. Williams publie un ouvrage conséquent en 2 volumes : “ Histoire de la race noire en Amérique de 1619 à 1880. Les Noirs comme esclaves, comme soldats et comme citoyens, avec une considération préliminaire sur l’unité de la famille humaine, un résumé historique de l’Afrique et un rapport sur les gouvernements noirs de la Sierra Leone et du Libéria[d][e][f]” dans lequel il traite des premiers royaumes africains jusqu’aux lendemains de la guerre de Sécession. Il est reconnu comme un pionnier par ses pairs car il utilise de nombreuses sources non-traditionnelles pour étayer son propos. (1)

Il fait alors de très nombreuses conférences dans tout le pays. Il rencontre de nombreuses personnalités américaines phares de l’époque : le poète Wadsworth Longfellow, les présidents Hayes et Cleveland…
Pris dans cet élan, il démultiplie les initiatives en faveur des vétérans de l’Union, de la mémoire de l’esclavage, travaille comme avocat, et continue à envoyer de nombreux articles aux journaux. (1)

Les prémices du Congo

Lors d’une réunion avec le Président Arthur, il est présenté à Henry S. Sanford, ancien ambassadeur américain en Belgique, devenu l’envoyé de Léopold II pour faire reconnaître le Congo par les Etats-Unis. Williams voit rapidement dans ce nouvel État, l’opportunité pour les Afro-américains à laquelle il aspirait dans son discours de fin d’étude; une possibilité pour eux de faire cesser l’asservissement des Africains et de progresser dans la société africaine, qui ne les limiterait pas.
Il devient alors un avocat énergique de la reconnaissance du Congo, en ajoutant le sujet à ces conférences, en écrivant à la commission compétente du Sénat, et aussi en proposant aux services de Léopold de recruter des Afro-américains au Congo. (1)

En 1889, il se rend à la conférence contre l’esclavage de Bruxelles. A cette occasion il s’entretient avec Léopold II, qui lui fait forte impression en disant : « Mon œuvre Là-bas est accomplie comme un devoir chrétien à l’égard du pauvre Africain ; je ne souhaite pas récupérer un centime de tout l’argent que j’ai dépensé.». Leopold II, très intéressé par le projet de Wiliams de faire travailler des Afro-américains au Congo, ne dit pas ces mensonges sans arrière-pensée. (1)

Lorsqu’il retourne aux Etats-Unis, et vente ce nouveau projet à un collège noir de l’Etat de Virginie, qui l’acceuillle avec scepticisme. Il met dès lors ce projet en pause et décide de se rendre au Congo pour rassembler la documentation nécessaire pour un nouveau livre. Méfiant quant aux intentions de Williams, Léopold II met tout en œuvre pour le décourager d’entreprendre ce voyage et lui demande de reporter son voyage de 5 ans en stipulant que tous les renseignements nécessaires me seraient fournis à Bruxelles” (6). Mais George W. Williams ne flanche pas, il ira au Congo.

L’enfer de l’Etat indépendant du Congo

Seulement en arrivant au Congo, il se rend compte que le Congo n’est pas la colonie gouvernée avec bienveillance que décrivait l’explorateur Stanley (voy. à ce sujet l’article « Stanley, les prémices de la colonisation »).Arrivé à Stanley Falls (capitale de l’époque), il écrit une Lettre ouverte au roi sur ce qu’il décrit comme “la Sibérie du continent africain” (7).

Williams fixe rapidement le cadre en commençant ainsi : “Toutes les accusations que je suis en train de porter contre le gouvernement personnel de votre majesté au Congo a fait l’objet d’une enquête minutieuse ; une liste de témoins compétents et crédibles, de documents, de lettres, de rapports et de données officielles, a été préparé avec exactitude minutieuse.”
Il rédige ensuite les accusations graves qui seront portées, plus de dix ans plus tard, par le mouvement international de protestation contre la situation au Congo.

Le combat d’une vie

Trois mois après, George Washington Williams écrit Un Rapport sur l’État et le Pays du Congo au Président de la République des États-Unis d’Amérique dans lequel il réitère ses accusations. Il affirme dedans que les États-unis avaient une responsabilité particulière sur le sort du Congo pour avoir reconnu et ainsi donné une réalité à cet État complètement artificiel. À la manière de sa première Lettre ouverte, il utilise des exemples personnels pour illustrer ses accusations : “On m’a offert des esclaves en plein jour; et la nuit, j’ai découvert des pirogues pleines d’esclaves liés solidement les uns aux autres”. Il conclut en demandant au président que ce gouvernement oppressif soit remplacé par un régime “local, et non européen; international et non national, juste et non cruel” (9).

Dans une nouvelle lettre au Secrétaire d’Etat américain (équivalent du/de la Ministre des Affaires étrangères), il estime que Léopold II est coupable de “crime contre l’humanité”; un terme encore jamais utilisé à cette époque et qu’on retrouvera plus de 50 années plus tard dans le procès des dignitaires nazis à Nuremberg. (10)

Déflagration internationale et fin prématurée

Dès la publication de sa Lettre ouverte à son retour d’Afrique, distribuée en Europe et aux États-Unis, le New York Herald lui consacra une colonne (11), la presse parisienne parle “d’un vrai scandale”. En Belgique, La Réforme et le Courrier de Bruxelles soutiennent le propos de Williams, malgré la campagne de Léopold II contre lui. (1)
Il finit son tour de l’Afrique et rencontre sa femme anglaise, sur la route du retour. Seulement la tuberculose qu’il a contracté au Caire (12) s’aggrave. Il meurt le 2 août 1981 à Blackpool en Angleterre, sans avoir pu entamer son projet de livre sur le Congo de Léopold II.

L’œuvre de George W. Williams constitue un jalon marquant de la littérature des droits de l’homme. Il restera comme l’homme audacieux, qui s’est dressé contre le roi et le racisme de l’époque. (1)

 

Sources:

(1) Adam Hochschild, Les Fantômes du roi Léopold, Chapitre VII : Le premier hérétique, p.176-196 (édition Tallandier)
(2) J.H. Franklin, George Washington Williams…, p. 10-11
(3) Blight, David (2001). Race and Reunion: The Civil War in American Memory. Cambridge: Belknap Press of Harvard University Press. p. 169
(4) Berlin, Ira (August 15, 1999), « Soldier, Scholar, Statesman, Trickster » (review of new edition of John Hope Franklin’s biography of George Washington Williams), The New York Times. Retrieved October 26, 2018.
(5) F. Bontick, Aux origines de l’Etat…, p.221 et 442
(6) George Washington Williams, Report on the Congress states and the Country to the President of the Republic of United States of America, p.265
(7) Wiliams à Huntington, 14 avril 1890, cité dans J.H Franklin, George Washington Wiliams…, p.191
(8) G.W Williams, An Open Letter to His Serene Majesty Leopold II, King of The Belgians and Sovereign of the Independent State of Congo, p. 243 254
(9) G.W Williams, A Report on Congo State …, p.277-279
(10) Wiliams à Blaine, 15 septembre 1890, cité dans F.Bontinck, Aux origines de l’Etat…, p.449
(11) New York Herald, 14 avril 1891
(12) Jr, Henry Louis Gates; Higginbotham, Evelyn Brooks (2004-04-29). African American Lives. Oxford University Press. pp. 890–892.

 

Joseph Conrad

Joseph Conrad

Joseph Conrad

East News, Joseph Conrad, 1923

Józef Teodor Konrad Korzeniowski, de son vrai nom, naît le 3 décembre 1857 dans la ville alors russe, de Bredychiv. Issu de la noblesse terrienne polonaise, son père est un fervent nationaliste qui luttera toute sa vie pour l’indépendance de la Pologne, face à l’Empire russe [3]. Le jeune Józef, fils unique, connaît de ce fait, dès l’âge de 4 ans l’exil en Russie. Il sera confronté à deux traits qui apparaîtront dans ses œuvres : la “solitude de l’héroïsme” et la “vanité du sacrifice pour une cause perdue”. Dès l’enfance, son père l’expose aux œuvres des grands romantiques polonais; ainsi qu’à Shakespeare, Dickens, Byron; Hugo, Flaubert et Maupassant. Tout cet apport de littérature occidentale servira de matrice à son écriture, et influencera son exil prochain [1].

Dès 1874, Conrad orphelin, s’exile pour éviter la conscription dans l’armée russe. Il part à Marseille pour devenir marin. Il aura des soucis de dettes, et après quelques rocambolesques événements décide, à partir de 1878, d’entrer dans la Merchant Navy. Il y gravit tous les échelons pour devenir capitaine dix années plus tard. Entre-temps, il apprend l’anglais et prend la nationalité britannique. Grâce à son métier, il passe par l’Inde, Singapour, les îles indonésiennes, l’Australie et est pétri d’un exotisme qui se retrouve dans ces premiers romans. En 1890, il embarque pour le Congo, une expérience dont il ne sortira pas indemne [2].

Cette passion pour l’inconnu est présente chez lui depuis ses 9 ans. Le mystère que représentaient les espaces peu cartographiés le fascinait. Lorsqu’il apprend que Stanley rentre d’Afrique, son fantasme d’enfant le mène à postuler dans la nouvelle colonie du Congo. Il se rend donc à Bruxelles pour passer un entretien d’embauche dans lequel, comme tout le monde ou presque, il se montre crédule à propos des intentions “civilisatrices” de Léopold II [2]. Il passe 6 mois au Congo, au cours desquels il rejoint les Stanley Falls (au cœur du Nord congolais) dans des conditions difficiles. Si bien qu’il tombe malade et décide, une fois rétabli, de prendre la route du retour. Durant ce court séjour, la cupidité et la brutalité des hommes blancs sur place l’ont horrifié de sorte que sa vision de la nature humaine en est restée marquée à jamais (2).

De retour en Europe, il publie ses premiers livres, en anglais : Almayer’s Folly (1894), An Outcast of the Islands (1896), The Nigger of the “Narcissus” (1897); des romans d’aventures dans des cadres exotiques. Conrad met en lumière le côté obscur des hommes dans An Outpost of Progress, publié en 1896. Il y décrit les péripéties de deux jeunes européens attirés par le commerce de l’ivoire dans le nouvel État Indépendant du  Congo. A mesure que le temps passe, les protagonistes sont isolés et finissent par vouloir échanger de l’ivoire contre des esclaves. L’histoire des deux hommes se termine tragiquement [1]. Son expérience dans la colonie belge lui a aussi inspiré son ouvrage The Heart of Darkness, en français : Au Coeur des Ténèbres (1899). Un chef d’œuvre qu’il a mis près de huit ans à rédiger.

Dans le livre, il raconte à travers son alter-ego, Charles Marlow, l’expérience d’un jeune homme engagé par une compagnie maritime pour transporter l’ivoire sur le fleuve Congo. Lors de son périple, Marlow donne à voir les “hommes-cordes”, ces êtres enchaînés, affalés qui construisent le chemin de fer Congo-Océan. Leur état de mort, encore vivant, comparé par Conrad à des “ombres noires de maladie et d’inanition gisant”. Des ombres qui, quand elles ont la possibilité de se reposer, le font en rampant tellement elles sont épuisées. Il raconte aussi les villages abandonnés par peur d’être raflés et endurer le même sort [2, 6].

Au cours du récit, Marlow rencontre l’ambitieux M. Kurtz, qui a amassé de “légendaires quantités d’ivoire” tout en s’enfonçant dans la sauvagerie absolue [2]. Une des première image significative du livre est la description de la maison de Kurtz. Celle-ci est entourée de têtes de cadavres d’hommes noirs montées sur des piques. En outre, Kurtz est autant un meurtrier, qu’un peintre et un poète vibrant d’éloquence. Il écrit des pages et des pages pour la Société internationale pour la suppression des coutumes sauvages et appelle à « Exterminer toutes les brutes !” [2]. Le profond paradoxe de l’ambition coloniale est montré sans abat-jour.

Pour écrire le personnage de Kurtz, Joseph Conrad s’est probablement inspiré du chef de station de Stanley Falls, le montois Léon Rom. Tout comme Kurtz, il entourait son parterre de fleurs de têtes coupées et s’adonnait également à la peinture. Comme Kurz, il a écrit un texte sur le Congo, rempli de clichés racistes pour justifier la colonisation [2].

Conrad n’échappe toutefois pas à la vision lyrique de la colonisation de son pays d’adoption, et au “racisme victorien” qui en découle. Bien qu’ils mettent en exergue la faillite du “projet civilisateur” au Congo, il mentionne par exemple le plaisir de voir la carte des possessions britanniques “car on sait qu’un vrai travail y est accompli” (5). De plus, les personnages noirs n’ont droit dans le livre qu’à quelques mots, le reste de leur expression est interprété de manière grotesque et biaisée [2]. Cette critique est portée par l’auteur Chinua Achebe en 1975. Ce dernier donne un cours intitulé “Une Image de l’Afrique : le Racisme dans Au Coeur des Ténèbres”, une perception du roman qui fait date [8].

Sa lucidité sur la réalité du système colonial et la description de ses acteurs disent tout du gouffre moral et humain qu’est la colonisation. Au Cœur des Ténèbres est aujourd’hui l’un des grands classiques de la littérature anglaise toute époque confondue. Son roman et ses personnages ont inspiré jusqu’à aujourd’hui nombre de philosophes, écrivains et films, allant de “Apocalypse Now” (1979) où le drame colonial du Congo est transposé au Viêt Nam, à “La légende de Tarzan” dernièrement (2016)[6]. Joseph Conrad continue à publier après et publie Nostromo (1904) qui se passe dans une mine d’argent en Amérique du Sud, il reste lui aussi comme un des grands livres de la littérature anglaise [1].

Il décède à l’âge de 66 ans, probablement d’un arrêt cardiaque dans sa maison du Kent en Angleterre

Sources

[1] André TOPIA, « CONRAD JOSEPH - (1857-1924) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le19/10/21 https://www.universalis.fr/encyclopedie/joseph-conrad/
[2] A. Hochschild, Les Fantômes du roi Léopold, La terreur coloniale dans l’Etat du Congo, 1884-1908, Texto semi-poche, Tallandier.
[3] Article Joseph Conrad, https://en.m.wikipedia.org/wiki/Joseph_Conrad, consulté le 19/10/21
[4] J. Conrad, A Personal Record p.13
[5] J. Conrad, Heart of Darkness : An Authoritative Text, Backgrounds, Sources, Critcism p.13
[6] Idem, p.50-51
[7] France Inter, “Ça peut pas faire de mal, « Au cœur des ténèbres par Conrad ” émission du 17 février 2018, disponible sur www.franceinter.fr
[8] Société française de littérature générale et comparée, https://sflgc.org/agregation/maisonnat-claude-au-coeur-des-tenebres-de-conrad-presentation/

 

L’avidité de Léopold II

L’avidité de Léopold II

L’avidité de Léopold II 

Lors de la Conférence de Berlin Léopold II a raflé la plus grosse mise sans même être présent

26 avril 2021

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François Maréchal – Le Frondeur (Liège, Belgique), 20 Décembre 1884

Début d’année 1884, le chancelier allemand Otto von Bismarck organise la Conférence de Berlin. D’une part, afin d’apaiser les tensions géopolitiques qui règnent en Europe, et d’autre part, afin de se faire une place dans le jeu de chaises musicales sur le continent africain. Le 15 novembre 1884, les représentants des 14 grandes puissances mondiales se réunissent à Berlin pour discuter du sort de l’Afrique. Les pays présents sont les suivants: l’Angleterre, le Portugal, la France, l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, les USA, l’Espagne, l’Autriche-Hongrie, la Suède-Norvège, le Danemark, l’Italie, l’Empire Ottoman et la Russie. Nulle trace d’un pays africain à cette conférence donc.

Durant 3 mois, les représentants abordent les questions de la liberté de commercer dans le bassin du Congo; la liberté de navigation dans le bassin du Congo et du Niger; les règles à observer lorsque les côtes seront occupées; l’abolition de l’esclavage en Afrique centrale et le rôle des missions religieuses. Tout cela ayant, bien évidemment, une visée humaniste que Bismarck ne manque pas de rappeler au début de la Conférence. Le but de cette réunion de puissances mondiales est d’ouvrir l’Afrique aux bienfaits de l’économie et du commerce, ainsi qu’à la « civilisation »(2). 

Qui de mieux concerné par le Congo que ce très cher Léopold II de Belgique ? Pourtant grand absent de la Conférence. Cela ne l’a pas empêché de resserrer son emprise sur le Congo, d’en tirer profit et de créer l’histoire que nous connaissons aujourd’hui. Des sources affirment  que les télégrammes se faisaient très fréquents entre Berlin et Bruxelles, et qu’il connaissait la situation comme s’il y était.

Contextualisation

Suite à l’appropriation des territoires dits de Brazza par la France, Léopold II prend peur et propose à la France un pacte risqué : si la France cède le territoire à la Belgique en cas d’échec de gestion du territoire, toutes les terres que la Belgique possède en Afrique iront à la France. En parallèle, des tensions montent entre le Portugal et l’Angleterre qui se disputent les emplacements sur la côte, tandis qu’à l’est les commerçants arabes gagnent du terrain.

Pour  remédier à ces tensions, Bismarck organise la conférence de Berlin. Cette réunion marquera un tournant pour le continent africain. Celui-ci sera découpé et partagé entre les puissances européennes comme on le fait avec un gâteau. C’est en profitant du contexte géopolitique que Léopold II parvient à tirer son épingle du jeu.

En effet, les puissances de l’époque craignaient la France et ne la voulaient surtout pas comme voisine en Afrique de peur qu’elle ne s’approprie les territoires des autres pays. C’est le cas du Congo où tout autour se trouvaient des colonies portugaises. Le Portugal préfère un voisin comme la Belgique qui n’est pas apte à se lancer dans une nouvelle conquête (3).                    

Mais alors pourquoi l’Allemagne et l’Angleterre acceptent que ce soit la Belgique qui occupe le territoire alors qu’ils ne se sentent pas particulièrement menacés par la France ?

Ils  acceptent parce que la Belgique ne fait pas peur et promet des accords de libre-échange importants. Ce qui permettra aux européens d’avoir accès aux ressources à bas coût. Contrairement à la Belgique, la France était une grande puissance. Elle pouvait donc imposer sa propre volonté, ne pas céder aux accords de libre-échange et donc imposer de fortes taxes.

Les 14 pays finiront par accepter. Àla fin de la conférence, l’État indépendant du Congo (EIC) est créé. C’est le début de l’officialisation de la colonisation belge.

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Pour décider des frontières du nouvel Etat, une carte de l’Afrique dans laquelle Stanley avait rapidement tracé au crayon les frontières du Congo sans suivre de logique particulière. Pourtant cette carte fut acceptée par Bismarck (4).

Trois mois et demi après le début de la conférence, son Acte Général définit des zones de libre-échange dans le bassin du Congo. On y trouve une volonté de liberté de navigation pour les Européens sur les grands fleuves africains, à savoir le Niger et le Congo. Bien que l’on puisse y trouver quelques principes contre l’esclavage et la traite musulmane, ainsi que le commerce de l’alcool et une opposition aux armes à feu, cet acte reconnaît sutout au roi des Belges, Léopold II, la possession à titre privé d’un vaste territoire au coeur de l’Afrique australe, baptisé “État indépendant du Congo” (EIC). 

Pour ce faire, avant même le début de la conférence, Léopold II obtient la reconnaissance de l’Allemagne, puis celle de la France qui, pourtant réticente au départ, cède après un accord sur le tracé de la frontière du Congo français, et de la promesse d’une “option” sur l’Association Internationale du Congo (AIC) de Léopold II dans l’éventuel cas d’une dissolution. Léopold II parvient aussi à signer un traité avec le Portugal le 15 février 1885 (5).

Les revendications de Léopold II sont évoquées le 23 février 1885,  à la fin de la conférence. Cependant, le tracé des frontières du futur Etat Indépendant du Congo (EIC) ne figure pas dans l’Acte Général. Léopold II réussit donc à se constituer un territoire immense situé au cœur de l’Afrique. L’AIC devient l’État Indépendant du Congo et Léopold II en devient le «roi-souverain». Le nom du pays est équivoque. En effet, l’État n’est pas gouverné par un chef d’État autochtone, mais par un souverain étranger qui le considère comme sa propriété privée. En rupture avec l’ordre habituel des choses, l’EIC se dote d’un gouvernement, seulement après avoir été reconnu comme un État. Léopold II envoie alors ses mercenaires qui installent un régime militaire(6). 

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Enfin Léopold II en profite pour fonder trois sociétés très puissantes pour exploiter les ressources des sous-sols de son nouveau territoire :

  • L’Union Minière du Haut-Katanga qui a pour objectif “d’assurer la mise en valeur des richesses des sous-sols katangais ».
  • La compagnie des Chemins de Fer du Bas-Congo au Katanga (BCK)
  • La Société Forestière et minière du Congo qui exploite principalement le diamant, les mines d’or et les mines d’argent (7).

En outre, le grand gagnant de la conférence est l’homme qui pourtant en était absent : le roi Léopold II. Il obtient le port maritime de Matadi, sur la partie inférieure du fleuve, et les terres dont il avait besoin pour construire une voie ferrée à Stanley Pool en contournant les rapides. 

Dans son discours de clôture aux délégués, le chancelier Bismarck déclare : 

Le nouvel Etat congolais est destiné à être l’un des exécuteurs les plus importants du travail que nous avons l’intention de faire, et je vous exprime les meilleurs vœux pour son développement rapide et pour la réalisation des nobles aspirations de son illustre créateur” (8).

Sources

  1.  J.M. Daniel, “15 novembre 1884 : la conférence de Berlin partage l’Afrique”, Le Nouvel Economiste, 15/11/2017.
  2.  J.J. Alcandre, « La Conférence de Berlin 15 novembre 1884 – 26 février 1885 », Allemagne d’aujourd’hui, vol.  217, no. 3, 2016, pp. 90-97, p.94.; A. Hochschild, Les fantômes du Roi Léopold II: un holocauste oublié, Paris, Belfond, epub, 2005, p. 124.
  3.  D. Van Reybrouck, Congo: Une histoire, Arles, Actes Sud, 2012 (Lettres néerlandaises), pp. 72-74.
  4.  D. Van Reybrouck, pp. 72-74.
  5.  Hérodote.net, “26 février 1885, La conférence de Berlin livre le Congo au roi des Belges”, 01/01/2019.
  6.  Académie de Paris, “La conférence de Berlin et le partage de l’Afrique”, 29/05/2019.
  7. T. GASTON-BRETON, “L’union minière du Haut-Katanga, creuset de l’atome”, Les Echos, 30/07/2008.
  8. A.Hochschild, p.125.